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Images en stock : vite, une cure détox !

Publié le : 14 septembre 2020 à 08:40
Dernière mise à jour : 17 septembre 2020 à 15:01
Par Bruno Lafosse

Et si on tentait une cure détox des stocks photos ? Franchement ça urge : elles sont partout, ces images sans saveur qui masquent les béances de notre peur du droit à l’image, de notre manque de temps pour faire autrement et parfois, avouons-le, de notre absence de réflexion…

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Par Bruno Lafosse, directeur général de l’agence de communication publique et citoyenne Boréal, membre du Comité de pilotage de Cap’Com, ancien dircom de Dieppe.

Campagnes de com, brochures, mais aussi journaux de collectivités et même sites et journaux d’info « traditionnels » y ont désormais recours, contribuant ainsi à banaliser ces images venues de l’univers du marketing et à effacer les frontières entre pub et info.

Ces stocks d’images prêtes à consommer sont à la photographie ce que la junk food est à l’alimentation. Quand j’en consomme une, j’ai l’impression de sortir du McDo : grosse envie irrationnelle, satiété immédiate, faible risque de déception grâce à des produits standardisés… suivis d'un inévitable sentiment de culpabilité ! C’est pratique, rapide, pas cher, sans problème de droits à gérer derrière. C’est propre, léché, positif et ça colle pile poil à l’idée qu’on avait dans la tête : plus facile qu’avec ces fichus graphistes ou ces photographes qui eux n’en font qu’à leur tête et semblent prendre un malin plaisir à exploser nos briefs !

Mais que disent-elles, ces images ? Rien d’explicite. Elles sont là pour faire joli, illustrer vaguement le propos ou, dans le meilleur des cas, être détournées. Mais elles racontent implicitement autre chose. Chercher la bonne image, c’est entrer dans le meilleur des mondes de la globalisation heureuse. Sur ces stocks défilent des milliers d’archétypes et de stéréotypes. Tout y passe : genre, couleur de peau, classes sociales… Tout le monde porte le masque avec le sourire (eh oui, on s’adapte). Les femmes sont des mamans épanouies qui font des gâteaux avec des enfants parfaits dans des cuisines de catalogue. Les jeunes font la fête en se jetant des cartouches de couleur. Les Noirs sont rayonnants et ne craignent pas la patrouille de la police. Les vieux messieurs – pardon les seniors – ressemblent à Clint Eastwood, les vieilles dames sont des cougars… Au boulot, même refrain : on bosse tous dans des open spaces lumineux avec cafet' au top et barista branché, sauf les hipsters mécanos au look de rock star, qui réparent des Harley rutilantes dans un garage vintage ! Les femmes de ménage et les caissières sont forcément jeunes et sexy et n’ont jamais mal au dos. Personne ne bosse dans un abattoir glauque ou une usine Seveso vétuste.

Sans parler des mises en scène bateau censées être conceptuelles : un carton sur la tête figurant quatre murs et un toit ? Voilà une jolie famille logée sans attendre des années son logement social ! Des mains qui se tendent, des doigts joints en forme de cœur ? Et hop ! On nage dans la bienveillance. Mais franchement : est-ce qu’on ressemble à ça ? Des produits marketés ? Des corps normés et des sourires forcés ? Des rôles assignés en fonction des genres ? Un quotidien mis en scène comme sur les réseaux sociaux ? Des idées pauvres mille fois répétées, vues et revues ?

Alors essayons de décrocher de cette fabrique à clichés qu’on pourrait remplacer par autre chose : un regard, une rencontre, un cadrage, un visage, un décor pas trop léché. Ça s’appelle une… photo !

Illustration : David Chénière (à partir d'une photo de stock !).