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Presse territoriale : des clés pour définir le bon angle éditorial

Publié le : 3 octobre 2019 à 15:43
Dernière mise à jour : 4 octobre 2019 à 12:03
Par Sabrina Benaoudia

Traiter un sujet, c’est d’abord choisir une manière pertinente et originale de le développer en lien avec son projet éditorial, ses valeurs, son lectorat. Lors des 10es Rencontres nationales de la presse et des médias territoriaux, Bruno Lafosse, directeur général de l’agence Boréal et ancien dircom de la ville de Dieppe, a dispensé de précieux conseils sur la méthodologie à adopter pour exploiter au mieux vos rédactionnels et renouveler le traitement des sujets abordés régulièrement dans vos publications, à travers un focus sur la notion d’angle.

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Par Sabrina Benaoudia, ancienne étudiante en licence professionnelle communication éditoriale et digitale à l'IUT Bordeaux Montaigne et chargée de communication au sein du COMPTRASEC de l'université de Bordeaux.

Définition : qu’est-ce qu’un angle ?

L’angle est le biais par lequel on aborde un sujet, le point de vue que l’on choisit de traiter, pour évoquer un aspect nouveau, important, inédit. La notion d’angle permet de déboucher sur différents éclairages et approches. L'angle constitue, à lui seul, une gymnastique intellectuelle pour parfaire au mieux la rédaction. Il doit pouvoir se résumer en une question ou une phrase. Il doit être formulé clairement en début d’article, dans le chapeau, afin d’introduire le sujet, de le contextualiser. L'angle donne un signal au lecteur (« Voilà où on va et on t’invite à cheminer avec nous ! »). C’est un fil rouge qui permet d’éviter de se focaliser sur son institution en gardant à l’esprit les besoins des lecteurs.

Il y a autant d’angles possibles que de sujets, mais il faut traiter l‘information sous un seul angle.
Pour multiplier les approches, il est préférable de tourner autour du sujet, le découper en différents points de vue. Il s’agit de veiller à multiplier les niveaux de lecture, les « entrées » possibles dans le sujet. Cette démarche facilite la lecture et peut enrichir la rédaction via, par exemple, l'élaboration d'un dossier.

Angle et genre, deux notions à dissocier

C’est l’angle retenu qui permet de définir le genre journalistique utilisé et non l’inverse. C’est en partant de l’angle qu’il faut se questionner sur « quelles sont les ressources journalistiques à même d’apporter des réponses à mes lecteurs ? ». À un certain stade, le genre et l’angle peuvent se confondre pour devenir une rubrique à part entière. À titre d’exemple, la ville de Nantes a créé une rubrique pour faire découvrir au lecteur un lieu de façon originale et différente à chaque fois et ce, à travers le regard d’un employé de la ville (l’agent d’accueil, l’agent d’entretien, etc.), d’une personnalité. Cette confusion entre l’angle (point de vue décalé sur un lieu) et le genre est assumée. Elle est au cœur de la réflexion que le comité de rédaction doit mener afin de se renouveler dans le traitement de sujets qui sont abordés fréquemment.

Le genre journalistique façonne la rédaction grâce à sa diversité. Il est souvent imposé par la charte éditoriale et graphique. Il se répartit en cinq grandes sous-catégories : information stricte, récit, étude, opinion, commentaire.

Dans son magazine, la ville de Nantes adopte un angle original : une visite guidée avec une personnalité de la ville.

S’appuyer sur son projet éditorial pour dégager une méthodologie

Il faut s’appuyer sur son projet éditorial afin de mener une réflexion sur la notion d’angle. L’idéal est de bâtir un questionnaire et de s’inspirer des différents éléments clés qui constituent sa charte éditoriale pour déceler les angles potentiels. Ces questions sont souvent les suivantes :

  • à qui s’adresse-t-on ?
  • quel est le spectre d’information du support ? (l’ensemble des sujets à traiter)
  • quel est le ton, le style, le support ?
  • quelle est la périodicité ?

En effet, la périodicité du support définit l‘angle. Dans un hebdomadaire, il est possible de dégager plusieurs angles. Un mensuel permet de rédiger sous différentes approches et développer des dossiers, inclure des infographies, mettre en œuvre des choix forts pour éclairer une thématique qui est d’actualité. Dans le cadre d’un trimestriel, le choix de l’angle est moins lié aux événements brûlants, un support numérique peut venir en appui.

Comment travailler les angles en comité de rédaction ?

Pour faire face aux réprobations de ses collaborateurs du type « Ah, mais on n’a pas parlé du budget, on n’a pas abordé telle information ! » et rester dans les « clous » éditoriaux fixés dans sa charte, il est nécessaire de constituer un comité de rédaction ou précomité de rédaction. Ce groupe s’attachera à élaborer des angles. Au préalable, il s’agira de :

Construire de manière efficiente son sommaire :

  • être actif sur la préparation du sommaire du journal et solliciter tout un réseau d’informateurs (différents services, personnalités politiques, tissu associatif, citoyens, etc.). Il faut développer des idées originales, des initiatives différentes dans le traitement de l’information, même si une idée, à elle seule, ne fait pas un sujet. Il est important que le lecteur n’ait plus l'impression de lire fréquemment le même numéro et ce, en renouvelant les centres d‘intérêt à travers la question de l’angle. Une information et un angle différents à chaque support constituent un enjeu crucial (de quoi parle-t-on ? Comment on en parle et avec quels outils journalistiques ?) ;

  • anticiper en listant les sujets à traiter selon des critères objectifs (nouveauté, originalité d’une initiative…), décortiquer les sujets pour élaborer des angles ;

  • construire une réponse éditoriale afin de développer un sujet principal et déployer des outils autour (définir un sujet leader + des sujets secondaires/mineurs, des micro-papiers). Il est possible d’envisager un certain nombre de brèves, d’outils infographiques, qui viendront enrichir le sujet et répondront également à d’autres besoins et ce, en redistribuant les informations de façon pertinente et attractive. En somme, il s’agit de cultiver des éclairages différents, d’ajouter des éléments calibrés pour ne pas alourdir le texte principal.

