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La fracture linguistique du franglais dans la communication publique

Publié le : 3 mars 2022 à 11:58
Dernière mise à jour : 3 mars 2022 à 17:32
Par Bernard Deljarrie

L’Académie française tire la sonnette d’alarme. La multiplication des expressions anglaises ou franglaises dans la communication publique conduit à rendre les messages moins compréhensibles par une part croissante de la population, ce qui renforce son sentiment d’exclusion et de distance avec les services publics.

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L’Académie française, l’institution créée en 1635 et chargée de défendre la langue française, s’est penchée sur les sites internet des organismes publics, collectivités locales et institutions nationales. Bien au-delà de ces exemples qui illustrent une série d’appellations de services publics en anglais, l’Académie fait apparaître la présence de nombreux anglicismes ou pseudo-anglicismes de toutes formes dans la communication publique, « qui résultent moins de l’incorporation de termes anglo-américains dans le lexique spécialisé de la langue française que de l’emploi de tournures plus ou moins dérivées de l’anglais, avec des conséquences d’une certaine gravité sur la syntaxe et la structure même du français ».

Les immortels déplorent bien évidemment les conséquences de cette évolution linguistique sur la syntaxe et la structure du français. Jusqu’au XXe siècle, expliquent-ils, l’implantation de vocables étrangers se faisait à travers un processus d’assimilation, de francisation progressive. Actuellement au contraire, l’entrée quasi immédiate dans la vie publique de mots anglais ou supposés tels se fait sans adaptation aux caractéristiques morphologiques et syntaxiques du français. L’emploi d’anglicismes a pour conséquence l’effacement progressif des équivalents français pourtant immédiatement compris des locuteurs francophones.

Cette évolution pousse les immortels à se demander si ce nouveau langage donne une image juste des services publics et si ce franglais est facilement accessible au public le plus large.

L’emploi d’une marque constituée d’un terme étranger

L’article 14 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française interdit aux personnes morales de droit public « l’emploi d’une marque de fabrique, de commerce ou de service, constituée d’une expression ou d’un terme étrangers, dès lors qu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvé dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l’enrichissement de la langue française ».

Cette interdiction s’applique également lorsque les collectivités territoriales ont déposé une marque territoriale protégée au sens de l’article L. 133-1 du Code du tourisme.

Quelle est la compréhension par le grand public des formulations anglaises ?

Le langage actuel de la communication publique est de plus en plus influencé par celui de la publicité, à la fois très compact, limité et souvent simplificateur. Cette propagation massive et continue d’un vocabulaire anglo-américain souvent dénaturé, considéré à tort comme bien connu du public, a pour conséquence contradictoire d’entraîner une discrimination croissante entre les publics. Ainsi la communication publique risque de ne toucher que la frange réduite, privilégiée, éduquée de la population, maîtrisant l’anglais. Seule une proportion restreinte des usagers est en mesure d’appréhender pleinement le discours en vogue, sans pour autant unanimement l’apprécier.

Les marques territoriales raffolent de l’anglais, I love Nice, Only Lyon, My Loire Valley, mais sont-elles toutes compréhensibles par le public : Made for sharing (JO de Paris), Sarthe me up ?

Il s’ensuit le risque d’une double fracture linguistique. Sociale d’une part, le fossé se creusant entre les publics, suivant qu’ils sont imprégnés ou non des nouveaux codes de langage, et générationnelle d’autre part, les plus jeunes étant particulièrement perméables aux usages numériques et mieux à même de les assimiler, mais d’autant plus exposés au risque d’être cantonnés à un vocabulaire limité et approximatif.

Tenir compte de la réalité sociale du pays est un impératif, rappelle l’Académie. « Il appartient à tous ses émetteurs actuels de prendre conscience de cette prolifération et de faire en sorte que cet instrument propagateur de tant de nouveautés et d’activités diverses fasse l’objet d’une interrogation et de recherches, notamment sur son efficacité réelle, une fois dégagé des effets de mode. »

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