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Les bons réflexes pour bien protéger son nom

Publié le : 1 mars 2017 à 14:00
Dernière mise à jour : 2 février 2021 à 12:48
Par Anne Revol

Les communes nouvelles et les nouvelles intercommunalités se sont attelées ou s’attellent au choix d’un nouveau nom pour leur territoire. Un exercice délicat dont le résultat pourrait bien être mis à mal si ces collectivités ne veillent pas à protéger leur dénomination.

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Les collectivités territoriales ne disposent pas d'un droit exclusif sur leur nom : il peut donc être utilisé par un tiers dans le cadre de l'exercice d'une activité commerciale par exemple. Cependant, pour se protéger contre les usages abusifs qui peuvent être faits de leur dénomination, elles peuvent s'appuyer sur le droit de la propriété intellectuelle, le droit des marques, et le droit des noms de domaines. Plusieurs actions peuvent être menées en amont pour se prémunir de ses mauvaises utilisations, ou en aval pour faire valoir les droits sur la dénomination.

Déposer son nom comme marque pour obtenir le monopole sur son exploitation

Une collectivité a tout intérêt à procéder au dépôt de son nom comme marque, pour éviter qu'un tiers ne vienne un jour frapper à sa porte en lui en interdisant l'utilisation. La législation ne permet pas à une collectivité d'interdire a priori l'enregistrement de son nom, à titre de marque par un tiers. La commune de Laguiole en a fait l'expérience en s'apercevant en 2009 qu'elle ne pouvait pas procéder au dépôt d'un nouveau logo contenant son nom. Un entrepreneur francilien avait déposé en 1993 la marque Laguiole afin de commercialiser des couteaux importés d'Asie et d'autres produits.

Pour éviter de se retrouver dans une telle situation, une collectivité peut déposer son nom comme marque auprès de l'INPI. Le dépôt de marque permet en effet d'obtenir le monopole d’exploitation d'une dénomination sur le territoire français pour 10 ans, renouvelable indéfiniment.

Comment procéder au dépôt de son nom ?

Savoir ce que l’on peut protéger ou non.

Avant de procéder au dépôt, la collectivité doit savoir ce que l’on peut protéger ou non. Pierre Chanut, directeur de l'agence Nyméo, en a dressé la liste lors de son intervention l'an dernier aux 3e Rencontres nationales communication et marketing territorial :

Ce qui peut être protégé :

Une lettre (A, région Alsace), un chiffre (64), un groupe de lettres (comme le sigle PACA), un mot existant (Breizh), un néologisme (Vulcania), un slogan (OnlyLyon), un patronyme, un nom géographique (stylo Mont-Blanc), une locution (Les nuits de Fourvière). Mais aussi un signal sonore, une image, un dessin, un logotype (les anneaux olympiques), ou une forme.

Ce qu’il faut éviter :

  • Un signe, un mot ou une expression qui décrit l’objet, le sujet (Ex. : l’expression “pure laine” seule ne peut être choisie pour un tapis en laine) ;
  • Un terme qui pourrait tromper le public sur la nature, ou la provenance. (Ex. : “Genéva”, pour des montres fabriquées en France.) ;
  • Des termes “élogieux” utilisés seuls, comme “Super” ou “Plus”… ;
  • Un mot ou une expression contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (Ex : slogan raciste) ;
  • Certains signes officiels protégés (armoiries publiques, drapeaux, etc) listés auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) ;
  • Une Appellation d’origine. Celle-ci est constituée par un nom réglementé (Ex. : “bordeaux“ seul, pour un vin, est interdit).

Vérifier la disponibilité du nom

Vérifier la disponibilité d’une marque ne constitue pas une obligation légale, mais ne pas le faire est risqué. Si le nom n’est pas disponible, le dépôt de marque peut être contesté à tout moment par les propriétaires de droits antérieurs qui peuvent, par exemple, vous attaquer pour contrefaçon ou pour concurrence déloyale et vous interdire d’exploiter votre marque (possibilité de dommages et intérêts).

Le nom ne doit pas reproduire ou imiter un signe qui bénéficie d’un droit antérieur, pour des produits ou des services qui seraient identiques ou similaires aux vôtres :

  • une marque déjà déposée ;
  • une marque très connue mais non déposée (“marque notoire”) ;
  • une dénomination sociale;
  • un nom commercial ;
  • un nom de domaine, une indication géographique protégée ;
  • un droit d’auteur.

