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Des solutions face aux inégalités numériques

Publié le : 23 avril 2020 à 12:34
Dernière mise à jour : 24 avril 2020 à 12:10
Par Dominique Mégard

Le confinement a accéléré la culture numérique. Mais si la crise provoque une évolution des pratiques et des comportements, elle accélère aussi une prise de conscience : celle des inégalités numériques. Les communicants publics, garants du maintien du lien avec les habitants et de l’information accessible à tous, redécouvrent comment informer sans compter que sur le numérique.

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De l’école à la maison au télétravail, de la simple nécessité d’informer au besoin d’organiser la solidarité, des apéros WhatsApp aux visioconférences, le monde est devenu numérique. Intéressés au premier chef, les communicants publics, chargés d’informer et de maintenir le lien entre institutions et usagers, s’inscrivent dans la dynamique majoritaire : les réseaux bourdonnent, les sites foisonnent… Mais en ces jours de confinement qui imposent télétravail et école connectée, la crise met au jour de façon cruciale les inégalités numériques. Pour y faire face, les communicants publics mobilisent d'autres outils, qu'ils redécouvrent parfois.

L’ampleur de l’@-inclusion

Que faire pour ceux qui ne sont pas connectés ? Ces quelque « 12 % de la population qui n’ont pas accès à internet à leur domicile et ce quel que soit le type d’appareil, ordinateur, tablette ou téléphone portable », note l'Insee dans une étude sur les conditions du confinement publiée le 21 avril 2020. Sans compter ceux qui, ayant accès à internet, en ont une méconnaissance et un usage très limité.

L’État, conscient du problème, a mobilisé de son côté, via la mission Société numérique, de nombreux acteurs et associations. Il accompagne les personnes qui ont besoin d’une aide numérique via une plateforme et surtout un n° vert où des bénévoles issus du monde de l’éducation au numérique délivrent aide et conseils en live et en ligne.

Dans la crise d’aujourd’hui, et pour faire face aux besoins d’information face au coronavirus, à l’interne comme à l’externe, les collectivités se mobilisent aussi : distribution de tablettes et d’ordinateurs aux familles et aux agents non équipés, mobilisation de réseaux de bénévoles via les CCAS, coordination d’interlocuteurs locaux, associations ou centres sociaux qui deviennent des interlocuteurs des services en relation avec les usagers. On pourrait ajouter aux solutions habituelles les espaces publics numériques (plus de 4 500 en France, dans lesquels un ou plusieurs animateurs accompagnent chacun à bien utiliser le net) sur lesquels les collectivités s’appuient quand elles le peuvent, ou des organismes comme Emmaüs Connect à Strasbourg ou Lesbonsclics partout en France, avec qui nombre de directions numériques dans les collectivités travaillent pour l’@-inclusion et l’accès à l’information publique pour tous.

Mais que faire ?

Mais l’illectronisme, préoccupation mise souvent de côté jusque-là, est devenu, avec le confinement, une urgence. Difficultés partagées… mais que faire ? En illustration des difficultés et des interrogations de nombreux communicants publics dans cette période où les ressources se réduisent, cet appel lancé sur les listes de discussion Cap’Com par Anne Constancio, dircom de la ville de Haguenau, a ouvert le débat : « Quels outils autres que numériques déployez-vous actuellement pour rendre accessibles au plus grand nombre de personnes, y compris celles qui n’ont pas accès aux outils informatiques, les infos en lien avec le coronavirus ? »

Le constat est clairement explicité par la dircom alsacienne : les autres outils qui, habituellement, permettent de s'adresser au plus grand nombre apparaissent moins pertinents en cette période de confinement.

  • Les commerces – qui sont bien souvent des relais – sont fermés.
  • Les supports d’affichage ne servent plus à rien puisque plus personne ne sort et donc ne les voit.
  • Les rassemblements étant interdits, impossible aussi d’envisager une quelconque réunion à l’échelle d’un quartier.
  • Éditer un doc papier semble compliqué non seulement parce que l’info évolue si vite qu’il serait sans doute dépassé avant même sa diffusion, et sans compter que certains acteurs de la chaîne de production sont à l’arrêt…
  • Il y a bien la presse locale, mais tout le monde n’y est pas abonné…

Redécouvrir l’hyper-proximité

Les communicants publics redécouvrent les outils et les moyens de l’hyper-proximité. « La crise nous révèle que nous devons trouver à nouveau des moyens de communiquer vers un public populaire, non connecté mais qui ne lit pas non plus les journaux, qui se méfie de tout… », explique Laurent Riera, dircom de Rennes et Rennes Métropole. « Nous avions conscience que la fracture numérique touche certaines catégories d'habitants, complète Frédéric Dorville, dircom de Voreppe en Isère. Tout au long de l'année, des ateliers sont d'ailleurs mis en place dans le cadre de nos actions sociales. La difficulté en cette période de confinement, c'est que le 1er lien avec la population devient le site internet. Le print n'est pas assez réactif, avec des délais plus longs et de toute façon ne peut être distribué dans les foyers. »

De Rennes à Strasbourg, des Ponts-de-Cé à Aubusson, de Lyon à Floirac, de Morlaix à Chatou… partout les initiatives foisonnent pour faire passer les informations hors sites ou réseaux. Pour les plus démunis, souvent cités, mais pas seulement : Morlaix a ainsi mis à disposition des entreprises de son territoire, TPE et artisans en particulier, des conseils stratégiques gratuits par des coachs pris en charge par la collectivité pour les accompagner sur leur présence sur les réseaux sociaux et le web… « Pour les habitants, depuis le début de la crise, on s'inquiète de ne pas toucher toutes les personnes qui ne connaissent pas / ne pratiquent pas notre site ou les réseaux sociaux, souligne Anne-Caroline Poincaré, dircom de la ville de Guyancourt. Ainsi, nous avons mis en place une plateforme “Soyons solidaires à Guyancourt”, qui a provoqué un fort engouement pour les inscriptions des "aidants". Mais quid des personnes qui ont besoin de ces aides et qui ne sont pas forcément connectées ? Du coup, on recommence à communiquer également par papier et on réfléchit à reprendre le contenu de la lettre d'info du site sur des affichettes que nous poserions dans les magasins ouverts. Et on essaie de pousser les connectés à informer les non-connectés sur tout ce qui est mis en place pour qu'ils puissent suivre. »

On recommence à communiquer par papier et on reprend le contenu de la lettre d'info du site sur des affichettes pour les magasins ouverts.

