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Cinq fausses idées sur la com en temps de guerre

Publié le : 30 mars 2020 à 14:37
Dernière mise à jour : 30 mars 2020 à 22:02
Par Yves Charmont

Vous avez sans doute entendu, dans votre entourage, des propos du genre : « Vous allez avoir du boulot, après, en com publique ; parce que maintenant ce n’est plutôt pas la priorité ! », relayant un lieu commun répandu. Et vous avez eu envie de répondre non. Évidemment non ! Parce qu’il faut accompagner l’urgence par la com numérique. Mais pas seulement. Nous vivons au contraire des heures d’intense communication. Combattons ces cinq idées reçues.

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1. Nous ne faisons qu’une com utilitaire

Comme si nous faisions habituellement des enluminures inutiles. Comme si la com de base devait être une série de modes d’emploi, de pancartes en Helvetica gras, de messages laconiques… Et l’on sait combien un mode d’emploi, même bien traduit, n’est pas un modèle de clarté ! Cela manque de hiérarchie, de messages, de sens… (et si vous avez un mode d’emploi en main, c’est bien souvent que vous avez été sensible au message de la marque qui vous l’a fourgué, avec une promesse, des mots-clés et tout un imaginaire).

Les communicants publics sont, et ce n’est pas étonnant, ultra-mobilisés pendant cette période de confinement. Pour faire de la com utilitaire ? Oui et non. Oui parce que leur travail est utile ;-) Non parce qu’il ne consiste pas qu’à passer les plats. Leur expertise, sur la rédaction, sur les outils, sur les publics, sur la stratégie, est plus que jamais nécessaire. Ici, une collectivité se trouve totalement dépassée car les 500 collaborateurs utilisateurs de leur messagerie Skype Pro voient celle-ci saturée par l’arrivée de 2 500 nouveaux, ici encore, la com doit proposer des solutions libres parce que le dispositif numérique interne est ultra-sécurisé (et impraticable), là parce qu’il faut manager un nouveau système d’alerte par SMS, ailleurs, parce que de fausses informations se répandent et nuisent à l’action publique…

Avec le télétravail généralisé, il faut en partager le bon usage, les codes, le langage. Cela relève littéralement de pratiques de communication pour lesquelles le communicant devient un guide. L’expertise des communicants est, dans cette période, mise en avant et ils encadrent les méthodes d’utilisation, conseillent, rédigent, modèrent, analysent.

2. La parole est à l’action sanitaire, sans superflu

Avec le ton martial pris par le chef de l’État, c’est tout un pays qui se sent enrôlé. L’imaginaire collectif se met au pas. Désormais, nous devrons suivre des ordres, qui ne sont sujets à aucune discussion. C’est le recours ultime, la solution du cabinet de crise. Même le gouvernement prend ses consignes auprès d’un collectif d’experts médicaux. Dans ces conditions, il n’y a pas de place pour la communication (dans le sens péjoratif d’habillage, de circonvolutions, de paroles superflues…). Mais, à l’inverse de ce cliché, les messages les plus simples nécessitent une grande dextérité. Il faut savoir lutter contre le bruit (vous savez, comme dans le schéma de Riley, avec l’émetteur, le récepteur, etc.) et maîtriser la rareté de la parole. Moins il y a de mots, plus leur choix est expert (comment cela ? le président n’a pas utilisé le mot « confinement » ? Voir le florilège de commentaires au soir de son adresse aux Français du 16 mars).

Et nous en revenons à des thèmes que nous traitons si souvent entre nous. Comme les identités visuelles et leur efficacité. C’était d’ailleurs le baptême du feu pour la nouvelle marque de l’État. Étrange, alors, qu’elle soit systématiquement accompagnée d’un logo Santé publique France qui n’indique pas d’emblée sa nature d’agence nationale.

Oui, la parole est à l’action sanitaire, mais pas seulement. Il y a aussi l’action économique, les mesures de tous ordres, nationales ou locales. Oui, même locale, pour savoir par exemple si le ou la maire a pris un arrêté concernant les choix qui lui ont été délégués (couvre-feu, ouverture des marchés). Oui, même citoyenne, parce que la communication des collectivités, pressée d’accompagner les initiatives des habitants, ne va pas les abandonner au milieu du gué.

Et ces paroles, simples, décisives, vitales, sont bien souvent des œuvres ciselées qui demandent qu’on s’y attarde. Dans le fracas infernal des guerres et des crises, ce ne sont que quelques mots, des discours, des messages, que l’on retiendra : ceux de Churchill ou de De Gaulle. Avec une maîtrise évidente de leur communication, avec le ton, le bon canal, les formules… La parole sans fard de la communication de crise est un travail d’orfèvre. Et sa portée n’en est que plus grande.

