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L’affichage public rapproche la culture du citoyen

Publié le : 27 avril 2021 à 21:45
Dernière mise à jour : 29 avril 2021 à 14:08
Par Anne Revol

Les lieux d’exposition fermés, l’art investit l’un des rares supports qui s’offrent aux yeux du public : le panneau d’affichage. Dans des communes comme dans des grandes villes, les campagnes de publicité cèdent la place à l’expression culturelle. Les initiatives des collectivités territoriales se développent pour donner à voir la culture dans l’espace public, au plus près des habitants.

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Favoriser la rencontre avec le public

Les initiatives émergent de fait pour pallier l’annulation d’expositions dans les lieux culturels locaux. À Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne, 11 631 habitants), le hall d’exposition de l’espace culturel Altigone, fermé depuis le début de la crise, s’est délocalisé dans l’espace public, et plus précisément sur les Abribus.
Du 24 mars au 14 avril 2021, sept visuels conçus d’après les œuvres de sept artistes (une photographe, une dessinatrice et cinq peintres) étaient visibles aux arrêts de bus de la ville dans le cadre de l’opération « Artistes à l’affiche ». Exposer sur ces lieux de passage et d’attente constitue une belle occasion de donner à voir au plus grand nombre le travail des artistes. Le panneau d’affichage se transforme en un point de rencontre entre le public et l’art en installant dans le territoire des espaces de culture éphémères.

En Suisse, plusieurs villes ont d’ailleurs donné l’opportunité aux artistes d’investir eux-mêmes ces espaces. Mi-décembre 2020, la ville de Genève a mis à disposition de 70 artistes en arts visuels des panneaux d’affichage recouverts d’affiches vierges pour qu’ils créent en direct une œuvre originale temporaire exposée ensuite pendant deux semaines. L’opération, baptisée « I LOVE #ArtisteDici », a fait des émules : en ville de Sion du 14 au 27 février, puis à Lausanne du 26 mars au 7 avril.

Mettre en lumière la richesse et la diversité de la création locale

« L’objectif est de soutenir les artistes et favoriser la rencontre avec le public. C’est également pour la ville une opportunité rare de mettre en lumière la richesse, la qualité et la diversité de la création locale à travers une expérience inédite », souligne Sébastien Gattlen, conseiller municipal chargé de l’éducation et de la culture de la ville de Sion.
Donner une visibilité aux artistes locaux émergents ou peu connus du public, c’est aussi l’un des objectifs de la ville de Limoges. Son exposition « PAUSE » prend la forme de plusieurs séquences de campagnes d’affichage d’œuvres de jeunes artistes locaux, graphistes, peintres, photographes sur 160 panneaux d’affichage répartis dans toute la ville de Limoges. Nathalie Couty, graphiste de la ville de Limoges, a impulsé ce projet, réalisé en partenariat avec JCDecaux.

Après une première séquence, « Éloge du flou », affichée du 24 février au 27 mars 2021, une deuxième séquence « Résistances » a occupé les panneaux du 7 au 21 avril. « PAUSE invitera (littéralement) automobilistes et passants dans Limoges à faire une pause visuelle et mentale », explique la ville.

Crédits : © Sandrine Frapier (à gauche) - Ma collec de mamies (éditions Les Monédières) © Claire Gaudriot (à droite) - Ville de Limoges - Laurent Lagarde

Réenchanter l’espace public

Ces « respirations dans le paysage urbain » répondent à l’autre objectif de la démarche limogienne : réenchanter l’espace public. « Ici, il s’agit plus largement d’une invitation au voyage, au partage et à la découverte… »

