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Manuel de survie du communicant public en période de crise

Publié le : 16 avril 2020 à 18:55
Dernière mise à jour : 20 avril 2020 à 15:39
Par Youcef Mokhtari

Dans cette bataille Covid-19, chaque jour apporte son lot d’inconnu et de surprises. Même si vous êtes impliqué, actif ou encore innovant, il n’en faut pas moins déminer, anticiper les coups et économiser vos munitions. Voici les 10 gestes barrières pour vous protéger.

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Par Youcef Mokhtari.

Les communicants publics sont très investis pendant cette épidémie de coronavirus. Ils sont au four et au moulin, produisent des textes à la chaîne, modèrent des centaines d’échanges, renseignent sur les questions sanitaires, mettent en valeur les équipes, pensent au moral du territoire, préparent la suite… Bref, ils n’ont pas le temps de penser à eux ! Il y a pourtant un point commun dans toutes les périodes de tension : il faut toujours consacrer de l’énergie à ceux dont l’occupation principale est de commenter la manière dont est gérée la situation et, bien souvent, dont agit la communication. Je me souviens particulièrement de l’accueil des étapes du Tour de France. Plus de 50 % de notre travail consistait alors à contrer les grenouillages et les affolements, à rassurer et à montrer que nous avions bien la situation en main. Ce sont quelquefois des collègues bien intentionnés, des élus vacillants (ou inversement), ou bien souvent des associations qui vivent leur « grand jour ». Et si vous n’y prenez garde, ce « trollage » vous en cuira, aujourd’hui comme demain, en sortie de crise. Alors, chers collègues, essayons d’anticiper et pratiquons des gestes qui sauvent !

1 - Gardez le contact avec chacun de vos partenaires professionnels

Cela inclut évidemment les collègues avec qui vous n’avez pas de relations fréquentes, mais également les fournisseurs, les intervenants, etc. Cela vous permettra de prendre la température, de poser les bonnes questions, de resserrer les liens (et, plaisanterie à part, profitez-en pour demander des nouvelles des entreprises qui risquent de souffrir de la période, cela leur remontera peut-être un peu le moral). Vous serez étonné de ce que l’on peut apprendre en faisant le tour de son carnet d’adresses dans ces périodes.

2 - Restez au plus près du cercle agissant

En période de crise, les élus ont tendance à se replier sur eux-mêmes et le groupe qui les entoure se restreint. Comme par hasard, ceux qui font partie de ce groupe en réduisent la communication vers l’extérieur « pour protéger l’autorité », mais surtout pour affirmer leur propre pouvoir. Un bon moyen pour garder le contact est d’utiliser vos outils pour obtenir des chiffres, des mesures de l’état de l’opinion. Soyez vous-même très jaloux de vos statistiques issues des médias numériques comme les taux de clic. L’analyse des commentaires est évidemment intéressante et la question du webmastering vitale. Ne lâchez rien et faites votre rapport.

3 - Mettez en place une routine quotidienne qui vous place sur tous les fronts

Car si vous êtes à fond sur la com interne, on vous cherchera des poux sur la com externe. Si vous investissez les relations directes et êtes collé à l’actualité, alors vous serez faible sur les réflexions de fond et sur la préparation de l’après. Si vous êtes rigoureux et totalement mobilisé dans la lutte… vous donnerez l’impression de ne pas savoir garder vos distances ! Si vous organisez une belle sortie de crise en regardant loin avec vos équipes, on dira qu’on ne vous a pas assez vu dans la bataille. Vous n’y pouvez rien, on ne peut pas être partout à la fois et il faut faire des choix. Alors protégez vos flancs avec ce truc infaillible ! Vous allez balayer l’ensemble de ces problématiques à un rythme qui distancera vos faux amis Covid. Selon la méthode « agile », vous devrez veiller très régulièrement à donner un signe, un mail, un coup de tél, une demande d’info, une instruction dans chacun des domaines où vous êtes attendu. L’horodatage des mails vous permettra de justifier de votre activité, même sur les process que vous estimiez devoir mettre en veilleuse (à tort !). Avez-vous pensé aux évaluations individuelles ? Aux dates de renouvellement des marchés publics ? À tous les projets que vous animiez ?

4 - Organisez autant de groupes de travail…

… qu’il y aura de questions en sortie de crise ! Les sujets ne manquent pas : relance des événements, changements dans les usages, questions juridiques de com en période électorale, refonte du budget en fonction des scénarios, et j’en passe. Nommez des participants et donnez quelques échéances. Je vous rassure, la situation de demain n’étant pas celle d’aujourd’hui, personne ne viendra vous réclamer des comptes sur ces groupes de travail, sauf éventuellement un importun qui déciderait de vous chercher des histoires. Auquel cas, vous aviez lancé la bonne démarche très tôt ! C’est comme un antibiotique à large spectre, ça touche forcément la bonne bactérie.

