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De l’influencé à l’influenceur

Publié le : 10 mai 2018 à 20:42
Dernière mise à jour : 15 mai 2018 à 17:35
Par Marc Thébault

L’objectif de la communication, de son processus, est limpide : influencer. Quoiqu’on en dise. Qu’il s’agisse d’influer sur des comportements, pour des raisons de santé publique et d’intérêt général, ou qu’il s’agisse d’influer sur les représentations de nos institutions - de leurs actions et de leurs dirigeants ou élus - mais aussi sur celles de nos territoires. L’enjeu est donc posé, même s’il n’est parfois qu’implicite : faire en sorte que nos cibles adoptent les bons comportements (mettre un casque en scooter ou un préservatif en fin de soirée, qu’ils trient leurs déchets, …), adhèrent aux images que nous proposons de l’action publique (positive, dynamique, généreuse, efficace, attentive, rigoureuse, innovante, …) ou de nos territoires (merci le marketing territorial) et, parfois, fassent le bon choix au moment de glisser un bulletin de vote dans une petite enveloppe.

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Illustration : Norman Rockwell

Par Marc Thébault

Ainsi, nos publics ont souvent été d’abord considérés comme des influencables. Nous avons donc tout mis en œuvre pour les convaincre, les persuader, quitte à marcher sur le sentier de la propagande en prenant certaines libertés avec la réalité. On a notamment pêché par omission, en ne précisant pas, par exemple, tel ou tel choix précis dans un aménagement public, prenant le risque que les habitants ne le découvrent seulement que lorsque cela sera réalisé. Car une fois que c’est fait, hein ? De même, nos articles dans les supports officiels font volontiers l’impasse sur tel ou tel dysfonctionnement car, mais c’est une croyance, « si on n’en parle pas, ça n’existe pas ! ».

Ainsi, on s’est appuyé sur ce postulat pour construire les premières couches de notre écosystème de communication : les médias (entendre « toutes actions ou supports de communication ») dits « propres » (ceux que l’on maîtrise totalement) et les médias dits « achetés » (ceux avec qui on s’associe, contre rétribution). Puis on s’est aperçu de l’émergence, largement accélérée par les réseaux sociaux, des médias dits « gagnés », ou gagnables : lorsque la cible devient le média et parle de vous, construisant (ou démolissant suivant les cas), votre réputation, votre image ! De là, l’apparition de sources plus communicantes que d’autres, bénéficiant d’un haut-parleur médiatique plus puissant et couvrant une plus large dimension : les « influenceurs » ! Mais on n’oubliera pas au passage ces fans ou followers qui, même sans grande audience a priori, envahissent vos murs virtuels et vos TL de leurs posts oscillant, sous apparente défense de l’intérêt général, entre alertes sur des dysfonctionnements de vos services publics, avis tranchés sur la « compétence » des élus et des fonctionnaires et plaidoiries au service d’intérêts uniquement corporatistes.

Dès lors, il a été question de les repérer et de tenter … de les influencer ! L’un pour alimenter en belles expériences son blog tourisme, l’autre pour mettre en avant telle innovation développée par une de vos start-ups, un troisième pour dire du bien d’un de vos évènement, un quatrième pour faire de belles photos de votre dernière réalisation, etc.

On a pris conscience que l’Autre peut avoir une double casquette : être une cible, mais aussi un relais. Et souvent relais d’opinion.

En somme - changement de paradigme ? - on a pris conscience que l’Autre peut avoir une double casquette : être une cible, mais aussi un relais. Et souvent relais d’opinion. Avec toute cette crédibilité accordée a priori pour des avis étiquetés comme « non officiels », donc supposés être spontanés et sans soucis de retour sur investissement. Certes, on évitera la « récupération » des « bons papiers » ; elle se flaire à plusieurs lieux à la ronde : vouloir transformer un média gagné en média propre ou acheté n’est ni invisible, ni indétectable.

Mais vous allez me dire que depuis des décennies, et bien avant le social media management, on savait que telle ou telle personne était à « chouchouter », car apte à diffuser dans ses cercles toutes les nouvelles, les bonnes comme les mauvaises, et à chaque fois accompagnées d’avis forts ! C’était la boulangerie du coin qui voit passer tant de personnes, c’était le directeur d’école en contact avec tous les parents d’élèves, c’était l’association sportive et ses centaines d’adhérents, etc … Vous noterez néanmoins que les réseaux sociaux ont largement donné plus de poids à ces bavardages entre voisins et que, surtout, ils ont donné la parole à de parfaits inconnus que ni vos élus, ni leurs conseillers, ni vos collègues ne connaissaient et n’avaient détectés.

Il ne s’agit plus de déclamer son histoire à qui veut l’entendre, il s’agit de la faire co-construire par les cibles elles-mêmes, les incitant, en titillant leur sens de l’engagement, à partager et à raconter leurs « expériences » du territoire.

Nos collègues du tourisme l’ont compris depuis longtemps, eux qui sont souvent, obligation de résultat oblige, bien plus en lien avec les évolutions permanentes des attentes de leurs cibles et bien plus réactifs pour adapter leurs offres en quasi temps réel. Ainsi, si le secteur du tourisme a su développer le storytelling, ils sont depuis passé au storymaking, car il ne s’agit plus de déclamer son histoire à qui veut l’entendre, il s’agit de la faire co-construire par les cibles elles-mêmes, les incitant, en titillant leur sens de l’engagement, à partager et à raconter leurs « expériences » du territoire. Un joli défi pour l’influence ! Question : à quand l’incitation à publier son expérience de l’état-civil, de la collecte des déchets ou de l’inscription en piscine ? Ces sujets étant pris absolument au hasard.