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Ces pubs qui dégoulinent de bons sentiments

Publié le : 7 janvier 2021 à 07:07
Dernière mise à jour : 7 janvier 2021 à 15:07
Par Alain Doudiès

Que se passe-t-il du côté de la communication publicitaire ? Jetons-y un œil. C’est éclairant.

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Spot TV Intermarché, façon reportage. Des soignants, des familles, pas l’ombre d’un produit, pas trace d’un rayon. « Je voudrais faire le bien, dit la chanson de Terrenoire, jusqu’à mon dernier souffle. » Conclusion : « Noël, c’est le meilleur moment pour dire merci. » Le Crédit agricole, sur le For me formidable d’Aznavour, a brossé le portrait de Françaises et de Français méritants (boulanger, éboueur, maman, soignants, sapeurs-pompiers…). Derrière son guichet virtuel, il nous a dit, tout modestement : « On ne sera peut-être jamais aussi formidable que vous. » Chouette !

Boulanger poursuit sa saga dans le registre de la compassion. La marque déborde de messages on ne peut plus altruistes et mobilisateurs. Après avoir clamé « Ce n’est pas le moment de baisser les bras. C’est le moment de les ouvrir », elle lance de sympathiques injonctions, au-dessus de tout soupçon d’une intention mercantile : « Rester en lien », « S’inventer d’autres lendemains ». Pour un peu, devant un tel flot d’humanité, on écraserait une larme. Et, emporté par la signature de pure générosité de Boulanger, « Ensemble, on peut vraiment changer les choses », on est tenté de courir apporter son aide aux Restos du cœur.

Ce phénomène n’est ni rare ni français, comme le montre un spot de Dove, diffusé au Canada. Très forte succession de photos de visages de soignants, marqués par les signes de la fatigue et les traces du masque. Slogan : « Courage is beautiful. » De son côté, Marc Pritchard, directeur marketing de Procter & Gamble (Pampers, Ariel, Mr Propre, Gillette, etc.), annonce son prochain film international, « Émotions » : « Cette campagne invite chacun à réaliser des actions positives. » Catherine Spindler, executive vice-president de Lacoste, théorise ainsi ces pratiques : « Toutes les générations attendent aujourd’hui des marques qu’elles prennent part à une forme d’amélioration d’un mieux-être social, sociétal et écologique. » Tendance confirmée par l’étude « In brands we trust », réalisée en 2019 dans huit pays par l’agence américaine Edelman (1). Selon elle, 53 % des consommateurs pensent que chaque marque a la responsabilité de s’impliquer dans au moins un problème social qui n’a pas d’impact direct sur son activité. Le consommateur avant le profit ?

Ainsi les battements du cœur couvriraient le cliquetis des tiroirs-caisses. Le business as usual serait bien commun, le classement des chiffres d’affaires montrerait le palmarès des bonnes… actions et les valeurs boursières traduiraient l’intérêt général, tel que, vaille que vaille, jour après jour, nous le portons et tel qu’il nous inspire. Avec quelque gêne quand certains élus candidats ont signé nommément, haut et fort, les campagnes « Merci », qui ont fleuri au printemps.

Pour la communication publicitaire, nécessité de redorer le blason des marques, quelque peu terni, habile aptitude à prendre le sens du vent, capacité, à bon prix, à se donner bonne conscience ? Mercedes Erra, présidente de BETC Groupe, qui, en 2015, présidente du jury des Prix Cap’Com, a découvert la vitalité et la créativité de la communication publique, le dit clairement : « Il y a un alignement entre le besoin de raison d’être et le fait que l’on vende quelque chose. »

Mais ne perdons pas les repères : une collectivité n’est pas une marque. Et voyons les limites des bons sentiments : le puissant groupe Inditex (Zara) a refusé de signer les appels des ONG contre le travail forcé des Ouïgours.


(1) Merci à Xavier de Fouchécour, président de l’agence Bastille, que je côtoie au Comité de pilotage de Cap’Com. Il s’est référé à cette étude dans son article « Marketing territorial : quel rôle dans la transition écologique ? » (Brief, décembre 2020).