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Un bon dircom public est-il un dircom névrosé ?

Publié le : 15 octobre 2018 à 21:28
Dernière mise à jour : 18 octobre 2018 à 14:12
Par Marc Thébault

L’objectif de ce modeste billet est de tenter de répondre à une question cruciale : un bon dircom public est-il un dircom névrosé ? Question accompagnée de mises en garde sur deux grands dangers qui nous guettent, la "notabilisation" et la "starification".

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Si l’on en croit la psychologie sociale ou les théories de la perception : on a l’image que l’on mérite. Partant de là, force est de constater que les dircoms sont, sans aucun doute possible, en partie responsables de leur image, y compris son versant négatif. Il fait dire qu’ils donnent à voir des aspects d’eux-mêmes et de leurs métiers qui deviennent, forcément, autant d’idées reçues et de clichés … Mais il paraît que l’on périt toujours par où l’on a péché. Ainsi, les dircoms publics peuvent-ils être considérés comme des militants serviles, véritables "yeux de Moscou" toujours prompts à dénoncer auprès du Cabinet les déviances remarquées dans les services.

Car l’on périt toujours par où l’on a péché

Ils pourront aussi être vus comme des vantards assoiffés de lumière, au nom sans doute d’un ego dont la démesure est incompatible avec la réserve attendue dans la fonction publique territoriale. Ils pourront également être assimilés à des fous du Roi, des gadgets, des danseuses, totalement déconnectés du fonctionnement de leur collectivité, uniquement centrés sur des outils inutiles et chers et, visiblement, autorisés à déjouer en toute impunité les procédures des marchés publics. Le tout sachant que, à la base, certains pensent que "dircom" n’est pas un métier : tout au plus occupation pour fils (ou fille) à papa (ou à maman) oisif (ou oisive) et ayant, tant bien que mal, après un bac passé trois fois, usé quelques pantalons (ou jupes) sur les bancs d’une école de com privée aux tarifs rédhibitoires et n’ayant effectué ses stages pratiques que dans des cocktails ou des réceptions VIP.

Mais allons plus loin. Dans le titre de ce billet, j’ai employé le terme "névrosé". Que l’on ne se méprenne pas sur mes intentions, je revendique haut et fort le terme et me l’applique à moi-même en tout premier lieu. Voici mon parti-pris : nous pratiquons un métier bien étonnant, celui de se contenter de l’ombre pour mettre l’Autre dans la lumière, tout en recherchant, par ailleurs et quand même, une portion de cette lumière.

Ainsi, nous faisons partie de divers clubs de la presse ou de communicants. Nous participons à des colloques spécialisés. Nous allons chercher des prix décernés par nos pairs. Professionnellement, nous sommes régulièrement appelés à représenter l’Autre (entendre ici "notre patron"). Situation parfois paradoxale qui nous revient régulièrement en pleine face lorsque nous tentons de préserver un équilibre fragile entre l’abnégation demandée - c’est l’Autre que nous mettons en valeur - et la mission de représentation et de vente de ce même Autre (élu ou collectivité). En somme, nous serions souvent victimes de la fameuse double contrainte qui nous oblige, professionnellement à métacommuniquer sur nos actions tout en étant le plus translucide possible afin que la lumière n’atteigne que nos commanditaires.

Dircoms : les champions du "savoir dire ce que l’Autre veut entendre"

Mais, en définitive, qu’est-ce que notre métier si ce n’est celui de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire "aimer l’Autre" ? Par essence, pour faire court et en rappelant que nous sommes dans le registre du symbolique, nous sommes dans un exercice professionnel exclusivement tourné vers une quête : celle de l’Amour, mais de l’Amour pour l’Autre. Pour cela, nous déployons tous les ressorts possibles de la séduction. De là à penser que les meilleurs dircoms sont ceux qui, par leur profil psychologique, savent le mieux séduire (ou qu’ils sont ceux qui ont le plus grand besoin de séduire), voici un pas que je ne vous forcerai pas à passer. Et pourtant, nous sommes bien les champions du "savoir dire ce que l’Autre veut entendre". Comment séduire sinon ?

Nos compétences seraient alors directement liées à une certaine capacité d’écoute et d’observation, voire d’empathie, qui nous donnerait cette faculté essentielle de poser nos patrons (au sens large du terme) là où ils sont attendus, de les rendre conformes aux attentes. Et, comme Cyrano de Bergerac qui depuis l’ombre du balcon de Roxane dirige la lumière vers Christian puis assiste, la mort dans l’âme, à la conquête victorieuse de ses mots, nous repartons penauds (je voulais écrire « la queue entre les jambes » mais cela m’a semblé un tantinet trop trivial) pour ne réussir à briller que là où nous pouvons le faire : entre Cadets, entre petits soldats … au Cap’Com quoi … ou sur Facebook, LinkedIn ou Twitter ! Certes, nous pouvons tenter de nous persuader que c’est nous que Roxane aime à travers Christian. Mais dans les faits, nous ne pouvons que déclarer sous le balcon lorsque Christian l’embrasse :
« Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
- Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare !
Il me vient dans cette ombre une miette de toi,
- Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit,
Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre
Elle baise les mots que j’ai dits tout à l’heure ! ».

Dans notre histoire à nous, Roxane ne dira jamais à la fin « La voix dans la nuit, c’était vous ! » car une telle révélation dans nos milieux professionnels nous condamnerait inéluctablement. La question est donc bien là. En déployant nos efforts pour faire aimer un tiers, serions-nous en train de nous faire aimer par procuration ? Quel est donc ce vide que l’on comble par truchement sans oser l’affronter en direct ? Et après vous me direz que tout ceci n’est pas la preuve de nos névroses ? Mais puisqu’il convient d’avancer coûte que coûte, faisons avec et consolons-nous en nous disant que nous venons de trouver la figure symbolique qui manquait à notre profession, son étendard, sa mascotte, sa figure de proue, que dis-je sa figure de proue, son Saint Patron : le grand Cyrano !

Un bon dircom public est certes névrosé ... mais il est discret

Denis Gancel (président-fondateur de l’agence de communication W&Cie), il y a quelques années, signait un ouvrage se définissant comme un guide de la communication à l’usage des élus des collectivités locales. Sous le titre Heureux l’élu qui communique, l’auteur dressait, entre autres choses, un portrait du "bon dircom". S’adressant aux élus, l’auteur recommandait de choisir un professionnel répondant aux critères suivants : « Il ne vous ressemble pas. Il ne vous est pas inféodé. Il a assez de foi dans ses propres compétences pour vous avertir de vos erreurs. C’est une personne de conviction, et qui sait défendre une idée, contre un prestataire et même contre vous. C’est un diplomate, quelqu’un qui entretient de bons contacts avec les uns et les autres, joue les ambassadeurs, et sait délivrer là où il passe une image qui vous sert. Il connaît bien le marché des agences, mais il n’a pas de choix pré-établi, ni d’ascenseurs à renvoyer. Il possède la double compétence. D’une part, une bonne connaissance du milieu politique et administratif […] D’autre part, une bonne pratique du monde des agences […] C’est un bon interprète de votre volonté stratégique. Il sait enfin que, dans une collectivité, il ne sert à rien de jouer la carte personnelle, de se mettre en avant. Décidé en interne, il sait se montrer effacé à l’extérieur … ».

Puisque je vous le disais qu’il fallait la jouer profil bas ! Les deux dangers principaux qui guettent les dircoms se nommant "notabilisation" et "starification" ! Alors, un bon dircom est-il forcément un dircom névrosé ? Oui, certes névrosé ... mais discret !

Illustration : neo-masculin.com