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Les mots pour ne pas le dire

Publié le : 17 septembre 2019 à 08:07
Dernière mise à jour : 24 septembre 2019 à 16:10
Par Alain Doudiès

On n’y prend guère garde. C’est une imprégnation insidieuse. Des mots qui s’immiscent dans notre vocabulaire, des mots trafiqués, traîtres, trompeurs.

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Il y a ceux qui passent de l’univers de la publicité à celui de la politique : « Carrefour positive » et « La positive attitude » (Jean-Pierre Raffarin). Il y a ceux, anodins, qui font moderne, tels que « mobilité », formulation employée plein pot pour parler transports publics. Mais – bon sang ! – qui dit « J’use de mes mobilités pour aller à la piscine », au lieu de « J’organise mes déplacements » ? Pire, il y a de véritables escroqueries : « Plans sociaux » pour travestir « licenciements collectifs » d’une apparente rationalité ou « éloignement de migrants » pour ripoliner de bonne conscience « expulsion d’étrangers ».

La « fraude des mots »

Sommes-nous épargnés ? Mettons-nous d’abord sous la rassurante houlette de deux penseurs. Platon : « La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » George Orwell, en écho à la « novlangue » de 1984 : « Penser clairement est le premier pas vers la régénération politique. » La question de prestigieuses références pour valider le propos étant réglée, interrogeons-nous. Que se passe-t-il chez nous ?

Certains mettent l’œil où ça fait mal. « L’administration se paie de mots comme jamais », affirme Xavier Patier, écrivain et directeur général des services du Loir-et-Cher. Il cite des mots dénués de sens ou vidés, à force d’être employés, comme les coups de trompette de « territoires », « gouvernance » , « intelligence collective » ou le cocorico de « co-construction ». Le Loir-et-Cher a conçu un guide pratique, « La rédaction administrative au Conseil départemental » (voir ci-dessous). Il fournit notamment des modèles de courriers clairs, en vis-à-vis des confuses correspondances habituelles. C’est le fruit d'un travail participatif en interne, dans une démarche globale de simplification et d'amélioration des services Quali'dep 41. D’autres proposent des méthodes, tel « Le pouvoir du langage clair », conçu par l’agence Avec des mots, qui a apporté sa contribution aux Rencontres nationales de la presse et des médias territoriaux organisées par Cap’Com.

Pollinisation ou pollution ?

La communication interne est particulièrement touchée par ces ravages. Le vocabulaire du management des entreprises a déferlé. Les cadres sont devenus des « managers ». La « performance », l’« efficience », la « transversalité » inondent les textes de la hiérarchie. La « transformation », héritée du vocabulaire gouvernemental, et la « transition », extension de la « transition énergétique », présentent comme une évolution douce de profonds changements qui secouent les organisations et bousculent les agents. Pomper ainsi le langage de l’entreprise, est-ce une féconde pollinisation ou une nuisible pollution ?

Nous sommes des passeurs de mots. Veillons-y.