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Crise et vérité : comment renforcer la résilience démocratique à l’ère de la désinformation ?

Publié le : 9 juillet 2025 à 22:57
Dernière mise à jour : 10 juillet 2025 à 14:42
Par Natalie Maroun

Du 12 au 13 mars 2025, le Club de Venise a réuni à Londres les représentants de la communication publique européenne pour réfléchir ensemble à un défi commun : comment communiquer en temps de crise quand la vérité elle-même est devenue objet de controverse ? Aux côtés d’universitaires, de diplomates, de journalistes et de hauts responsables institutionnels, Natalie Maroun est intervenue pour le réseau Cap'Com dans la session « Se préparer à la crise », pour partager son constat : on ne répond plus aux crises comme hier. Elle partage ici les grandes lignes de son intervention.

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Nathalie Maroun, est directrice associée du cabinet Element et experte gestion et communication de crise. Elle a accompagné Cap’Com sur ses formations et ses conférences sur le sujet.

Face à la désinformation, la communication publique change de terrain

Traditionnellement, la communication de crise repose sur des messages structurés, fondés sur des faits, validés par les institutions. Mais que faire quand la crise elle-même est alimentée par la remise en cause de ces faits ? Quand la question n’est plus de savoir si un problème existe, mais si ce que dit la science est encore audible ?

Car c’est bien là le cœur de la difficulté. La désinformation exploite l’asymétrie :

  • elle joue sur l’impossibilité de prouver une absence (ex. : les punaises de lit à Paris – comment prouver qu’il n’y en a pas ?) ;
  • elle se nourrit des émotions, des biais cognitifs et des croyances, là où la communication institutionnelle s’appuie sur des preuves ;
  • elle prospère sur des plateformes qui vendent de l’attention, et non de la véracité.

En somme, nous affrontons des armées algorithmiques, appuyées par l’IA, quand nous continuons à manier l’arme lente mais éthique de la transparence.

Répondre autrement : comprendre les mécanismes, ne pas se tromper d’ennemi

Dans ce contexte, la communication publique doit éviter deux pièges :

  1. corriger mécaniquement des faits erronés sans en adresser les ressorts émotionnels ;
  2. se tromper de cible : le problème n’est pas uniquement le contenu, mais son impact sur les comportements, et donc sur la démocratie elle-même.

C’est pourquoi une approche « whole of society » s’impose. Il ne s’agit pas seulement de démentir, mais de renforcer l’immunité collective face à la manipulation :

  • par l’éducation aux médias ;
  • par le développement de la pensée critique ;
  • par une meilleure maîtrise des algorithmes et des logiques de viralité.

Nous devons aussi développer des narrations alternatives, capables de toucher les citoyens dans ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent – pas seulement ce qu’ils savent.

Climat : un terrain d’affrontement et d’espoir

En tant qu’ambassadrice européenne du Pacte climat, j'ai rappelé comment les récits climato-sceptiques mobilisent des logiques de disqualification :

  • la science est jugée politisée ;
  • l’économie est érigée en victime des politiques écologiques ;
  • les faits sont recontextualisés à l’extrême ;
  • les catastrophes naturelles sont minimisées ou niées.

Face à cela, trois étapes semblent essentielles :

  1. identifier les techniques de manipulation ;
  2. mesurer leurs effets : affaiblissement de la légitimité publique, repli sur soi, comportements dangereux ;
  3. déployer une stratégie à deux niveaux : réponse rapide et plan de résilience sur le long terme.

Une mission publique, une éthique de la nuance

La communication de crise ne peut plus être cantonnée à l’urgence. Elle devient un levier stratégique de la résilience démocratique. Elle nous invite à changer de posture :

  • moins dans la réaction, plus dans l’anticipation ;
  • moins dans la preuve brute, plus dans la pédagogie ;
  • moins dans la défense, plus dans la construction de récits collectifs.

Cette exigence est politique, au sens noble du terme : elle engage notre capacité à protéger les conditions mêmes du débat public.

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