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Le Tribunal pour les générations futures a jugé la communication publique

Publié le : 10 janvier 2019 à 10:21
Dernière mise à jour : 10 janvier 2019 à 15:33
Par Bernard Deljarrie

Le Tribunal pour les générations futures a tenu une audience dans le cadre du 30e Forum de la communication publique et territoriale de Lyon. L’occasion d’une réflexion collective sur les priorités et les valeurs de la communication publique. À découvrir, le réquisitoire et la plaidoirie qui ont exalté l’auditoire et conduit au verdict.

La communication publique est-elle encore qualifiée pour contribuer à la vie démocratique ? C’est autour de cette question que, devant une salle de plus de 800 communicants publics, le procureur et l’avocat ont tenté d’emporter l’adhésion du jury. Une audience exceptionnelle du Tribunal pour les générations futures qui a vu durant plus d’une heure trente le 5 décembre 2018 à Lyon se succéder les témoins et les interventions.
Erwan Lecœur, dans le rôle du procureur, a mis en accusation la communication publique au nom des générations futures et de l'intérêt public. Maître Rolande Placidi, avocate de la défense, a plaidé au nom de la communication publique.

La communication publique s'est-elle éloignée de sa mission démocratique au risque de n'être que publicité ou propagande ?

Point de départ de ce débat, les séminaires universitaires conduits à l’occasion du 30e Forum Cap’Com, a expliqué le président du tribunal, Bernard Deljarrie, délégué général de Cap’Com. Un travail de recherche qui a mis en évidence que dans les années 80, les premières directions de la communication dans les collectivités locales se sont organisées autour d’une mission primordiale : faire participer les citoyens à la vie démocratique.

Trente ans après, notre démocratie vit une crise. Abstention record à toutes les élections, défiance envers les élus, critique des institutions, partis politiques et corps intermédiaires en déshérence, opinions populistes et antisystèmes durablement installées, demandes de nouvelles formes de participation… Le mouvement des gilets jaunes, qui échappe aux représentants politiques et revendique une meilleure prise en compte de l’opinion, illustre notamment cette crise.

Depuis 30 ans, la communication publique s’est profondément renforcée, s’est professionnalisée, s’est mieux positionnée et a développé ses outils. Mais n’a-t-elle pas failli à sa mission première ? La communication publique est-elle donc encore qualifiée pour contribuer à la vie démocratique ? Faut-il donc la condamner et l’inviter, dans l’intérêt des générations futures, à redéfinir ses priorités pour mieux veiller à sa mission démocratique sans laquelle elle n’est que publicité ou propagande ?

Réquisitoire du procureur

Condamnons la communication publique, pour lui permettre d’être meilleure demain, au service de l’intérêt général et des générations futures.

Erwan Lecœur

Réquisitoire du procureur : Erwan Lecœur, sociologue, consultant, ancien directeur de la communication de la ville de Grenoble.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les jurés. Et vous, mesdames et messieurs ici présents, pour assister à ce tribunal des générations futures.

Je ne reviendrai pas sur tout ce qui s’est dit depuis l’ouverture de la séance, car le temps nous est compté. Mais je voudrais rappeler en quelques mots pourquoi nous devons déclarer la communication publique coupable, si nous ne voulons pas être accusé de déni de réalité.
En effet, que faudrait-il de plus que ce nous voyons pour dire l’urgence et la nécessité ?
Nos sociétés démocratiques sont prises de convulsions et doivent faire face a de nombreuses colères et remises en cause qui mettent en péril notre pacte social et la démocratie elle-même.
Des pans entiers de la population craignent pour leur avenir et celui de leurs enfants. Ils ont perdu confiance et n’ont plus l’impression d’être considérés, reconnus, écoutés.
L’actualité en témoigne : les marches pour le climat et les gilets jaunes en témoignent. Les marches climat deviennent rébellions et les blocages tournent à l’émeute.
Cette crise est une crise de confiance, contre l’État, et contre tous les pouvoirs… médias et communicants compris.

La communication a une lourde responsabilité.

Vous avez entendu les témoins nous dire comment ils œuvrent chaque jour pour améliorer les choses. Mais aussi - entre les lignes - nous avons entendu et nous pouvons voir aujourd’hui comment cela est difficile, voire pire, parfois.
Car en dépit de tous ses efforts, la communication a une lourde responsabilité. Et la communication publique en particulier, puisqu’elle est investie de cette mission particulière depuis plus de trente ans, qu’elle est devenue un acteur essentiel de nos démocraties : depuis qu’elle s’est donné pour mission d’informer, de relier, de faire participer, de donner à comprendre les évolutions, et de participer au projet démocratique.