Choisir les domaines dans lesquels protéger son nom

Un dépôt de marque n’a pas vocation à protéger un nom de manière générale, mais un nom identifiant des produits et/ou des services. Avant de procéder au dépôt, la collectivité doit donc déterminer avec précision les domaines dans lesquels elle juge utile de protéger son nom. Les produits et services identifiés sont ordonnés selon la « classification de Nice » qui comprend 45 classes différentes regroupant des produits et services de même nature.

Effectuer le dépôt

Le dépôt s'effectue ensuite par courrier ou en ligne. Son coût dépend du nombre de classes sélectionnées : 250 euros (210 euros pour un dépôt électronique) pour une, deux ou trois classes, puis 42 euros pour chaque classe supplémentaire. Au bout de 10 ans, il faut également penser à renouveler le dépôt de sa marque (coût similaire à celui du dépôt initial) dans les six mois précédents le dernier jour du mois anniversaire du dépôt. La collectivité veillera a rédiger un libellé adapté et pourra solliciter l’accompagnement par un conseil en propriété intellectuelle.

À noter que Le logo et le nom d’une collectivité ou d’une marque territoriale pouvant être amenés à évoluer indépendamment l’un de l’autre, il peut être opportun de procéder à un dépôt séparé de son nom et de son logo notamment dans le cas d’un changement de dénomination dans le cadre de la réforme, ou du lancement d’une marque de territoire.

Déposer les noms de domaines Internet

Depuis 2004, les noms des communes en « .fr » sont protégés par l'Afnic, organisme gestionnaire des noms de domaine nationaux. L'association refusait jusqu'à présent systématiquement d'enregistrer un nom de domaine figurant dans la liste des noms de communes de l'Insee si le demandeur n'était pas une collectivité.

Depuis le 1er juillet 2011, elle ne peut refuser l'enregistrement d'un nom de domaine que s'il existe des éléments permettant d'établir un usage de mauvaise foi et l'absence d'intérêt légitime. Ces exceptions sont introduites par l'article n° 19 de la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques. Le texte précise que l'enregistrement ou le renouvellement des noms de domaine peut être refusé ou le nom de domaine supprimé lorsque celui-ci est « identique ou apparenté à celui de la République française, d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales ou d'une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d'un intérêt légitime et agit de bonne foi ».

Ainsi, pour éviter qu’il ne puisse être utilisé par une autre entité – et aussi limiter la perte d'internaute qui ferait une erreur en tapant l'adresse dans le navigateur- les collectivités qui ne l'ont pas encore fait peuvent avoir intérêt à réserver leur nom et leur variantes (accent, tirets) pour les faire pointer sur leur site web.

Cependant, la réservation du nom de domaine n'équivaut pas à une protection au titre de la propriété intellectuelle. En effet, le nom de domaine ne correspond pas à une marque qui est un titre de propriété intellectuelle protégé après son dépôt.

Pour protéger son nom de domaine des cybersquatteurs ou des concurrents, il est recommandé, en complément de la réservation du nom de domaine et après en avoir vérifier la disponibilité, d'enregistrer également le nom de domaine sous forme de marque auprès de l'INPI dans la catégorie des produits ou services que présente le site.

Rester en veille pour prévenir les usages abusifs

Rappellons-le : les collectivités territoriales ne disposent pas d'un droit exclusif sur leur nom : il peut donc être utilisé par un tiers. En plus des dépôts, la collectivité a donc tout intérêt à rester en veille sur son nom et sur les noms de domaine déjà réservés (utilisés et non utilisés) pour se protéger contre les usages abusifs, Depuis 2015 elle disposent d’un outil pour être alerter d'un dépôt de marque contenant son nom.

Pour éviter de découvrir trop tard l'utilisation de leur nom dans une marque commerciale déjà enregistrée, les collectivités et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont en effet a leur disposition un système d'alerte sur les demandes d’enregistrement de marques contenant leur nom. Entré en vigueur suite à la publication du Décret n° 2015-671, 15 juin 2015 , ce dispositif gratuit leur permet de recevoir par voie électronique les demandes d’enregistrement de la marque contenant leur dénomination dans les cinq jours ouvrables suivant la publication du dépôt.