5 - Vivez la crise au jour le jour

Soyez toujours en avance sur le terrain ou à distance, et flairez les tendances. Ce n’est pas si compliqué : selon les titres du 20 heures, vous saurez quel sujet suivre le lendemain, sans pour autant délaisser votre travail de fond, le plus important. Et surtout n’ayez pas de problèmes de conscience, tout le monde le fait. Vous devez également penser à renseigner régulièrement votre journal de bord. Faites faire des photos des actions des services, des territoires, des réunions, etc. Mettez de côté des articles, des réflexions, des paroles de circonstance. Tout cela vous sera peut-être utile, quand il faudra raconter ce long feuilleton et que vous en aurez oublié certains épisodes, ou pour illustrer les nombreuses publications qui citeront cette crise. Et même si personne ne le racontera à votre échelle, on vous reprochera malgré tout de ne pas avoir copieusement documenté cet événement.

6 - Gérez votre image pendant les visio-conférences

Et placez un masque de protection sur votre intimité, parce que les tenues négligées et les coiffures improbables ne font pas que rire, elle vous décrédibilisent. Mais soyons clair, il n’est pas non plus possible de ne pas montrer une certaine fantaisie de bon aloi, en mode « Je suis effectivement dans mon univers, qui montre une autre face de moi », plus riche, plus humaine, avec une vraie profondeur, un feeling apaisé, cool… Mais cela se travaille, comme un CV. Pensez lumière, cadre, éléments identifiables (vous pouvez laisser voir une de vos passions, un instrument de musique, par exemple), mais surtout, restez sur vos gardes et soyez investi.

7 - Blindez vos publications sur les réseaux sociaux

Afin de ne pas pâtir d’un picorage mal intentionné. Certes, vous devez, comme tout le monde, publier des commentaires et des photos qui reflètent votre expérience du confinement. Ce qui vous place dans la société. Vous devez évidemment faire état de vos pratiques sportives en milieu clos, parce que vous avez une hygiène de vie, de l’imagination et un caractère ouvert et joueur ;-) Oui, il est recommandé de parler avec philosophie de la vacuité des choses et de l’expérience formidable que vous vivez en relisant Matthieu Ricard (parce que vous êtes open mind et que tout est opportunité pour vous). Oui, vous likez obligatoirement des messages de soutien à ceux qui se trouvent en première ligne face au Covid-19 (si vous ne le faisiez pas, vous seriez peu reconnaissant). Mais non, ne laissez pas fuiter vos photos de malbouffe, ni vos véritables délires, seul ou accompagné. Car les réseaux sociaux, cela ne sert pas à photographier votre pitance – encore un cliché de gâteau ! – ni vos performances lamentables dans certains autres domaines que le professionnel, non ! Les réseaux sociaux étant perméables et très visités en ces périodes de communication 100 % numérique, vous avez intérêt à construire un espace tampon entre votre réalité et celle que vous montrez. Il faut communiquer le communicant !

8 - Limitez les occasions qu’ont certains de vous nuire

Mais comment les identifier ? C’est facile, cherchez dans votre entourage un pair, une personne de votre niveau, qui a cette fâcheuse tendance à vous cueillir à froid, devant la hiérarchie, en prenant systématiquement une position morale et contraire. Exemple : vous évoquez la nécessité de trouver un #remedecontrelamorosite et l’autre y oppose la priorité à l’accompagnement des familles endeuillées ou le soutien aux soignants. Autre exemple : vous parlez d’une com pratique et efficace sur les lieux publics pour éviter la contamination, et l’autre vous trouve trop collé au guidon et attendrait de vraies pistes stratégiques concernant le monde d’après, etc. C’est tellement prévisible que vous pouvez même jouer en commençant une introduction un peu technique sur un sujet, qui amènera immanquablement l’autre à demander de l’humain, du vivant, du vrai… et paf, vous sortez votre dossier qui concerne une communication participative basée sur des témoignages authentiques avec de vrais morceaux de gens dedans ! C’est amusant. Mais bon, en temps de guerre on n’a pas le temps de jouer. Ces zozos ne vont que vous ralentir et vous devez couper court à leurs tristes manœuvres en utilisant la technique du point 9.

9 - N’hésitez pas à mettre fin aux échanges stériles

En prétextant un cabinet de crise, une réunion de cellule spéciale, un appel urgent, etc. C’est le moment ou jamais ! Et cela vous donne un peu d’oxygène (pour vous changer les idées par exemple) sans donner l’impression de rompre les rangs ou de déserter.

10 - Et enfin soyez humain et faillible

Et je ne blague pas. Personne ne vous écoutera si vous n’avez pas vous aussi « difficilement » vécu cette période par certains aspects. À vous de choisir, ne soyez pas trop faible non plus. Cela peut être le fait du manque d’espace, ou une certaine mélancolie due à la situation de l’humanité (attention, pas de bore-out !), ou même le physique qui lâche un peu à cause de la suractivité… bref, un peu de gravité – pour montrer que cette crise, vous la vivez aussi à l’intérieur – sera certainement très utile. Cela vous donnera un côté « concerné », cela vous rapprochera des autres et cela peut même vous valoir une plus grande reconnaissance. En effet, un bon travail qui n’a pas nécessité de sacrifices a moins de valeur !