Aller au contenu principal

Relations presse : la cité de la peur ?

Publié le : 1 avril 2019 à 16:30
Dernière mise à jour : 4 avril 2019 à 16:04
Par Marc Thébault

Billet où l’on verra que le rôle de porte-parole peut être considéré comme relevant de la protection rapprochée (non, ce billet ne parlera pas de « l’affaire » Benalla) et non pas de l’expertise en relations avec la presse. Et où l’on constatera donc qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil…

Dans les mêmes thématiques :

Par Marc Thébault

Pour comprendre l’enjeu, lisons l’article de L’Obs qui évoque ce sujet. Son titre : « Sibeth Ndiaye, la nouvelle porte-parole qui préférait "l'ombre à la lumière" », et cette introduction : « Portrait d'une naturalisée "prête à mourir pour la France", d'une combattante qui protège Emmanuel Macron de la presse ». Le ton est donné, le porte-parolat serait un sport de combat, et le titulaire de la mission plus proche d’un bodyguard tendance commando d’élite que d’un communicant.

La vidéo qui accompagne l’article sous le titre « Cinq choses à savoir sur Sibeth Ndiaye » note d’ailleurs : « Vigie du chef […] elle défend bec et ongles le président tout en verrouillant la communication de l’Élysée […]. D’après L’Express, en 2017, elle disait assumer "parfaitement de mentir pour protéger le président". »

Schématiquement, vous sentez bien le clivage entre l’objectif de protection absolue – et donc certainement d’attaque, la meilleure forme de défense selon certains experts guerriers – et entre un autre objectif qui serait de créer du lien entre exécutif et presse et de faire en sorte que chacun fasse correctement son travail, sans pressions réciproques, ni chantage et encore moins menaces. D’un côté la peur au ventre, de l’autre le self-contrôle ?

Considérer les femmes et les hommes de la presse comme autant de relais potentiels et serviles de votre opinion relève de l’antique fantasme de potentats.

Évidemment, cela m’a amené à repartager les propos ci-dessous.
Il y a quelques années, lors d’un colloque universitaire à Paris XIII, David Morgan, alors directeur de l’école de Communication et Politique de l’université de Liverpool, tenait ces propos pour préciser la perception du rôle d’attaché de presse :
« Je voudrais juste dire quelques mots au sujet d’un terme américain qui englobe les différentes notions dont nous avons parlé.
Ce terme, ce qui permet d’être bien compris
[…] et qui explique très adéquatement le rôle de celui que les Américains appellent porte-parole du gouvernement, c’est celui de "flak". Quelqu’un connaît-il ce terme ? Il vient d’un mot allemand signifiant "canon antiaérien".
J’ai écrit un livre sur la politique de communication de l’État de New York, et sur sa gestion des médias. Jusqu’à ce que j’écrive ce livre, je n’avais pas saisi le sens profond de ce terme. Je pensais que le but des canons antiaériens était de descendre les avions, les bombardiers. Un jour, j’ai réalisé que je n’avais pas compris le sens de l’expression qui se rapporte aux bombardiers des années 1930. Si l’on pouvait faire en sorte qu’ils restent haut dans le ciel, ils n’atteignaient jamais leur cible avec précision
[…].
De même, les "flak" n’ont pas pour objectif de descendre les journalistes, mais de les tenir suffisamment éloignés de la vérité pour qu’ils ne puissent pas comprendre ce qui se passe… »

Pour reprendre mes premiers propos, nous avons en somme la guerre (froide ou déclarée) d’un côté, et un cadre professionnel de l’autre. Pour le dire autrement, une vision très binaire sur un versant (« si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous ») – avec ce que cela suppose de désir de maîtriser absolument l’adversaire – et une vision un rien plus nuancée sur l’autre versant. Versant d’où l’on cherchera sans doute plus à convaincre qu’à vaincre et d’où l’on saura toujours que considérer les femmes et les hommes de la presse comme autant de relais potentiels et serviles de votre opinion relève de l’antique fantasme de potentats dystopiques.

Vous me direz qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, tout cela rappelant étrangement des décennies de postures et de débats. Notons néanmoins qu’on pouvait attendre un peu de nouveaux regards (non, je n’utilise jamais « disruption », question de coquetterie) de la part de ce « monde » qui promettait pourtant de remplacer vite fait bien fait l’ancien.