3. Le modèle militaire ultra-rigide est le plus efficace

Beau cliché que celui-ci. Et nous pourrions y adhérer, d’ailleurs ! Mais d’abord regardons dans les yeux cette antienne. Voici, dans des temps troublés, l’ordre militaire qui vient sauver la société. Les soldats et leurs généraux sortent de leurs casernes et vont imposer la loi martiale. En Espagne, en Grèce, en Amérique latine, dans certains pays de l’Est et d’Asie… En France aussi avec Napoléon et Boulanger (et Pétain…). Plus de liberté de la presse, plus de communication non plus. En apparence. Le pouvoir militaire utiliserait une méthode d’échange d’information par liaison directe qui serait infaillible ; fermez le ban.
Mais l’autoritarisme militaire, appliqué à la conduite d’une société tout entière, devient vite le règne de l’arbitraire. Cela fait le lit de toutes les déviations et on se souviendra combien le milieu marseillais a profité de l’occupation allemande. Dictature militaire et corruption font bon ménage (dois-je également citer des pays, en Afrique, en Asie centrale par exemple ?). En premier lieu donc, non, le modèle militaire n’est pas un recours, n’est pas une solution et la mise sous cloche de toute communication, de tous échanges, est une très mauvaise idée.

On ne devrait pas opposer la chose militaire et la communication. Elles sont même étonnamment mariées.

Cela dit, il faudra combattre cette troisième idée reçue en nous souvenant que nous, les communicants, nous avons un langage bien trop militaire pour que cela soit innocent : cibles, stratégie, campagnes… Nous ferions « dans le militaire » sans le savoir ? Et si c’étaient les militaires qui étaient de grands communicants ? On ne devrait pas opposer la chose militaire et la communication. Elles sont même étonnamment mariées. Pour déplacer des troupes sur le champ de bataille – ce que l’on appelle la tactique –, les officiers ont besoin d’une communication sans faille. Se souvient-on que nos téléphones cellulaires sont les enfants du système Rita (Réseau intégré transmission automatique), développé pour l’armée française dans les années 1970 ? Peut-on trouver plus efficace que les procédures d’identification dans les communications militaires, et plus réactif qu’elles, permettant de transmettre des instructions descendantes autant que des informations remontantes (1) ? Et comment expliquer qu’un gradé puisse convaincre un bataillon de se lancer sous le feu ennemi ? Par la menace ? C’est en fait rarement le cas : on galvanise ses troupes, on ne les décime pas (enfin pas toujours). Le langage martial n’est pas un langage anti-com, c’est un langage communicant à part entière.

4. Nos messages ne portent pas

C’est vrai, il nous arrive d’avoir de petits passages à vide (si c’est le cas, n'hésitez pas à suivre vous aussi #remedecontrelamorosite pour voir que la com publique a de la ressource). Mais, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, dans une période d’agitation, de dispersion des messages, où les citoyens sont récepteurs et émetteurs compulsifs d’infos non vérifiées, où nos efforts de recentrage et nos publications dématérialisées passent pour peine perdue, l’expression des collectivités est attendue et précieuse. Oui. Et ce sont d’ailleurs les publics les plus fragiles qui vont recevoir ce message, que nous pensons trop modeste, comme le témoignage d’un lien fort. Un SMS, avec une info toute simple, mais vérifiée, rend la confiance, apaise. C’est ce qui s’était passé à Corbeil-Essonne lors d’un épisode aigu de crue (doubles crues d’ailleurs). Un numéro vert, une lettre dans les boîtes, c’était simple, mais régulier, et le lien était maintenu. Il n’en faut pas plus. La com publique est un rempart contre l’isolement et la destruction du lien social.

C’est également une arme pour lutter contre les dégâts faits par la propagation de fausses nouvelles… qui devrait être mieux punie par la loi, quand elle est de nature à troubler l’ordre public (2). Chaque jour, par un travail ténu de clarification, de publication de démentis et de chiffres réels, au service de la transparence de l’action publique, la communication maintient l’opinion dans un état de lucidité collective. C’est bien évidemment vrai dans les grands médias, qui consacrent une part importante de leurs infos au « fact checking » avec le concours des porte-parole des organismes officiels, mais c’est tout aussi vrai dans les territoires où nos e-managers sont aujourd’hui devenus des soldats de première ligne.

5. Les communicants sont des agents supplétifs

Ne riez pas, mais quand certains DG ou autres gradés du service public nous croisent, ils nous voient avec un filtre Snapchat qui nous colle un gros nez rouge au milieu de la figure. Et vous pouvez bien leur parler budget, procédure d’urgence ou même de n’importe quoi, ils ne nous écoutent que par compassion. Au mieux ils auront une question en réunion de cabinet de crise pour avoir une réponse (rapidement, surtout) sur un détail technique concernant le journal, le prospectus ou le message radio. C’est à peu près tout ce que vous obtiendrez avec votre bouille Snapchat. Et si avec les élus vous n’avez pas une vraie liaison haut débit, alors vous êtes effectivement un agent supplétif. On vous rappellera pour les vœux.

