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Engagez-vous, rengagez-vous !

Publié le : 5 janvier 2018 à 17:19
Dernière mise à jour : 23 mars 2018 à 09:42
Par Marc Thébault

À l’heure de prendre de « bonnes » résolutions pour les 12 prochains mois – à propos, ami.e.s lec.trices.teurs, je vous souhaite la plus belle et la plus brillante des années – et cherchant quelques sources pour ce billet, encore en gestation donc, un rien de sérendipité m’a fait tomber sur le texte ci-dessous. Il m’a semblé de circonstance et apte à me faire changer illico de sujet. Je le partage donc avec vous, non pas comme une leçon, mais bien comme un possible. En tous les cas comme un réel sujet de débat* !

Par Marc Thébault

"Je hais les indifférents. Pour moi, vivre veut dire prendre parti. Qui vit vraiment doit être citoyen et parti prenant. L’indifférence est apathie, elle est parasitisme, elle est lâcheté, elle n’est pas vie. […] L’indifférence est le poids mort de l’histoire. C’est le boulet de plomb pour le novateur, c’est la matière inerte où se noient souvent les enthousiasmes les plus resplendissants, c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides, mieux que les poitrines de ses guerriers, parce qu’elle engloutit dans ses remous limoneux les assaillants, les décime et les décourage et quelquefois les fait renoncer à l’entreprise héroïque. L’indifférence œuvre puissamment dans l’histoire. Elle œuvre passivement, mais elle œuvre. Elle est la fatalité ; elle est ce sur quoi on ne peut pas compter ; elle est ce qui bouleverse les programmes, ce qui renverse les plans les mieux établis ; elle est la matière brute, rebelle à l’intelligence qu’elle étouffe. […] Ce qui se produit, ne se produit pas tant parce que quelques-uns veulent que cela se produise, mais parce que la masse des hommes abdique devant sa volonté, laisse faire, laisse s’accumuler les nœuds que seule l’épée pourra trancher, laisse promulguer des lois que seule la révolte fera abroger, laisse accéder au pouvoir des hommes que seule une mutinerie pourra renverser. La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est pas autre chose justement que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. […] Il semble que l’histoire ne soit rien d’autre qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre dont nous tous serions les victimes, celui qui l’a voulu et celui qui ne l’a pas voulu, celui qui savait et celui qui ne le savait pas, qui avait agi et celui qui était indifférent. Et ce dernier se met en colère, il voudrait se soustraire aux conséquences, il voudrait qu’il apparaisse clairement qu’il n’a pas voulu lui, qu’il n’est pas responsable. Certains pleurnichent pitoyablement, d’autres jurent avec obscénité, mais personne ou presque ne se demande : et si j’avais fait moi aussi mon devoir, si j’avais essayé de faire valoir ma volonté, mon conseil, serait-il arrivé ce qui est arrivé ? Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence, de son scepticisme […] La plupart d’entre eux, au contraire, devant les faits accomplis, préfèrent parler d’idéaux qui s’effondrent, de programmes qui s’écroulent définitivement et autres plaisanteries du même genre. Ils recommencent ainsi à s’absenter de toute responsabilité. […] Je hais les indifférents aussi parce que leurs pleurnicheries d’éternels innocents me fatiguent. Je demande à chacun d’eux de rendre compte de la façon dont il a rempli le devoir que la vie lui a donné et lui donne chaque jour, de ce qu’il a fait et spécialement de ce qu’il n’a pas fait. Et je sens que je peux être inexorable, que je n’ai pas à gaspiller ma pitié, que je n’ai pas à partager mes larmes."

Antonio Gramsci, « La Città futura », in Il Grido del Popolo, n. 655, 11 febbraio 1917)

  • Sujet de débat, notamment lorsqu’il s’agit de savoir s’il convient, ou non, d’affirmer notre absolu désaccord professionnel avec des pratiques de communication publique, comprenez « propagande », que l’on pensait révolues.