Campagnes incivilités : quand la com revisite les codes

Après une saison estivale complexe en 2021, Biarritz, 26 000 habitants pendant l’année et 120 000 habitants l’été, veut sensibiliser les estivants au respect de la ville et répondre à une attente forte des habitants agacés par la hausse des incivilités. Pour désamorcer le début de clivage entre locaux et touristes, elle axe sa campagne sur ce qu’ils ont en commun : des souvenirs précieux de Biarritz. Des paysages, des ambiances, des images qui pourraient bien se retrouver décalés avec la réalité si on ne lutte pas contre les incivilités.

Avec un parti pris créatif inspiré des affiches vintage, l‘agence Campagne & Cie illustre ce possible décalage en déclinant pour chaque thème deux visuels façon carte postale souvenir. « Côté pile », l’ambiance idyllique de la station balnéaire avec sa plage et ses cabanes, le surf et les châteaux de sable… « Côté face », la réalité en cas d’excès des comportements : un bord d’océan bruyant et pollué. La campagne aborde quatre thèmes : l’environnement et les déchets sauvages, la propreté et les déjections canines, les nuisances sonores et le tapage nocturne. Chaque thématique est illustrée par un exemple concret dans un style épuré, humoristique et esthétique qui rompt avec les ambiances graphiques habituellement utilisées pour parler des incivilités.

La campagne a été déployée à partir de début juillet 2022 en affichage et signalétique, annonces presse, motion design, stories et posts sur les réseaux sociaux, concours sur Instagram, vidéo sur les écrans de la ville et de l’aéroport. Des cartes postales vintage à effet lenticulaire permettent de visualiser les deux ambiances. En complément, un livret de 12 pages sur les bons gestes a été diffusé à 40 000 exemplaires toutes boîtes par l’office de tourisme, la brigade du littoral et les écoles de surf.

À l’été 2022, Lorient (57 567 habitants) choisit elle aussi d'ancrer sa campagne incivilités dans le paysage local mais sous une forme encore plus ludique. Pour relancer à nouveau la sensibilisation de ses habitants au respect de la propreté et au bien-vivre ensemble, elle veut valoriser les outils et équipements à leur disposition dans l’espace public. Avec l’agence de com locale Orignal, elle imagine un jeu dans lequel ses équipements seraient des atouts : le « Lorient Poli, le jeu du mieux vivre ensemble ». Un nom clin d‘œil au célèbre Monopoly dont la création visuelle lorientaise reprend les codes. La campagne mise sur leur caractère intemporel et intergénérationnel tout en les adaptant au territoire et en les déclinant en fonction de la problématique à aborder.
Ainsi, pour inciter au maintien de la propreté dans la ville pendant le célèbre Festival interceltique, les cases du plateau de jeu représentent les lieux pendant l’événement (rue, ambiance, etc.) et la carte chance rappelle la présence de poubelles pour garder la ville propre et la fierté d’y accueillir les festivaliers.

Sur le second visuel, axé sur la problématique des déjections canines, la carte caisse de communauté invite à ramasser les crottes de son animal ou à payer l’amende, et les cases affichent les nombreux équipements à disposition dans la ville. En complément un cartouche renvoie vers l’application « Lorient et moi » pour signaler les incivilités. Les deux premiers volets de la campagne ont été diffusés en affichage et sur les réseaux sociaux, notamment Instagram. Le concept sera décliné sur d’autres problématiques de propreté et de civilité avec la création de nouveaux éléments pour le plateau de jeu et de nouvelles cartes chance.

À La Ferté-sous-Jouarre (9 586 habitants), ce n'est pas un jeu mais un parc de jeu qui sert d'appui pour inciter les administrés à utiliser les équipements de propreté à leur disposition. Le 5 juillet 2022, la ville a ouvert Mégots-Land, un parc en accès gratuit et illimité, 7j/7 et 24h/24, qui « propose quatre attractions à sensations fortes visant à divertir et à sensibiliser les Fertoises, les Fertois et tous les autres Mégots-Landeurs sur la présence de mégots dans l’espace public ».  Elle conçoit cette campagne dans le cadre du programme « Ville pilote » de l’éco-organisme Alcome, soutenant la création de nouvelles méthodes de sensibilisation des fumeurs à la lutte contre l’abandon de mégots sur la voie publique.
La ville a identifié quatre hotspots (des lieux où le plus de mégots sont relevés) et les a transformés en attractions à la fois physiques et virtuelles. Elle a réalisé un marquage au sol et installé de nouveaux cendriers floqués d’un QR code renvoyant à une page dédiée sur le site. Les habitants y retrouvent des informations sur l’impact d’un mégot jeté au sol, sur les bons gestes à adopter et sur les statistiques de l’évolution du hotspot concerné... Chaque attraction possède un axe de sensibilisation : la pollution aquatique à Marnémégot, le respect de la propreté de la ville à Carrémégot et Limégot, et l’aspect hygiénique à Postimégot.
Chaque fois, la ville incite à « prolonger l’expérience » en se procurant un cendrier de poche auprès des buralistes.

L’opération a été lancée entre le 30 juin et le 8 juillet via un communiqué de presse, des publications sur les réseaux sociaux, des affiches dans les services recevant du public et une vidéo satirique mettant en scène un habitant anti-Mégots-Land joué par un comédien. Son cachet constitue la seule dépense liée à cette vidéo – les agents municipaux, des élus et des Fertois jouent les figurants – et à cette campagne réalisée en interne.

Privilégier le ton léger et l'autodérision pour sensibiliser à la propreté, c'est également l'axe pris par la mairie du 10^e arrondissement de Paris (83 459 habitants) en déclinant le principe des « classical art memes ». Cette association d’une image d’une œuvre d’art classique à un sous-texte descriptif de nature humoristique est très populaire depuis quelques années déjà sur les réseaux sociaux. Elle a d'ailleurs déjà inspiré les communicants de Châlons-en-Champagne pour une campagne de communication culturelle. Pour sensibiliser les Parisiennes et les Parisiens fréquentant le canal Saint-Martin pendant la période estivale, la mairie parisienne adapte le principe en version « franglaise ». Sa campagne se décline en quatre messages : respecter la planète, respecter les agents de la propreté, respecter les habitants et se respecter soi-même. Huit visuels – deux par message – détournent de grands chefs-d'œuvre de l'histoire de l'art à l’aide d’un texte mêlant français et anglais. Ils ont été diffusés en affichage en lien avec les commerçants et les restaurateurs qui ont bien voulu se mobiliser, le long du canal Saint-Martin et sur les réseaux sociaux de la mairie.

Référence aux codes de la culture pop également pour la ville de Melun (39 914 habitants). À nouveau en quête au printemps 2022 d’une idée pour sensibiliser, elle a choisi de mettre justement en scène cette recherche de la bonne formule qui se heurte année après année à la persistance des incivilités. Sa campagne s’appuie sur l’univers graphique des BD comics pour traduire son exaspération face à l’absence de progrès en matière de propreté. « Nous n’avons plus les mots », peut-on lire sous l’idéogramme qui figure en haut d'un visuel des trois types d’incivilités – jets de mégots, dépôts sauvages et déjections canines –, accompagnés d'une liste de termes possibles pour les nommer. Le texte rappelle l'action de la collectivité en matière de propreté et interpelle les habitants sur la leur, tout en prenant soin de s’adresser à ceux qui font preuve de civisme. Une campagne qui illustre bien la difficulté pour les collectivités de se renouveler pour communiquer sur les incivilités.