Diriger avec perspicacité le comité de rédaction : au sein du comité de rédaction, le degré d’implication de chacun est essentiel, le ou la dircom ne doit pas imposer des sujets à angle fermé. Ce temps de parole repose sur certaines règles :

  • s’astreindre aux outils méthodologiques, non pas pour brider la créativité et l’inventivité mais pour s’imposer des contraintes qui permettront de travailler qualitativement les articles, que ce soit individuellement au moment de la rédaction ou collectivement avec l’ensemble du comité de rédaction ;
  • encourager un devoir de parole et de préparation (journaliste, photographe, graphiste…). Le journaliste doit arriver avec ses propres propositions et idées de sujets. Au comité de rédaction, c’est un travail à initier. Le journal doit être ouvert au débat. Si les élus sont présents, ils ne sont pas là pour brider mais pour apporter un regard différent.

Sur le terrain : affirmer ses choix éditoriaux

Pour réaliser un article, il est nécessaire de prévoir un temps défini par rapport au besoin. S’il s’agit de rédiger un court portrait de 1 500 signes, il faut anticiper en informant l’interviewé(e) sur le calibrage du papier. « On se fixe 30 minutes ensemble, c’est un petit portrait. » Cette transparence vis-à-vis des structures va éviter des tensions au moment du bouclage ainsi que la déception du côté de la personne interviewée.

En outre, sur le terrain, il est important de faire preuve de diplomatie, afin qu’une personne externe n’interfère pas dans le travail de rédaction. Il s’agit d’expliquer les rouages de votre métier, notamment les compétences du comité de rédaction, en charge de définir toutes les informations qui seront abordées dans le journal. Il est important que chacun respecte son domaine d’activité et son expertise.

Varier les angles, pour renouveler les éternels marronniers

Renouveler les éclairages sur une thématique permet d’échapper à la lassitude professionnelle pour le rédacteur et à l’ennui pour le lecteur. Budget, rentrée scolaire, vacances d’été, fêtes de fin d’année, les impôts… Ça sent le marronnier !

Travailler au renouvellement des angles, c’est s’assurer de préserver l’intérêt du lecteur. Les marronniers ne sont pas à négliger, car ils constituent des temps importants dans la vie des citoyens, des lecteurs. Certains de ces sujets sont au cœur de leurs préoccupations et de leur quotidien. Les supports doivent pouvoir parler à tous les habitants, surtout ceux éloignés de l'institution. Au-delà des réglementations et de la vie de la ville souvent présentées dans les journaux, ces sujets permettent de se rapprocher des lecteurs.

Mérignac magazine : la rentrée scolaire sous l’angle budgétaire, des encadrés pour enrichir le papier.

Pour innover dans l’élaboration de l'angle, il faut être à l’écoute des tendances de consommation, des évolutions de mode de vie, etc. Le journal territorial doit s’en faire l‘écho et ce, en s’adaptant aux centres d’intérêt et aux préoccupations des citoyens. Il est nécessaire d’être force de proposition dans les comités de rédaction sur le mode de traitement dans les supports.

Prenons l'exemple de la Toussaint. Sur ce type de sujet, il est possible de déployer différentes approches :

  • rapport des habitants aux morts et aux cimetières ;
  • rapport entre espace urbain et cimetières (promenade, espace vert, biodiversité…) ;
  • lieux d’hommage ;
  • fleuristes ;
  • entretien et agents.

Aussi, il est impératif d’évoluer sur des sujets qui paraissent courts, telle la brève. Par définition, ce genre journalistique renvoie au factuel, mais la brève peut également être anglée, notamment si elle accompagne un sujet principal (article, dossier…).

Un bon visuel apporte une valeur ajoutée à l’information

Les illustrations doivent être étudiées, pensées, réalisées en fonction de l’angle choisi pour traiter le sujet. La photographie, l’infographie, le dessin ou l’illustration n’échappent pas à la question de l’angle. La réalisation graphique est par ailleurs souvent élaborée par un graphiste, il est nécessaire de lui expliciter clairement dans quel « contexte » journalistique sa création va s’inscrire. Chaque élément d’information, même d’illustration, ne doit pas répéter ou enrichir platement le texte. Le visuel apporte son propre angle sur le sujet, procurant une valeur ajoutée à l’information. Pour le construire, il faut mener une réflexion en amont, ne pas imposer une litanie de données et faire un choix cohérent pour une redistribution intelligente des informations. Ainsi, l’infographie s’apparente à une mise en scène de chiffres. Le dessin de presse, quant à lui, induit de penser l’angle pour mieux s’en détacher avec humour.

Magazine Nantes passion : une couverture percutante qui combine photographie et dessin pour illustrer la place des espaces verts dans la ville.

Photo principale : You X Ventures on Unsplash.