Mais c’est évidemment une erreur de taille pour la gouvernance du territoire d’adhérer à cette cinquième fausse idée. Le rôle le plus important de la communication se trouve justement dans la participation à l’élaboration de la stratégie globale en matière de politiques publiques : pour intégrer la dimension communication dès l’origine des projets, pour gérer le positionnement, la cohérence des actions et leur lisibilité, pour intégrer l’ingénierie de la com à toutes les étapes et pour apporter un regard, une expertise. Et ce genre de chose, cela ne se fait pas qu’en temps de paix. Cela se fait aussi – et même surtout ! – en temps de guerre. La communication publique n’est pas un habillage, ni une distraction, ni un luxe à n’utiliser que pour les périodes favorables. Nous en avons le reflet chaque jour dans les fils de discussion Cap’Com.

La communication publique n’est pas un habillage, ni une distraction, ni un luxe à n’utiliser que pour les périodes favorables.

Vous savez peut-être, comme la plupart de ceux qui ont étudié Edward Bernays, que ce théoricien de la propagande et des relations publiques avait une grande proximité avec Freud. Par sa mère, Anna, sœur du père de la psychanalyse, mais aussi par une relation épistolaire nourrie avec lui. Et si l’on a une familiarité, en communication, avec Freud, c’est justement par le biais de Bernays, qui avait bien compris l’importance du Primärvorgang (processus primaire) pour établir des liaisons dans l’inconscient. Ces liaisons ne se font pas toutes seules : il faut faire résonner émotionnellement un événement avec un lieu, des noms, des visages, des sentiments… Lors d’une grande manifestation, dans un contexte plutôt positif bien sûr, l’on associera la joie, l’étonnement, l’innovation avec tel ou tel territoire, durablement. C’est malheureusement vrai aussi quand une émeute embrase un quartier. L’association des images est si forte que le nom du quartier, et même celui de la ville, seront impactés pour longtemps. Alors que dire d’une période de crise sanitaire nationale ? La boîte à associations d’idées est ouverte par l’émotion, le confinement, l’état de guerre… Nous allons donc durablement trouver des établissements, des personnalités, des villes, des territoires en liaison forte avec des images et des sentiments positifs ou négatifs. Souvenons-nous du Carlton de Lille (et de DSK), de Roseline Bachelot (les vaccins de la grippe A), du Crédit lyonnais (aujourd’hui LCL). À quelle sauce seront mangés les acteurs du Covid-19 ?

C’est là un champ de bataille pour nous les communicants publics, et sur ce champ-là non plus, nous ne sommes pas des auxiliaires !

Muter ou périr

En conclusion, citons cet ouvrage d’économie de Denis Marquet et Édouard Rencker (3), dont le titre, Muter ou périr, mérite mûre réflexion. Certes, ils parlaient, en 2016, des entreprises face à l’ubérisation, mais restent ces trois mots qui résonnent autrement pour nous.
La communication ne serait donc pas une priorité aujourd’hui ? Alors que les mutations sont à l’œuvre ? En temps de guerre, on le sait, les modèles changent, les technologies évoluent de façon fulgurante. Ce ne serait pas le cas ? Et que dire alors de ces millions de Français et de leurs entreprises qui ont franchi d’un coup toutes les barrières entourant le télétravail ? Que dire de ces visioconférences devenues l’usage quotidien ? D’une relation à l'extérieur quasi 100 % numérique ? De tous ces changements dans les codes, les usages, le langage, les valeurs, etc. ? Cela se passe maintenant. Et les communicants publics suivent, mais plus encore, inventent au quotidien une nouvelle relation au territoire.

Nous sommes donc en pleine mutation et en plein travail.


1. Lire : Renaud Bellais, « Les enjeux de la maîtrise de l'information dans la défense », in Réseaux, volume 16, n° 91, 1998. À propos du Rita : « Les militaires se sont indéniablement inspirés des systèmes d’échanges informatiques inter-entreprises (en particulier dans la banque et les assurances) et de la numérisation des liaisons téléphoniques pour élaborer leurs propres réseaux. »

2. Ainsi, la loi sur la liberté de la presse de 1881 dit dans son article 27, modifié en 2000 : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45 000 euros. Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d'amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction, faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l'effort de guerre de la Nation. »
Alors, on est en guerre ou pas !

3. Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise : muter ou périr, L’Archipel, 2016.

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