Alors, pourquoi condamner la communication publique, aujourd’hui ? Parce qu’elle est responsable – et donc coupable – d’avoir sous-estimé l’ampleur de la crise démocratique qui se déroule sous nos yeux.
Elle est coupable et responsable de n’avoir pas fait progresser le projet de citoyenneté et l’espoir en Europe ; de n’avoir pas fait vivre plus fortement le lien de confiance entre pouvoirs et population ; d’être devenue une prestataire de services efficace, avec des réponses techniques et administratives à tous les problèmes. Mais en perdant le sens global de sa mission.
Ce que je dis n’est pas nouveau. Beaucoup l’ont dit et écrit depuis des années, ici ou ailleurs. Quelque chose grince dans cette belle mécanique. Et il serait coupable de ne rien faire, de ne pas réagir.
Voilà pourquoi je vous demande de condamner la communication publique aujourd’hui. Pour dire et pour montrer que nous avons vraiment pris conscience du problème. Et pour que cette prise de conscience puisse devenir un sursaut, dans les faits.
Je ne vous demande pas de condamner des personnes ou des actes en particulier. Mais de rappeler un principe.
Je ne vous demande pas de condamner la communication publique à mort. Au contraire, elle a besoin de vivre, plus que jamais.
Je ne vous demande pas de la condamner à l’enfermement ; au contraire, elle a besoin de liberté, pour pouvoir aller à la rencontre de publics qui se sont éloignés.

Ce que je vous demande, c’est de la condamner à des travaux d’intérêt général… ce qui pourra d’ailleurs lui éviter de se laisser entraîner par certains intérêts particuliers.
Et parmi les travaux d’intérêt général qui me semblent nécessaires et urgents, voici les trois que je demande à ce tribunal d’infliger à la communication publique.
En premier lieu, la communication publique devra démontrer sa capacité à s’adresser et à toucher tous les publics - et notamment les plus éloignés de la décision et de l’information. Et cela en mettant en œuvre une vaste opération d’immersion des professionnels de la communication au sein de ces populations pour construire avec elles les nouveaux indicateurs d’une « communication publique efficace et populaire ».
Ensuite, les communicants et tous les intervenants de la communication publique devront suivre des formations spécifiques pour maîtriser parfaitement et couramment les outils de la participation citoyenne et leur mise en œuvre, à tous les stades de leur activité de communication.
Enfin, je demande l’obligation de promulguer, dans un délai de deux ans, une charte contraignante des droits et devoirs de la communication publique à l’égard des générations actuelles et futures. Charte qui devra respecter et promouvoir les objectifs du millénaire édictés par l’Onu - et notamment le droit à la démocratie et à une planète viable pour les générations futures.

Voilà, Mesdames et Messieurs les membres du jury, ce que l’on attend de vous. Car, vous l’avez compris, pour aider la communication publique à reprendre toute sa place dans notre société, à rénover la confiance qu’on lui porte et à devenir une communauté professionnelle plus responsable que responsive design et plus capable que coupable, il faut l’aider à opérer un sursaut plus que nécessaire.
Et c’est pourquoi il faut la condamner aujourd’hui, pour lui permettre d’être meilleure demain, au service de l’Intérêt général et des générations futures.
Je vous remercie de votre attention.

Plaidoirie de la défense

Je vous demande d’acquitter la communication publique afin de lui permettre de remettre l’intérêt général au cœur de notre société.

Maître Rolande Placidi

Plaidoirie de l’avocat de la défense : Maître Rolande Placidi, avocat au Barreau de Strasbourg.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du jury, mesdames et messieurs ; la charge est lourde de défendre la communication publique. Mais enfin, de quoi parlons-nous ?
J’entends Monsieur le procureur nous parler d’une charte des droits et obligations de la communication publique. Mais cette charte existe ! Mesdames et messieurs, comment définit-on la communication publique ? C’est le droit des habitants à être informé des affaires publiques, à être consulté sur les décisions qui les concernent. Le code général des collectivités locales indique que ce droit est indissociable de la libre administration des collectivités locales et que c’est là un principe essentiel de la démocratie locale. Dès lors, la communication publique s’inscrit dans le cadre de l’intérêt général et elle constitue un service public à part entière.