Pour bénéficier de cette alerte, les collectivités doivent en faire la demande auprès de l'INPI en précisant la dénomination ou le nom de pays pour lequel l’alerte est demandée, l’adresse électronique à laquelle l’alerte doit être envoyée et l’identification de la collectivité ou de l’établissement demandeur et son numéro d’identification Siren.

Une fois alerté, la collectivité dispose d'un délai de deux mois pour engager une procédure d'opposition à l'enregistrement d'une marque auprès de l'INPI selon les disposition de l’article L. 712-4 du code de la propriété intellectuelle. (coût 325 euros).

Attention à l’usage du nom et au renouvellement des dépôts

La collectivité a tout intérêt à programmer le renouvellement du dépôt de marque (tous les 10 ans) et des enregistrements en nom de domaine sous peine de perdre la protection associé. Elle doit également l’exploiter de manière sérieuse pendant une période ininterrompue de cinq ans, sous peine d’être déchu de ses droits.

Faire valoir ses droits

La collectivité territoriale ayant déposée son nom comme marque pourra ainsi mener une action en justice à l'encontre d'une marque en s'appuyant sur l’article L713-3 du Code de la propriété intellectuelle qui précise : « il est interdit, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, la reproduction l’usage, l’apposition d’une marque [...] ainsi que son imitation » et sur l'article L713-5 qui prohibe « la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».

Que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque, elle bénéficie des dispositions de l’article L711-4 d du CPI qui interdit « *l’adoption comme marque d’un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale* ». Ce texte permet à une collectivité de s'opposer à l'utilisation de son nom comme marque lorsque celle-ci peut entraîner une confusion dans l'esprit du public avec une marque déposée par la collectivité, un site officiel ou une action mise en œuvre par celle-ci en laissant croire que la collectivité a avalisé le produit ou le service en cause, ou lorsqu'elle porte atteinte au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale.

Mais la collectivité territoriale qui décide d'engager une action en justice en s'appuyant sur ce texte doit prouver l'existence d'un risque de confusion avec ses propres attributions, d'un risque de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou de nature à porter préjudice à la collectivité. Les juges apprécient ensuite s'il existe réellement une faute, distincte du seul choix par un tiers d'un signe comprenant le nom d'une collectivité. Des décisions judiciaires qui fixent les limites de la protection des noms des collectivités.

Ainsi, la ville de Paris n'a pas réussi à obtenir la nullité de la marque JEUNES A PARIS, déposé par la société Studyrama, exploitant un magazine du même nom destiné aux étudiants et comportant des rubriques relatives aux loisirs, restaurants, voyages, etc. Dans un jugement du 24 novembre 2004, le Tribunal a rappelé que la ville de Paris devait prouver que « la dénomination critiquée est de nature à tromper le public quant à l'origine des produits ou à la garantie qu'il penserait être en droit d'attendre de la collectivité.». Il a rejeté la demande en nullité car les produits et services de la marque JEUNES A PARIS ne relevaient pas exclusivement des attributions municipales, de telle sorte que le public n’était pas nécessairement amené à penser que ces services étaient proposés par la ville de Paris et qu' « un tel raisonnement conduirait à interdire toute marque comportant le nom Paris en association avec d'autres mots ».

Quelques années plus tard, la ville de Paris obtiendra gain de cause dans une autre affaire face à l'association Paris-sans fil, ayant déposé et exploitant la marque du même nom en classe 38 ( télécommunication, communication par réseaux de fibres optiques, etc.) Dans un jugement du 6 juillet 2007, le TGI de Paris donnera raison à la collectivité qui estimait que cette exploitation portaient atteinte « aux droits de la ville sur son nom, sa renommée et son image, (...) et constitueraient en outre un usage trompeur pour le public ». La ville de Paris avait alors démontré qu'elle intervenait de façon active dans le domaine des NTIC, et notamment dans le domaine du développement du haut débit et du système Wifi, et que l'emploi par l'association d'une marque déposée pour désigner des services identiques et similaires entraînait un risque de confusion avec ses propres activités.

Illustration : Freepik

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