Une proposition similaire d’évasion par la culture s’est installée quelques semaines auparavant un peu plus au nord, dans la commune de Beaugency (Loiret, 7 322 habitants). De fin février jusqu’au 21 mars 2021, la Société artistique de Beaugency et le service culturel de la ville ont exposé 16 reproductions de tableaux réalisées par des artistes locaux sur les panneaux d’affichage. Une exposition à suivre sous forme de parcours, depuis les bords de Loire jusqu’aux limites de la Beauce. « Nul doute que cette invitation au voyage assouvira les envies d’ailleurs des habitants de Beaugency et des alentours qui rêvent d’évasion et de vie culturelle dans le climat actuel. »

La culture, un remède contre la morosité ambiante

La Ville de Paris mise également sur le pouvoir de la culture pour rehausser l’ambiance morose de cette période de pandémie. Elle a laissé carte blanche à Mika pour « redonner des couleurs à la ville ». En collaboration avec le musée des Arts décoratifs et avec JCDecaux, il a investi début mars 2021 « la plus grande galerie éphémère du monde ». Pour cette exposition inédite, Mika et neuf artistes ont réalisé des œuvres inspirées des affiches artistiques de la Belle Époque. Les dix créations ont pris place sur 2 000 espaces d’affichage de la Ville, redonnant vie pendant 15 jours aux mâts-drapeaux et colonnes Morris, traditionnels espaces de promotion de l’offre culturelle parisienne.

La même soif de culture et de gaieté a poussé le maire de la ville de Saint-Dizier (Haute-Marne, 23 382 habitants) à louer – pour 10 000 euros – l’intégralité des emplacements publicitaires disponibles dans sa commune pour y placarder des reproductions de chefs-d’œuvre artistiques. En centre-ville comme dans les zones commerciales, la citation d'un roman de Dostoïevski « La beauté sauvera le monde » accompagne sur une vingtaine de sucettes et une trentaine de panneaux 4 x 3 les reproductions de La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusai, du Baiser de Klimt, du Déjeuner des canotiers de Renoir, de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, etc. Ces chefs-d’œuvre picturaux choisis par le conservateur du musée et l’équipe municipale proposent « une ouverture sur la beauté intemporelle » pendant tout le mois d’avril dans l’espace public et sur les réseaux sociaux qui relaient également les œuvres avec une courte notice explicative.

La Grande Vague de Kanagawa - Hokusai (à gauche), La famille Monet dans son jardin, Manet (à droite). Crédits : Ville de Saint-Dizier- service Communication – Eric Colin

L’opération se poursuivra en mai à travers plusieurs actions dans l’espace public comme des « pauses musicales ». Programmées dans les jardins publics, de 17h à 18h, elles permettront d’écouter des morceaux de musique classique pour piano, violon, violoncelle et hautbois, dont certains enregistrés au théâtre par les professeurs du conservatoire. Les commerçants, une fois leur commerce rouvert, pourront également distribuer à leurs clients des sacs en tissu à l’effigie de « La beauté sauvera le monde » ainsi que des reproductions des œuvres. Près d’une centaine de citations écrites par des auteurs classiques, des artistes musiciens et des personnalités, et sélectionnées par les bibliothécaires du réseau des médiathèques de l’agglomération orneront également leurs vitrines. « Depuis le début de la crise, nous avons fait notre maximum pour être auprès des malades, les commerçants, les personnes en difficulté, mais il y a une autre chose contre laquelle on doit lutter : c’est la morosité et la dépression ambiante qui nous habitent (…) », explique Quentin Brière, maire de Saint-Dizier.

Contre la morosité, la « bouffée d'art frais » souffle jusque dans le Sud. Depuis ce 28 avril et jusqu’au 18 mai, la ville et la métropole de Montpellier Méditerranée accueilleront, sur 200 panneaux de leur réseau d'affichage publicitaire, 50 artistes du collectif Artstation et leurs 100 œuvres. « À travers ce format, l'un des objectifs de cette opération est également de questionner la place et le rôle de l'art dans cet espace public », explique la collectivité. « C'est enfin le témoignage des possibilités qu'offre l'affichage en ville, qui n'a plus vocation à être réservé uniquement à la publicité. »