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Prêt-e-s à vraiment renverser la table ?

Publié le : 11 mai 2017 à 16:47
Dernière mise à jour : 20 mars 2018 à 16:58
Par Marc Thébault

Lourde responsabilité - mais après tout qui me le demande ? - que d’avoir des choses (pertinentes ?) à dire pour commenter l’évènement le plus symbolique de notre démocratie, l’élection présidentielle. Je ne suis pas commentateur politique, pas journaliste spécialisé, pas véritablement expert, tout juste amateur éclairé. Pourtant, diverses lectures m’ont permis de trouver quelques mots pour tenter de traduire ce qui n’était qu’une impression.

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Par Marc Thébault

Pour faire court, et parce que, quoiqu’on en pense, la communication publique n’est jamais très éloignée de la communication politique, des conséquences de cette campagne hors normes (déroulement et résultats, je ne vous fais pas un dessin) sont prévisibles dans notre secteur professionnel. Enfin, elles sont surtout annoncées. Au moins espérées.

J’en veux pour preuve cette interview de Pierre Zémor (faut-il encore le présenter ?), donnée à Damien Arnaud pour le blog du Cercle des Communicants Francophones. Il y déclare : « La communication politique est déjà au fond du gouffre. Elle peut difficilement aller plus bas dans les registres du spectaculaire ou des batailles pour la conquête du pouvoir. Cette absence de recul menace à son tour la communication publique. […] La com’, forte de son simplisme, se replie effectivement sur elle-même. Elle se rabougrit, incapable d’exprimer la complexité et la subtilité des comportements, des attentes et des mouvements sociétaux. Cette absence de prise en considération des gens, des citoyens, la pousse à une arrogance. Elle impose des agendas aux politiques et dicte des stratégies aux élus et responsables publics. […] Les responsables politiques doivent se ressaisir… et pas forcément se laisser passer aux moulinettes médiatiques. La démocratie a besoin d’une autre communication politique où les élus et plus généralement les acteurs assument leur rôle authentiquement. ».

Après la publication de ce texte sur Twitter, des commentaires. J’en retiens deux. L’un de Thierry Herrant « "Cette absence de recul menace à son tour la #compublique" Au moment où on entre dans une phase de réforme et donc de com ça va vite se voir ». Cette autre de Franck Confino : « C'est la #compublique "à la papa" qui est morte. Et tant mieux, ce n'est pas moi qui irait à son enterrement ... ». Ajoutons à cela ce leitmotiv lancinant : « rien ne peut plus, ne doit plus, être comme avant », immédiatement accompagné de ces propos en boucle, antienne en devenir, « ça doit changer » et vous aurez compris le sujet de ce billet : la communication publique, celle qui accompagne les actions publiques et politiques, celle qui médiatise les discours et visions des politiques, puisque ces derniers sont sommés de changer, doit donc changer avec eux. Mais le veut-elle ?

Attention toutefois, je ne vais pas me lancer dans une tirade en forme de plaidoirie pour ce fameux changement. Je ne vais pas non plus évoquer le numérique comme recette miracle, celles et ceux d’entre vous qui ont fréquenté les réseaux sociaux pendant la récente campagne savent que bien manipuler l’outil n’empêche jamais ni l’obscurantisme, ni l’immobilisme, ni le fait d’asséner de grosses conneries. Je vais encore moins donner des conseils ou des leçons sur ce qui doit changer, du site internet en passant par les magazines, des formes de concertation aux prises en considération, ou non bien sûr, des paroles citoyennes, des évènements publics aux relations avec la presse, etc.

Je vais juste poser à la cantonade cette question que, forcément, je me pose à moi en tout premier lieu : sommes-nous capables de vraiment changer nos pratiques professionnelles ? Et, mieux, au-delà de nos pratiques, de changer radicalement nos références, nos cadres professionnels, voire nos principes, nos a priori, nos croyances. En somme, tout ce qui nous donne, ici et maintenant, la puissance de l’expérience, parfois chèrement acquise. Pouvons-nous être réellement déviant-e-s en écartant toutes solutions qui ne seraient qu’une application supplémentaire d’un certain conformisme professionnel ? Sommes vraiment prêt-e-s à changer de carte du monde ? Pour reprendre la dichotomie chère à l’école de Palo Alto, est-on capable d’un changement 2 quand on pense si fortement qu’un changement 1 serait déjà bien suffisant ?

« Sommes-nous prêt-e-s à enjamber allégrement les cadavres de nos certitudes pour choisir, délibérément, la déconstruction massive pour une nouvelle naissance ? »

Pour être plus clair, est-on vraiment prêt-e à revoir de fond en comble le système (au sens « systémique » du terme, pas à celui donné, redonné et rata donné par pléthore de candidat, voir note en fin de billet) et d’arrêter de se contenter de faire simplement « moins » ou « plus » de toujours et éternellement de la même chose ? Pour le dire encore autrement, réduire le nombre de pages d’un magazine papier ou augmenter le nombre d’entrées sur un site ou le volume des posts sur un réseau social ne fait, en réalité, rien changer. Dans le fond du fond je veux dire. Sommes-nous prêt-e-s à abandonner sciemment tous nos acquis, à faire, même avec frayeur, le deuil de ce que nous savons, à enjamber allégrement les cadavres de nos certitudes et à repartir d’une page blanche pour être sûr-e-s et certain-e-s que nous allons, pour le coup et définitivement, faire autrement ? Sommes-nous prêt-e-s à repenser, à réinventer la communication publique ? Sommes-nous prêt-e-s, au fond de nous, à la déconstruction massive pour une nouvelle naissance ? Si la « comm à papa » est morte, comment sera celle de ses enfants ? Et, une fois de plus, je ne parle pas d’outils car évoquer les outils c’est, toujours et encore, renforcer le même cadre professionnel. Dans un des textes du Prophète, Khalil Gibran affirme : « Si c'est un tyran que vous voulez détrôner, veillez d'abord à ce que son trône, érigé en vous-mêmes, soit détruit. ». C’est bien de ce genre de trône que je veux parler et de notre capacité, volonté et engagement d’être désormais iconoclastes, et en premier lieu avec nous-mêmes et avec les modèles que nous perpétuons. Mais on peut finir plus légèrement avec Andy Warhol qui nous alertait ainsi: « On dit toujours que le temps change les choses, mais en vérité il faut les changer soi-même ! ». Je repose donc la question : face aux bouleversements de notre démocratie, face aux attentes de vent nouveau de nos citoyens, face à l’impératif nécessité de bouleverser des codes éculés, sommes-nous prêt-e-s à vraiment renverser notre propre table ?

Note : Système : « ensemble d’éléments interdépendants et en interaction (définition de Jacques Lesourne) et organisés en fonction d’un but commun (complément de Joël de Rosnay) ».