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Incivilités et service public : la com vent debout avec les agents

Publié le : 16 mars 2023 à 07:44
Dernière mise à jour : 17 mars 2023 à 18:27
Par Anne Revol

Au guichet, dans les transports, sur les routes, l’augmentation manifeste des agressions verbales et physiques engage les collectivités et les administrations à communiquer leur fermeté et leur solidarité envers leurs agents. Avec eux, elles en viennent à leur tour aux mots dans des campagnes qui placent l’humain en première ligne pour mieux le protéger.

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Depuis deux ans, les opérations de sensibilisation au respect des agents du service public se multiplient devant les constats des organismes locaux, chiffres à l’appui, d’une recrudescence des violences manifestes dans cette période post-Covid. Que le ton soit léger ou les mots plus lourds, la forme laisse transparaître une fermeté unanime face à l’intolérabilité des faits. Intolérabilité au regard de la loi dont les campagnes énoncent le cadre. Intolérabilité face au niveau (de plus en plus) élevé de la violence des mots et des actes. Intolérabilité mais aussi incompréhension face au comportement paradoxal de citoyens agressifs avec des personnes qui travaillent pour eux, et, au-delà, avec des humains comme eux. Avec des mots ou des visages, des campagnes incarnées témoignent d’une solidarité d'un service public, aussi là pour ses agents.

La com en vient aux mots

À Nîmes, les agressions verbales et physiques ont été cinq fois plus nombreuses en 2021 qu’en 2020. « Tous les lieux recevant du public sont concernés », précise Cyril Morteveille, directeur de la communication de la ville, venu au Forum 2022 de la communication publique à Strasbourg présenter sa campagne. Cette recrudescence d’incivilités génère un sentiment d’insécurité chez les agents, une démotivation dans les équipes, une dévalorisation du service public. Face à une forme d’acceptation de la situation et de sa dégradation, la ville veut dire stop, poser une limite et alerter le public sur les comportements de plus en plus violents. Elle souhaite aussi se positionner comme défenseur des agents publics de la collectivité et communiquer auprès des agresseurs pour les avertir que la ville portera désormais plainte.

Pour marquer les esprits, la ville fait le choix d’une campagne « choc » qui joue avec les « gros mots ». Les quatre visuels présentent une même illustration d’une personne injuriant un agent public et affichent le début d’une insulte rapidement détournée. Un effet miroir qui place le public dans la situation des agents et leur précise : « En restant poli, ça marche aussi ! ». « À situation violente, campagne “violente” » explique le dircom. « L’insulte attire l’œil, la personne s’approche, lit et prend le message comme un uppercut. » La campagne a été déployée dès la fin janvier 2022 en affichage, sur des pupitres à chaque guichet, via des relations presse, de l’achat espace presse print et web, et sur les réseaux sociaux. En interne, cette prise de parole a permis aux agents de se sentir écoutés et de renouveler l’esprit de corps au sein des équipes d’accueil. En externe, elle a entraîné une prise de conscience concrétisée par une baisse des agressions de 20 à 30 % au cours du premier trimestre. Depuis, le nombre d’agressions est reparti à la hausse. La campagne est diffusée à nouveau à l’automne et, en parallèle des formations proposées aux agents, une réflexion est en cours sur une nouvelle campagne impactante.

En novembre 2022, c'est dans les gares que les insultes s’affichent sur les visuels de la campagne de SNCF Voyageurs, également confrontée à une augmentation des actes de violences verbales ou physiques à l’égard de ses agents. La campagne cherche aussi à jouer sur l’effet miroir de la violence vécue. Cette fois-ci pas de jeu avec les gros mots, mais la reprise d’insultes réellement entendues par les cheminots – en partie masquées par des astérisques. « Notre choix a été d’aller à l’essentiel avec une campagne qui parle vrai en s’appuyant sur des violences verbales réellement subies par nos agents », explique la SNCF. Elle a été élaborée à partir des avis et témoignages d’une quarantaine d’entre eux. Comme pour Nîmes, elle veut interpeller sur ce phénomène, en dénoncer la gravité et prévenir des sanctions. « Vous trouvez ça violent ? Nous aussi », peut-on lire sous les insultes. Une formule qui témoigne de la solidarité envers les agents et d’un appel à les respecter. Les trois visuels ont été diffusés sur les affichages digitaux dans les principales gares et sur les réseaux sociaux.