Anne-Caroline Poincaré, dircom de la ville de Guyancourt

Nombreux sont ceux qui maintiennent le lien avec les journaux municipaux édités et distribués parfois avec les moyens du bord. Certains renforcent les liens avec la PQR et autre PHR, vecteur utile en particulier en milieu rural et vers des populations plus âgées (65 % des plus de 70 ans et 73 % des retraités ne maîtrisent pas internet)… Affichettes dans les halls d’entrée des immeubles, utilisation des panneaux électroniques, dépôts de documents dans les commerces ouverts par des agents de police municipaux, ou comme dans la communauté de communes Creuse Grand Sud à Aubusson où Marie Jeandarme, la dircom, doit se débrouiller quasiment sans budget : informations sur les bennes à ordures, mise à disposition des attestations de déplacement à l’extérieur de la mairie, présence d’agents volontaires sur les marchés et les drives, porte-à-porte par les membres du conseil de développement… La présence sur le terrain de volontaires agents, élus ou associations relais est très pratiquée. Tous les moyens sont bons pour informer et garder le contact ! Et ce, quelle que soit la sociologie de la ville : « Étant en zone urbaine et en première couronne d'une grosse agglo, on a un taux de pénétration internet supérieur à la moyenne nationale, d'environ 81 %. Pour autant, nous utilisons aussi beaucoup la proximité (affichage, dépôt de documents par la police municipale dans les commerces ouverts) et le lien physique grâce à un réseau de bénévoles monté par le CCAS pour quadriller la ville », témoigne Fabrice Villechien, dircom aux Ponts-de-Cé dans la zone urbaine d’Angers.

En interne aussi

Le confinement et l’irruption du télétravail dans le quotidien ont été révélateurs du nombre d'agents qui n’étaient pas connectés au quotidien de leur collectivité… « Les agents de terrain, notamment les rippeurs, n'avaient pas accès à une messagerie professionnelle, explique Gaïd Kerdiles. Nous leur avons, à tous, créé une adresse mail et un compte, leur permettant ainsi d'avoir accès à l'intranet de la collectivité soit par du matériel mis à disposition en salle de pause (dans le respect des normes sanitaires), soit par du matériel personnel. »

Le téléphone au premier rang

Et surtout, partout, le téléphone, qui retrouve ses lettres de noblesse. De vive voix ou via les alertes SMS remises au goût du jour. L’accueil téléphonique en mairie, souvent renforcé, devient un média permanent et fiable d’accompagnement des usagers, particuliers ou entreprises. Le Sicoval, communauté d’agglomération à Labège, va servir de « test » : « Nous avons la chance d’avoir un opérateur qui souhaite s’implanter localement, explique Anne-Claire Dubreuil, directrice des projets de transformation numérique. Il propose un numéro fixe et portable pour aider aux démarches (en complément de la plateforme nationale), ce sera un excellent capteur des problèmes d’@-inclusion du territoire. » Frédéric Dorville imagine, demain, reconstruire une stratégie « téléphone » : « Pendant cette crise, nous relayons les infos via le CCAS par téléphone pour les personnes recensées ou via les bénévoles. Mais c'est un pis-aller et cela nous amènera à repenser certains modes de communication, notamment en cas d'urgence, via des SMS ou applis téléphoniques, partant du principe que tout le monde a priori détient un téléphone portable. »  Une collectivité envisage même de mettre en place un « journal téléphoné, une boîte vocale qui reprendra toutes les nouvelles de la semaine (le contenu de notre lettre d’info du site), et dont on tentera de communiquer le n° au plus grand nombre par bouche à oreille et par téléphone !… »

Des idées pour communiquer auprès de ceux qui ne sont pas connectés

  • Affichettes et dépôts de documents dans les magasins ouverts et les halls d’entrée des immeubles.
  • Maintien des journaux municipaux en assurant une bonne distribution.
  • Partenariat avec la presse et les radios locales.
  • Utilisation des panneaux électroniques.
  • Présence sur le terrain de volontaires, agents, élus ou associations relais, notamment sur les marchés et grandes surfaces ouvertes.
  • Informations sur les bennes à ordures et les véhicules municipaux.
  • Permanences téléphoniques, n° fixe, SMS, applis et journal téléphoné.

Un post-Covid à inventer

Et demain ? Ces efforts vers les non-connectés s’arrêteront-ils aux portes du confinement ? Non, répond Gaïd Kerdiles, dircom de Morlaix Communauté : « Cette crise sanitaire nous oblige à nous réinventer. Nous aurons, après, la nécessité de faire un véritable état des lieux de la fracture numérique sur notre territoire et d'accompagner les plus éloignés ; en matière de communication, nécessité de maintenir des publications papier même si elles ont leurs limites ; faire preuve d'une vraie agilité et d'imagination pour éviter les “trous dans la raquette”… »

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