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Putains d’efforts cognitifs !

Publié le : 31 août 2018 à 18:01
Dernière mise à jour : 6 septembre 2018 à 11:12
Par Marc Thébault

La communication, c’est l’aire de jeu privilégiée des représentations. C’est aussi l’univers de l’influence. Et souvent pour tenter d’imposer (ou de « rallier à … ») un point de vue principal, notamment celui de la collectivité. Vous le savez, c’est super compliqué. Car, en règle générale, pour accepter un nouveau point de vue, il faut faire quelques efforts cognitifs et abandonner ses propres certitudes. Et cela, c’est encore plus super méga compliqué. Replongez-vous dans les théories de représentations sociales pour aller plus loin. De mon côté, je vais tenter de faire simple.

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Par Marc Thébault

Un récent matin, sur Twitter, j’ai déroulé un thread passionnant (début sous ce lien) du compte de Belore Stergann. Suite à une remise en cause de l’authenticité d’une photo du projet Space X (voir ci-dessous) sur une base visiblement très fondée scientifiquement, genre : « Eh les mecs! On voit même pô d’étoiles dans le ciel, cette photo est trop bidon, trop des nuls ! », Belore Stergann se lance, plein d’énergie et de bienveillance, dans une explication pédagogique, détaillée, donc longue, pour expliquer avec des faits et des preuves incontestables pourquoi on ne voit pas d’étoiles dans le ciel, en raison même des conditions de prises de vues. Il conclut ainsi :

Premier constat, pour tenter de comprendre, donc d’éventuellement changer de point de vue, il faut accepter de consacrer du temps et de faire un minimum d’efforts intellectuels. Et ce n’est pas toujours le sport le plus pratiqué, notamment sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, qui d’entre vous ira lire tout le thread ? à noter que sera également titillée la capacité à accepter, ou pas, d’avoir eu tort, puis de le reconnaître.

Mais un second constat est venu en lisant l’échange ci-dessous dans les commentaires de ce thread, on ne regarde qu’au travers de ses propres filtres, ignorant et/ou écartant donc tout ce qui n’entre pas, a priori, dans nos cadres de références, et tant pis pour la qualité et l’expertise de nos références :

Ainsi, saturés d’effets spéciaux exceptionnels des blockbusters, nous deviendrions très sceptiques lorsque la réalité se montre si tristement en-dessous de sa représentation. Inutile de vous dire qu’un parallèle est certainement possible avec la vision des ébats amoureux de la vraie vie comparés aux films pros de boules, mais ce n’est pas mon propos ici et maintenant !

« Nous deviendrions très sceptiques lorsque la réalité se montre si tristement en-dessous de sa représentation »

C’est aussi comme cela que, en première intention, on pense que « Le pape suggère la psychiatrie » - extrait d’une réponse du Pape François à une question sur les conseils qu’il pourrait donner à des parents dont un enfant serait homosexuel – est (je ne sais pas : plus « vendeur » ? plus « crédible » ? plus « putaclic » ?) à choisir en Une car « conforme » à l’idée que l’on se fait de la réponse qu’un homme d’église standard donnerait à une telle question. Et c’est rapide à lire un extrait. En effet, écouter toute la réponse (la chercher au préalable, tenter de ne pas déformer les propos, faire taire ses fameux « filtres » internes, accepter de remettre en causes ses certitudes, sa vision du monde, etc …) c’est beaucoup de travail et d’énergie. Au passage, merci à Brut qui a été le 1er média à calmer tout le monde en diffusant la réponse complète. De plus, c’est ne pas craindre d’être stigmatisé, car ne hurlant pas avec la meute (ou Le Café du Commerce, au choix).

Nous l’avons constaté depuis belle lurette : notre principal taff est d’abord de repérer les représentations de nos cibles, pour comprendre d’où elles parlent, comment elles voient le monde, puis de déterminer le processus (ou « les processus », si l’on pense qu’il convient de s’adapter à chaque cible) à mettre en place pour aller là où l’on voudrait. Ensuite, de proposer notre représentation et faire en sorte qu’elle s’impose face aux autres. Et, en parallèle, anticiper que cela déclenchera des réactions négatives et positives et que nous devrons composer avec. Et cela pour tous les sujets.

Certains seront plus faciles à traiter que d’autres, notamment lorsqu’une majorité stable s’est établie autour d’eux. Peu de gens contestent encore le fait d’avoir à trier ses déchets, comme la plupart ont saisi qu’un chantier sur un espace public entraîne des désagréments. Comme on dit « c’est entré dans les mœurs !».

Mais s’il s’agit de parler d’accueil de migrants, de la déontologie présupposée de la presse, des relations du pouvoir avec les médias (lisez donc cet article de Vanity Fair), pour ne prendre que ces exemples, c’est une autre paire de manche …

Idem pour les supposés atavismes gaulois. À ce sujet, une fois de plus merci Twitter, je suis tombé sur cet excellent article de Philippe Silberzahn (bio ici), intitulé « Transformation : en finir avec la notion de résistance au changement », où l’on peut lire dans sa conclusion : « Les grands programmes de transformation butent en effet sur une contradiction : d’une part, la transformation est rendue nécessaire par l’avènement d’une société plus entrepreneuriale dans laquelle la réussite et la performance futures reposeront sur la créativité et l’autonomie. Mais d’autre part, ils restent piégés dans des modèles mentaux anciens *: un but fixé par la direction générale, un plan d’exécution, une méthode, des exécutants … des notions bien éloignées du monde entrepreneurial …*
Un changement de modèle permettra de voir les choses différemment, de mieux identifier les problèmes et d’ouvrir des possibles inimaginables. Il ne peut advenir qu’en repensant complètement la façon-même de procéder. Si notre époque change radicalement, il ne faut pas juste changer ce qu’on fait, mais la façon dont on le fait et, surtout, la façon dont on conçoit ce qu’on fait. C’est donc la façon même de se transformer qu’il faut changer. »
Mais certains analystes nous ont expliqué que cette « maladresse » n’en était pas une (merci Philippe Moreau-Chevrolet, merci Anne-Claire Ruel) car elle viserait plutôt le détournement d’attention, à la mode Edward Bernays (quel empaffé celui-là !) : « La technique a porté ses fruits : le soir même et aujourd'hui encore, les experts médiatiques de tout poil, dont je (il s’agit d’Anne-Claire Ruel – ndlr) fais partie, s'interrogent et tentent de décrypter la moindre signification de cet élan. Mais que disons-nous sur le fond ? Absolument rien. Une chambre d'échos qui détourne des sujets majeurs : la catastrophe climatique et environnementale qui nous attend, les affaires qui émaillent la présidence d'Emmanuel Macron, des réformes à venir qui promettent d'être difficiles à accepter pour les Français ». Comme quoi, c’est donc sans fin, il fallait faire l’effort de lire ces analyses !

Remarquez, parfois, on peut faire efficace en disant des choses simples et basiques (oui, ma référence est caennaise !). La preuve en image :

La prochaine fois, nous parlerons des théories du complot au service de la « domestication de l’étrange », selon l’expression de Serge Moscovici.