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De quoi l'affaire Griveaux est-elle révélatrice ?

Publié le : 27 février 2020 à 08:32
Dernière mise à jour : 4 mars 2020 à 21:53
Par Marc Cervennansky

Oh non ! Pas lui aussi ! Encore un article et un avis éclairé sur cette sombre affaire ? Entendons-nous bien : nous ne parlerons pas ici du contenu de la sextape de Benjamin Griveaux mais de ce qu’induisent les débats suscités par l'étalage public d’informations privées. Ou comment les politiques semblent dépassés et ne rien comprendre aux réseaux sociaux.

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Par Marc Cervennansky.
@Cervasky

La diffusion virale d’une vidéo intime de Benjamin Griveaux, l'ayant conduit rapidement à renoncer à briguer la mairie de Paris, a relancé une énième fois le débat sur la dangerosité supposée des réseaux sociaux.
Aussitôt le scandale de la sextape dévoilé, plusieurs représentants de la nation se sont empressés à leur tour d’investir les réseaux sociaux pour les diaboliser et réclamer davantage de contrôle.

Copie d’écran du tweet de Bruno Bonnell, député LREM du Rhône, et de celui de Gérard Larcher, président du Sénat.

Mais de quoi s’agit-il ici ? Une partie de la classe politique dénonce l’impunité et l’anonymat qui régneraient en maîtres sur Facebook ou Twitter. Or, dans « l’affaire Griveaux », ni l’une ni l’autre ne sont de mise.

Point d’anonymat dans la divulgation et le partage de l’enregistrement vidéo : les coupables ont rapidement été identifiés. Ce sont des personnalités connues qui ont contribué à propager l’information délictueuse, pas une foule de comptes anonymes. Un député en mal de visibilité médiatique s’est même empressé de diffuser le lien vers le site hébergeant la vidéo incriminée. Fort heureusement, la plateforme et le compte de l’élu ont été fermés depuis.

Copie d’écran du tweet du député Joachim Son-Forget

Point d’impunité non plus : Piotr Pavlenski et Alexandra de Taddeo, accusés d’avoir mis en ligne l’objet du délit, ont été très rapidement mis en examen.

Quelle utilité de réclamer de nouvelles lois alors qu’un cadre juridique existe déjà ?

Au-delà de l’effroi, légitime, de voir étaler sa vie intime et privée sur les réseaux sociaux, l’emballement des élus a de quoi laisser perplexe. Quelle utilité de réclamer de nouvelles lois alors qu’un cadre juridique existe déjà ? Le revenge porn, ou vengeance pornographique en français, peut être puni de deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende (article 67 de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016).

Quant à l’anonymat, que certains confondent avec le fait d'utiliser des pseudonymes, il est également encadré par l’article 6.1.II de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui impose aux réseaux sociaux de conserver les données de manière à garantir l’identification des auteurs des publications incriminées. Si la triste Monique Parmégarde avait poursuivi son cyber-harcèlement, sa réelle identité aurait pu être rendue publique.

La modération est laissée à l'appréciation de Facebook, Twitter, YouTube

Ces débats portés par certains politiques et journalistes sont donc stériles, désignant les réseaux sociaux comme parfaits coupables face aux dérives de certains individus. Des dispositifs sur l’éducation à l’usage du numérique, des sensibilisations sur les responsabilités personnelles, sur la protection de ses données, seraient plus constructifs et pertinents. Mais les élus semblent absents sur ces questions essentielles.

La modération des contenus mis en ligne est aujourd’hui laissée à l'appréciation de Facebook, Twitter, YouTube, qui emploient des armées de petites mains sous-payées pour décider en quelques secondes de l’approbation ou de la suppression de publications, selon des règles établies par leurs employeurs.
Vous aurez pu observer, puritanisme américain oblige, qu’un bout de sein (y compris dans une œuvre artistique) est plus facilement censuré qu’une image violente.

Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, continue de clamer que son entreprise ne peut être considérée comme un éditeur responsable des contenus publiés.

Mais répétons-le, les réseaux sociaux ne sont pas un no man's land juridique. Vouloir les contrôler davantage, c’est le risque de porter atteinte à la démocratie. Entendre le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, constater que la censure chinoise des réseaux sociaux permettrait de mieux gérer la crise liée au coronavirus a de quoi inquiéter.

Beaucoup de bruit pour rien de la part de nos représentants nationaux ? Et s’ils suivaient une formation pour bien comprendre comment utiliser à bon escient les réseaux sociaux ?

Illustration : photo de Clint Patterson – Unsplash.com.