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Béziers : jusqu’où peut aller la communication territoriale ?

Publié le : 16 février 2015 à 10:44
Dernière mise à jour : 23 mars 2018 à 12:40
Par B. Deljarrie

Les communicants publics du réseau s'interrogent. Avec la dernière campagne d’affichage de Béziers et son pistolet qui défraie la chronique, la ville fait encore parler d’elle. Sa communication interpelle aussi les communicants publics. « Propagande », « communication politique et partisane » « mais communication efficace ». Dans le ton adopté, dans le message véhiculé, jusqu’où peut aller la communication d’une ville ? Croisement entre un regard porté sur une année de communication à Béziers et les réactions qu’elle suscite dans le réseau.

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Depuis quelques jours, la ville de Béziers affiche un pistolet, « nouvel ami » des agents municipaux. Une manière d’annoncer que la police municipale est maintenant armée. Côté graphisme rien à redire à ce visuel, simple, percutant, c’est le cas de le dire. « Malheureusement, techniquement, c’est une "bonne affiche", efficace et claire, limpide même » constate un dir'com d’une agglomération de Normandie.

À Béziers, la police municipale n’aurait donc pas les habitants comme « amis » !

Si l’affiche provoque des réactions, c’est bien sûr pour le message qu’elle porte. Car « elle place la Police municipale dans un rôle agressif et répressif qui n’est, à priori, pas celui d’une police qui devrait n’être que du maintien de l’ordre de proximité » explique un dir'com. « La police municipale n’aurait donc pas les habitants comme amis ». « C'est violent... et la violence, appelant la violence... », renchérit une dircom d’Aquitaine. « C'est annuler d'un coup, par cette affiche, les événements tragiques de Charlie : des innocents sont morts à cause des mêmes armes » analyse une dir'com d’un organisme de logement social d’Île-de-France. « Une affiche qui se la joue Starsky et Hutch en montrant un flingue dans toute sa puissance de mâle, comme un phallus en érection ».

« Je ne vois pas bien l'effet escompté, poursuit une autre dir'com, à part celui de faire parler d'eux... Faire peur aux petits malfrats ? Rassurer papi et mamie ? Provoquer plus probablement... et dans ce cas c'est réussi. Dénoncer ce genre de pratique... mais c'est bien ce qu'ils cherchent, à être conspués pour se positionner comme victime du système... Il faut répondre avec humour ».

L’humour, les réseaux sociaux s’en sont saisis et les détournements de l’affiche offrent une occasion de créativité qui vise à la ridiculiser. Mais si ces détournements sont une réponse, « Soumettre une ville entière à un message unique placardé sur les murs, prévient sur son blog Anne-Claire Ruel, conseillère en stratégie d’opinion et enseignante à l'Université de Cergy, ça n'est pas mener une simple action de communication publique -ou politique-. Cela a plus à voir avec une forme subtile de propagande, qui ne dit pas son nom. Soit la face dévoyée de la communication politique. Celle qui n'a que faire de la déontologie et de l'éthique » . Car, au delà de cette affiche, c’est l’ensemble de la communication de la ville menée depuis un an par le nouveau maire, qui interpelle les professionnels de la communication publique. Une communication menée par un premier magistrat, soutenu par le FN, ancien journaliste, qui n’est pas un débutant en la matière. Il connaît particulièrement bien les médias et a su s’entourer d’un personnel en charge de la communication dont la formation initiale, comme l’ont révélé Le Monde et Médiapart, s’est faite sur le terrain, dans des groupes identitaires de l’extrême droite militante.

La « révolution municipale » à coup d’actions de com’

La ville de Béziers conduit une « révolution municipale, une révolution de mentalité, une révolution de l’esprit », comme le revendique son maire. Et cette révolution se conduit à coup d’actions de com’ qui suscitent souvent la polémique.

Chaque décision est mise en scène et sert de toile de fond à des campagnes chocs. Les blouses achetées par la ville pour être données aux élèves des écoles, même si elles sont restées dans les placards, sont d’abord exploitées pour asseoir un discours sur les "vraies valeurs". L’ouverture de la Féria 2014 par une messe municipale publique au cœur de l’arène, en détournant le spectacle traditionnel, devient un événement phare identitaire mais au détriment de la tradition locale. L'interdiction d'accrocher du linge aux fenêtres, le couvre-feu instauré à certaines périodes pour les moins de 13 ans, la rue du 19 mars 1962 rebaptisée du nom d’un commandant parachutiste putschiste ou encore l'invitation du journaliste Eric Zemmour par la ville créent avant tout des polémiques nationales sans forcement de grandes retombées locales.

La grande campagne, à coup d’affiches, de pétitions et de « Une » accrocheuses dans le bulletin municipal, contre la communauté d’agglomération Béziers Méditerranée à propos du prix de l’eau, est elle aussi l’occasion d’une communication « facile », « démago » et « populiste », comme s’en indignent les élus communautaires.

Cette communication rejette le dialogue et l'esprit critique

« Cette communication, analyse Anne-Claire Ruel, rejette le dialogue et l'esprit critique pour faire l'apologie du "pathos", soit les colères et les peurs ou tout simplement l'émotion "facile", sans distanciation”. Entre images chocs et titres agressifs, entre ton polémique et stigmatisation d’habitants, les techniques de communication adoptées sont simples et efficaces, comme peut l’être la propagande. Au risque de propager une atmosphère conflictuelle comme peut le révéler des tags anti-Ménard qui apparaissent sur les murs de la ville. Comme le font remarquer plusieurs dir'coms, cette communication s’éloigne ainsi des principes essentiels de la communication publique, avant même parler d’éthique ou de déontologie. Qu’en est-il notamment de la nécessaire séparation entre la communication politique des élus et de la communication municipale de la ville ? De même, les professionnels de la communication publique ne sont pas indifférents lorsqu’ils constatent la prédominance de discours de politique nationale au détriment de l’information municipale, l’utilisation des moyens de la ville au service des ambitions politiques des élus ou l’omniprésence du maire dans tous les supports de communication. Des dérives connues, qui furent autrefois fréquentes, et qui ne furent pas simple à vaincre.

« Il faut lutter contre ce type de pratique au nom d'une certaine éthique de la communication qui fonde le réseau Cap'Com », demande cet ancien dir'com, membre du Comité de pilotage du réseau. La Charte des communicants publics de 2012 nous rappelle en effet que « La communication publique s'inscrit dans le cadre des missions de l'information de service public et en respecte les règles en vigueur, tant déontologiques que juridiques. Elle doit s'exercer hors de toute propagande ou falsification des faits et respecter la nécessaire transparence des informations dont elle dispose, tant à l'intention des décideurs que des usagers. La communication publique vise à favoriser la participation éclairée des usagers aux processus de décisions des institutions élus, elle s'attache en outre à créer les conditions et les outils d'un réel débat public comme un élément stratégique de la médiation entre les acteurs de la gouvernance et vise à créer, conforter ou renforcer le lien social ».