Début 2023, sur un ton plus léger, la ville de Metz joue à son tour avec les mots pour appeler au respect de ses agents. Elle utilise le détournement d’expressions et de dictons populaires dans une campagne à vocation pédagogique. Trois visuels colorés détournent chacun un dicton populaire et citent l'article de loi qui fixe les sanctions encourues en cas d’outrage à l’égard d’un agent chargé d’une mission de service public. Ils sont diffusés en affichage grand format dans les rues du centre-ville et dans les quartiers de Metz, et floqués sur les véhicules de service des pôles « Propreté urbaine » et « Parcs, jardins & espaces naturels ». Intitulée « Le respect de nos agents municipaux, on a tous à y gagner ! », la campagne vise à rappeler que les agents municipaux agissent au service des citoyens et méritent la reconnaissance et le respect des Messins.

Brest Métropole et Ville rappelle elle aussi l’implication quotidienne des personnels au service du public pour sensibiliser au respect de ses agents. « On travaille pour vous, pas contre vous », peut-on lire sur les deux visuels de sa campagne intitulée « Stop aux agressions des personnels des services publics ». Ici pas de gros mot mais un mot en gros : « Stop » collé au visuel d’une bouche et d’un doigt menaçant pour afficher un message sans ambiguïté face à une forte hausse des signalements d’agressions subies par les agents (+36 % en 2021), mais aussi pour mieux lutter contre une « agressivité latente », explique la ville. La campagne a été diffusée sur les panneaux d’affichage, dans les médias, sur les réseaux sociaux et le site internet de la collectivité du 2 au 18 mai 2022, puis renouvelée en octobre.

Les agents montent au créneau

Pour communiquer contre les agressions dont ils sont victimes, les agents eux-mêmes montent au créneau pour co-concevoir les campagnes et/ou les incarner.

Ceux de la Seine-Maritime s’équipent même d’armures. Trois agents du département (un des routes, un des bacs, et un des centres médico-sociaux) ont pris la pose dans leur environnement de travail armés de leur matériel habituel, et revêtus d’un casque et d’une cotte de maille. Ils illustrent le slogan « Contrairement aux apparences, cet agent n’est pas armé contre les incivilités ». Ce message a été co-construit avec les agents pour mettre en avant les victimes d’agression plutôt que l’agresseur et montrer que les agents ne sont pas des super-héros susceptibles d’encaisser toute attaque.
Conçue par les services communication interne et externe, la campagne « Stop aux agressions » veut montrer avec humour aux usagers que les agents à leur service sont des humains comme eux qui ont droit au respect, et leur rappeler les risques encourus en cas d’incivilité. Des messages clairement énoncés sur un flyer distribué sur tous les sites recevant du public et spécifiquement auprès des directions ciblées : routes, bacs, centres médico-sociaux, travailleurs sociaux. Le déploiement des visuels sur l’intégralité du réseau d’affichage des bus interurbains de la Seine-Maritime (trois affiches différentes en alternance) et dans la presse locale complète le volet externe de cette campagne lancée en mars 2022 à la fois à destination des citoyens et des agents. Ceux-ci ont pu accéder à un clip de sensibilisation sur le respect sur l’intranet du département et les réseaux sociaux, consulter la lettre interne et le dossier d’un numéro du magazine des agents consacré au sujet.

« Cette campagne de communication constitue l’un des trois volets d’un dispositif complet pour mieux protéger et accompagner les agents contre les agressions et incivilités », a expliqué Vincent Lalire, responsable communication interne du département de la Seine-Maritime lors de son intervention sur le sujet au Forum Cap’Com 2022 de Strasbourg. Outre cette action de sensibilisation, une refonte (avec les agents les plus concernés) des procédures internes de signalement des agressions et d’accompagnement des agents et des documents a été menée pour mieux informer les agents sur les droits et les aides. Un protocole inédit pour accélérer les procédures a également été mis en place avec les procureurs de justice du département.

