Aller au contenu principal

Réseaux sociaux : la grande escroquerie de l’engagement ?

Publié le : 10 mai 2018 à 20:55
Dernière mise à jour : 17 mai 2018 à 10:00
Par Marc Cervennansky

Le succès de la présence d’une collectivité sur les réseaux sociaux se mesure essentiellement par le niveau d’engagement de ses abonnés. Un pourcentage souvent faible et qui n’a peut-être pas tant d’importance que cela.

Dans les mêmes thématiques :
Source : Anthony Samaniego - https://www.instagram.com/anthonysamaniego/

Par Marc Cervennansky @Cervasky

C’était un soir dans le tram. La rame était bondée. Pratiquement collée contre moi, une jeune femme était concentrée sur son smartphone. Je ne pouvais m’empêcher de jeter un oeil sur son écran : elle parcourait son fil Instagram. J’étais stupéfait par la vitesse à laquelle, d’un coup de doigt, la jeune femme faisait défiler les photos tout en cliquant de temps en temps sur les coeurs pour signifier son intérêt pour tel ou tel cliché. Temps moyen passé sur une photo : ½ seconde…

C’est donc ça l’engagement sur un réseau social ? Exprimer une réaction sur un contenu regardé pendant ½ seconde ?

C’est donc ça l’engagement sur un réseau social ? Exprimer une réaction sur un contenu regardé pendant ½ seconde ? D’accord, c’est anecdotique et tout le monde n’a pas un comportement compulsif sur son fil d’actualité, que ce soit sur Instagram, Facebook ou Twitter. Mais cela appelle une réflexion sur la mesure étalon (KPI disent les pros des datas) qu’est l’engagement sur les réseaux sociaux.

Car le niveau d’engagement, qui se définit en général par le nombre de "j’aime", de commentaires et de partages fait partie de l’ADN d’un réseau social. A contrario d’un média “classique”, il est convenu ici d’échanger, de réagir, de partager, de créer un lien social avec sa communauté : ses amis, ses abonnés.

Une injonction : créer de l’engagement

C’est sur ce niveau d'engagement que repose le business modèle des créateurs de ces réseaux sociaux, qui n'hésitent pas à utiliser les neurosciences pour rendre addicts les abonnés : y aller et y retourner régulièrement, le plus souvent possible. En France, 38 millions d’abonnés se connectent en moyenne 35 minutes par jour sur Facebook, par sessions de 1 à 2 minutes, plusieurs dizaines de fois par jour.

Les réseaux sociaux nous proposent un miroir qui flatte notre égo, une quête frénétique du j’aime, du commentaire : « Intéressez-vous à moi, à ma vie, à ce que je publie  ».

Avec plus de deux milliards d’inscrits sur Facebook et 800 millions sur Instagram, il est logique que les marques et les entreprises aient investi ces réseaux, suivies ensuite par le secteur public et les collectivités. Une audience potentielle sans nulle autre pareille, qui attire, comme la confiture les mouches, les marketeurs et autres communicants. Avec une injonction : créer de l’engagement. Certification du succès de sa présence sur les réseaux sociaux.

Pour créer de l’engagement, il existe des recettes, valables un temps, remplacées ensuite par d’autres : créer un titre accrocheur, voir putaclic -« 10 conseils pour draguer, le 3ème est incroyable », créer des visuels attrayants, donner la priorité aux vidéos courtes, demander l’avis de ses abonnés, susciter de l’émotion - « Hoo... c’est beau, Hoo... c’est scandaleux ! »

Le communicant public s’évertue à appliquer les bonnes recettes pour susciter de l’engagement sur la page Facebook de sa collectivité. Mais est-ce vraiment indispensable ?

Donc, le communicant public s’évertue à appliquer ces règles pour susciter de l’engagement sur la page Facebook de sa collectivité. Mais est-ce vraiment indispensable ? Est-il nécessaire de quémander à ses abonnés une réaction, un commentaire ? L’abonné n’est-il pas lassé d’être sans cesse sollicité, alors que dans la plupart des cas, il ne sera donné aucune suite au commentaire publié ? Parce que le communicant n’a pas le temps, parce que souvent les commentaires sont inintéressants et anecdotiques.

L’engagement ne doit pas être une fin en soi

Est-ce qu’à exiger trop d’engagement on ne va pas tuer l’engagement, par lassitude ou par clairvoyance vis-à-vis de procédés trop visibles et devenus mécaniques ? L’engagement ne doit pas être une fin en soi. Il convient peut-être de revoir sa ligne éditoriale et de ne pas publier de belles photos au seul motif que ce sont des belles photos et donc générer plus facilement des "j’aime".

Prendre le temps de repenser aux finalités de sa communication : Pourquoi publie t-on sur les réseaux sociaux ? Quel message veut-on faire passer ? Quels sont l’objectif et la cible à atteindre ?

Attention, ce postulat n’a pas pour objectif de moins travailler le format de ses publications, mais de prendre le temps de repenser aux finalités de sa communication. Pourquoi publie t-on sur les réseaux sociaux ? Quel message veut-on faire passer ? Quels sont l’objectif et la cible à atteindre ?

Dans le secteur privé, l’engagement est stratégique : la finalité est de promouvoir et vendre des produits ou des services, fidéliser des clients. Dans le secteur public, l'engagement a un sens lorsqu’on souhaite faire adhérer les habitants à un projet, à un territoire et aux valeurs qu’il aspire à transmettre. Il en a beaucoup moins quand la collectivité transmet des informations purement pratiques. Est-il vraiment utile de cliquer sur “j’aime” quand on annonce la fermeture de la déchetterie un jour férié ? Il s’agit de faire preuve de discernement et d’arrêter de singer les pratiques des principaux annonceurs du privé.

L’engagement une escroquerie ? Non, mais à manier et évaluer avec lucidité. D’accord ? Pas d’accord ? Community managers : le débat est ouvert.