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Pages de com : « Cicéron, Quintilien, saint Augustin. L'invention de l'Orateur », présenté par Patrice Soler

Publié le : 14 avril 2021 à 07:18
Dernière mise à jour : 15 avril 2021 à 16:40
Par Yves Charmont et Nastassja Korichi

À l’heure où la parole publique est mise à rude épreuve, prenons du recul sur l’art oratoire avec des textes dépoussiérés et étonnants d'actualité. Car pour ces auteurs anciens, « en apprenant à bien parler, on sert le bien commun ».

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Peut-être l'auteur a-t-il choisi ce sujet en pensant aux lycéens qui devraient, cete année, passer le fameux « grand oral » ? Une épreuve discutée, intimidante pour certains, mais très certainement utile pour tous. Et ce ne sont pas les communicants publics qui penseront le contraire. Car s'il y a bien un exercice qui reste, qui demeure depuis des millénaires fondamental, c'est celui de prendre la parole devant le/un public. Et on peut effectivement postuler que l'auteur a eu cette pensée ! Agrégé de lettres classiques, Patrice Soler a été professeur de khâgne à la chaire de littérature française et latine du lycée Louis-le-Grand. Il publie donc ce mois-ci un recueil de textes – retraduits par lui – de Cicéron, Quintilien et saint Augustin. Trois auteurs dont la pensée de l’Orateur est présentée d’emblée comme fondatrice de la parole publique : « Injustement oubliés, ils ont – pendant des siècles – formé la parole publique (…). Pour Cicéron, Quintilien et saint Augustin, l’Orateur tel qu’il existe n’est rien de moins que l’homme complet, le citoyen idéal. »

Peut-être pensait-il aux personnalités qui s'expriment aujourd'hui, prises dans la tempête de la covid-19, soumises aux critiques, aux défiances, aux contestations ? Patrice Soler est effectivement allé aux racines du doute, chercher les premières polémiques autour de la parole publique, dénichant, au détour d'une page de Cicéron, la critique la plus rude du rhéteur, figure de la parole publique : « [des] propos émanant de gens n'ayant rien de net en main et destinés à des auditeurs susceptibles de recevoir non pas un savoir, mais sur un court laps de temps une opinion, ou erronnée ou au moins obscure (…). » Quelle inspiration ! L'auteur, on le note, fait le choix lucide et opiniâtre de trouver, dans la pensée de ces trois auteurs antiques, les arguments, la méthodique description d'un Orateur qui, au-delà de ses dons naturels, puise sa force et sa légitimité dans une conduite, une éthique, une honnêteté. Cette éthique, nous pourrions la rapprocher de celle de la communication publique : « Être capable de tenir des propos pénétrants et tout à fait clairs devant un auditoire commun, à partir de l'opinion réellement partagée » (Cicéron, Entretiens sur l'Orateur).

Les questions abordées dans ces textes aident à formuler celles que nous nous posons aujourd’hui : « À quelles conditions la parole publique est-elle crédible ? », « Quelle peut être la place des passions et des experts dans le discours de ceux qui nous gouvernent ? ». Mais cet ouvrage nous incite aussi à philosopher sur nos métiers, comme avec cette incroyable résonance avec le fameux « science sans conscience n'est que ruine de l'âme » de Rabelais, qui trouve chez saint Augustin une formule miroir assez étonnante : « La sagesse sans l'éloquence ne [peut] être que d'une faible utilité pour la chose publique » !

Cicéron, Quintilien, saint Augustin. L'invention de l'Orateur
Traduits et présentés par Patrice Soler
Gallimard, collection Tel
1er février 2021
492 pages

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