Monsieur le procureur, la charte des droits et obligations : c’est le service public ! Le service public administratif car les communicants remplissent une mission de service public. La charte que vous souhaitez voir naître existe déjà, il s’agit des « lois de Rolland » qui constituent le régime juridique commun de tous les services publics. Première loi de Rolland : la continuité et l’efficacité du service public. C’est sur le fondement de ce principe de continuité qu’on n’interrompt pas la communication institutionnelle en période électorale par exemple.
C’est également le principe d’égalité devant le service public. Ainsi, les journalistes sont des usagers du service public de la communication territoriale. Ils ont le droit d’avoir accès aux conférences de presse, aux dossiers de presse et aux informations diffusées par les administrations, les collectivités territoriales pour exercer leur métier correctement.
C’est également le principe de mutabilité du service public. Monsieur le procureur, la communication publique a depuis trente ans appliqué ce principe de mutabilité. Ce principe de mutabilité s’est particulièrement illustré dans le cadre institutionnel. Ainsi, l’Europe a su, par exemple, intégrer de nouveaux États membres en quelques années et les fonctionnaires européens en charge de la communication publique relèvent quotidiennement le défi de s’adresser à un public composé de plus de 500 millions d’habitants, plurilingue, vivant dans 28 pays géographiquement et culturellement différents.
Le principe de mutabilité s’est également illustré en France sur un plan institutionnel. Ainsi, les communicants publics, présents dans cette salle, ont su intégrer les nombreuses réformes affectant les collectivités territoriales : loi RCT, loi NOTRe, loi Maptam, intercommunalité, création de métropoles, ... Il a donc fallu exposer et expliquer aux usagers et aux administrés, de façon simple et pédagogique, des concepts extrêmement complexes : transfert de compétences, créations de strates nouvelles. Et force est de constater que les communicants publics l’ont fait.
Mutabilité technologique également, avec le passage des éditions print au web 2.0 et demain à l’intelligence artificielle.
Voilà les défis auxquels la communication publique a été confrontée et auxquels elle a fait face !

Alors, Monsieur le Procureur, vous qui proposez une charte, je vous le dis cette charte ne s’impose pas car le principe de mutabilité du service public de la communication institutionnelle permet d’intégrer les évolutions et les mutations qui interviennent de plus en plus fréquemment au sein de ce service public. Oui, Monsieur le procureur cette charte existe, c’est le service public ! Mais la question est ailleurs. Mesdames et messieurs les jurés, on vous demande de condamner la communication publique. Mais la communication publique n’est pas une fin en elle-même, c’est un outil de transmission entre les élus et les administrés ou usagers. Il faut ainsi expliquer l’action de la collectivité. Mais c’est également une courroie de transmission entre les usagers et les élus par le biais de la communication de proximité (réunions, réseaux sociaux).
Monsieur le Président, vous avez évoqué les gilets jaunes lors de ce procès. Ce qui m’interpelle dans les manifestations des gilets jaunes, c’est qu’ils s’attaquent non pas à des symboles de la démocratie locale mais qu’ils s’attaquent à l’État, à des préfectures, à des emblèmes nationaux. Si les gilets jaunes ne s’attaquent pas aux collectivités territoriales c’est parce que vous, les communicants publics, vous remplissez cette mission, votre mission de service public, de courroie de transmission entre d’un côté les élus et de l’autre les administrés, les habitants, les usagers du service public.

Le procès qui doit être instruit doit l’être contre la communication politique.

Est-ce à dire que la communication publique est mieux exercée au niveau local ? Monsieur le président, vous nous avez lu le chef d’accusation et vous l’avez résumé en ces termes : la communication publique est-elle encore qualifiée pour contribuer à la vie démocratique ? L’accusé est donc la communication publique. Toutefois, ce n’est pas le bon accusé que vous avez à juger. Le procès qui doit être instruit ne doit pas l’être contre la communication publique mais contre la communication politique dont Ignacio Ramonet dénonçait dans son ouvrage La tyrannie de la communication les manipulations dont sont victimes les citoyens sous le double effet de la logique de l’information devenue « marchandise » et de l’avènement du multimédia qui réalise une convergence des médias textes, sons et images vers un seul support numérique échangeable de manière instantanée. La communication politique n’a-t-elle pas accéléré un processus d’individualisation qui conduit à ce que les citoyens ne se considèrent plus comme des administrés remettant leur confiance à des élus agissant pour le bien commun ? Le mouvement des gilets jaunes n’illustre-t-il pas ce processus d’individualisation et cette perte de confiance dans le politique ? La communication politique n’est-elle pas en train de fragiliser la communication publique ? Vous le constatez, c’est bien le procès de la communication politique qu’il faut engager.