Au CHU de Bordeaux, les personnels sont aussi partie prenante dans la conception d’une campagne lancée à la rentrée 2022 pour sensibiliser le public à la non-violence. Intitulée « Bienvenue en zone zéro violence », elle met en avant des professionnels de l'hôpital qui, d'un geste des bras croisés, font barrage aux diverses incivilités : zéro agression, zéro menace, zéro incivilité, et zéro insulte... Ces types d’agressions ont été identifiées par le biais d’une enquête interne et ont servi de base à un groupe de travail « Violence » composé des référents de la direction des ressources humaines, de la direction des affaires juridiques, de représentants syndicaux, et de la direction de la communication pour la réalisation de la campagne. « Le personnel fait son maximum pour vous aider : merci de le respecter », peut-on lire sur les visuels créés avec l’agence RC2C. La campagne est déployée en interne dans les services de l’hôpital et déclinée en vidéos pour internet et les réseaux sociaux notamment.

Humain avant tout

Au niveau national, le ministère des Transports, dont dépendent les 11 directions interdépartementales des routes (DIR), en appelle aussi aux agents pour mettre en lumière la situation paradoxale qu’ils vivent dans l’exercice de leurs fonctions : se faire agresser par des usagers dont ils assurent la sécurité. Lancée du 15 septembre au 1er octobre 2022, la campagne nationale « Respectez leur travail, respectez-les » met à l’honneur les agents des routes qui interviennent quotidiennement sur l’ensemble du territoire pour susciter une prise de conscience des conducteurs sur les comportements inappropriés de certains usagers et informer sur la gravité des sanctions pénales encourues.
Sur les visuels de la campagne, trois agents interpellent les usagers autour de trois actes qu’ils ont subis pour dénoncer le paradoxe des incivilités : « Vous me balancez les pires insultes, c’est comme ça que vous me dites merci ? », « Vous me foncez dessus, c’est comme ça que vous me dites merci ? », « Vous me faites un doigt d’honneur, c’est comme ça que vous me dites merci ? ». Dans la vidéo du making-of de la campagne, ils témoignent avec d’autres collègues de la quotidienneté de ces incivilités, relatent des agressions qui les ont marqués. Ils expriment aussi une attente forte à travers la campagne : mettre en lumière leur mission pour que les usagers appréhendent mieux leur travail, et leur faire prendre conscience que « derrière les agents, il y a aussi des familles ».

Mettre en avant la personne et ses proches derrière l'agent, c’est aussi l’axe choisi par l’Ille-et-Vilaine. À l’instar d’autres départements, dont les agents se chargent de l’entretien et de la sécurité des réseaux routiers départementaux, la collectivité a lancé une campagne de sensibilisation en avril 2022 avec des agents volontaires. Florent, Lionel, Quentin, Étienne et Christèle prêtent leur visage pour incarner la campagne. Chaque visuel mentionne leur âge et le nombre d’enfants dans leur famille. En complément, une vidéo met en scène un conducteur en retard à l’approche d’un chantier avec circulation alternée avant d’inviter le spectateur à changer de point de vue et de montrer la même scène vue du côté de Christèle, agente de la route chargée de réguler le passage des véhicules.

En Nouvelle-Calédonie, l'Office des postes et des télécommunications (OPT-NC) va encore plus loin et donne la parole non pas aux agents mais à leurs enfants ou ceux de leur famille. Visage fermé, Jeroen (5 ans), Sam (8 ans) et Karyl (10 ans), qui ont tous un lien de parenté avec des agents de l’office, témoignent des agressions dont sont victimes leur maman, leur papa ou leur oncle. « Agresser un agent, c’est aussi blesser un de ses proches », complète la voix off dans le clip de campagne. L’OPT, qui a encore recensé quatre agressions à l’encontre de ses agents au mois de février 2023, veut marquer les esprits pour favoriser les changements de comportements. « Grâce à ce concept original, l’agent sort ainsi de son statut professionnel : il ou elle est certainement un parent, un frère, une sœur, un oncle, une tante... » Elle mise sur les enfants pour donner de la force, de l’impact et de l’émotion au message. Lancée avec le hashtag #çasuffit!, la communication est diffusée en mars et avril 2023 sur le réseau d’affichage 4x3, en radio, dans la presse, au cinéma, sur le web et les réseaux sociaux, etc.

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