Si vous condamnez la communication publique, mesdames et messieurs les membres du jury, alors vous condamnez des professionnels qui œuvrent, sept jours sur sept, 365 jours par an pour assurer cette mission de service public, vous condamnez les journalistes, vous condamnez aussi votre réseau professionnel Cap’Com et annihilerez le travail initié il y a trente ans par Dominique Mégard et Cap'Com. C’est pour cela, mesdames et messieurs les jurés, que je vais vous demander de ne pas condamner la communication publique mais d’engager un vaste travail de réflexion sur la place et le rôle de la communication publique et de la communication politique.

Je rejoins monsieur le procureur sur un point, non pas sur la communication publique, mais sur la communication politique. La communication ce n’est pas l’élu qui vient vous voir quelques jours avant une animation ou un spectacle et qui vous dit «il y a un spectacle il faudrait faire une affiche ». J’ai été directrice de cabinet et j’avais exigé que le directeur de la communication soit présent en amont des projets, qu’il participe aux réunions sur les projets structurants. Pourquoi ? Parce que les communicants publics ont cette capacité à créer du lien entre les objectifs politiques développés par les candidats pendant les élections et leur mise en œuvre dans le cadre des projets de la collectivité. Ils sont capables d’analyser de comprendre et de traduire ce que les administrés expriment lors de réunions publiques ou de réunions de concertation. Vous avez ainsi la possibilité de proposer d’amender certains projets lorsque l’administration a une vision uniquement financière des projets. Vous avez une réelle expertise et il faut mettre cette compétence au service du politique. Recréer un lien de confiance entre administrés et élus, conduire le citoyen à s’inscrire non plus dans un processus d’individualisation mais dans le cadre de l’intérêt général.
Je vous demande donc d’acquitter la communication publique afin de lui permettre de remettre l’intérêt général au cœur de notre société.

Le verdict : la communication publique invitée à un débat permanent sur sa mission démocratique

À l’issue des débats, le jury, composé de 5 communicants publics (voir encadré ci-dessous) tirés au sort parmi les participants au Forum Cap’Com, s’est prononcé à la majorité des 3/5 pour une mesure de justice restaurative.
La Cour a constaté que la communication publique sait collectivement s’interroger sur elle-même, qu’elle sait réfléchir à ses missions. C’est là une force et un atout pour les générations futures. La Cour a aussi constaté que toutes les parties reconnaissent que la parole publique est essentielle et que notre société en transition en plus que jamais besoin.
Vu qu’une décision de justice restaurative, instaurée par la loi Taubira de 2015, est un processus par lequel les parties concernées par le jugement décident de trouver ensemble des solutions.
Vu qu’il s’agit là d’une pratique démocratique qui doit mener à un débat organisé par un coordinateur. Ce coordinateur devant faire en sorte que les participants s’expriment, échangent, et progressent.
La Cour a invité la communication publique à ce débat permanant sur sa mission démocratique et sur son éthique professionnelle. Elle a invité, comme coordinateur, son réseau professionnel qui anime les communicants publics depuis 30 ans à renforcer son action et à continuer à faciliter cette réflexion et ces échanges.

Cette audience restera comme une exhortation faite à la communication publique de jouer tout son rôle pour une société démocratique et pour les générations futures.

Les jurés du Tribunal pour les générations futures de Lyon.

  • Anne Bordet, consultante en communication publique, ancienne dircom-dircab de Châteaudun
  • Karim Boualem, conseiller municipal de la ville de Saint-Denis, ancien chargé de mission au cabinet du maire de Noisy-le-Sec
  • Vincent Drochon, responsable communication et relations presse de l’Agence régionale de santé Occitanie
  • Alexandra Hoffmann, journaliste multimédia à la direction de la communication de la ville de Fleury-les-Aubrais
  • Nadège Jeandet, responsable du service actions de communication de Chambéry et du Grand Chambéry