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Information locale en mouvement : les enseignements pour les communicants

Publié le : 19 octobre 2023 à 07:07
Dernière mise à jour : 19 octobre 2023 à 15:52
Par Alain Doudiès

Utilisation de l'intelligence artificielle, diversification, innovation, prospective, situation incertaine des jeunes journalistes : à Nantes, le Festival de l’information locale (FIL) a montré ces phénomènes. Deuxième volet du retour sur ce fructueux rendez-vous.

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Le FIL présente et analyse ce qui bouge dans l’information locale. Ces mutations et ces initiatives sont riches d’enseignements pour les communicants publics, comme le démontre le regard de notre envoyé spécial, Alain Doudiès, sur quelques points saillants.

L’IA, chance ou menace sur le journalisme ?

Bien sûr, le FIL n’a pas contourné la question de l’intelligence artificielle générative, avec un descriptif « Presse et IA : premier état des lieux », un atelier « Comment rédiger un prompt pour ChatGPT », un panorama « Comment les rédactions locales utilisent l’IA à travers le monde » et, surtout, une table ronde très suivie : « L’IA, chance ou menace sur le journalisme ? »

Animée par Gilles van Kote, directeur délégué du Monde, elle a croisé les analyses de Bruno Patino, président d’Arte, Nozha Boujemaa, chercheuse sur l’IA, entre autres membre du comité stratégique sur l’IA récemment mis en place par Élisabeth Borne, et Claude de Loupy, dirigeant du cabinet Syllabs. Les interventions du patron d’un grand média, de l’experte et du consultant ont convergé vers ces points saillants principaux :

Effets de l’IA

  • Les trois étapes historiques du développement du numérique : copie illimitée, puis viralité illimitée, enfin production de message illimitée.
  • Le bouleversement de la manière dont les médias construisent le web.
  • L’IA générative, ce n’est pas une révolution technologique. C’est une révolution des usages.

Inquiétudes

  • Une centaine de sites créés à partir de ChatGPT.
  • La modification de l’espace public qui serait dysfonctionnel, avec une désinformation amplifiée.

Enjeux

  • L’accroissement de l’engagement en responsabilité des rédactions.
  • L’installation de l’IA « de confiance » sur laquelle travaillent l’Union européenne et l’OCDE.
  • La certification de la fiabilité des outils et des messages.
  • Une éventuelle approche collaborative entre médias.

Réglementation

  • En cours ou à venir, elle est faite pour protéger, pas pour contraindre.
  • Un impératif : dire « ce contenu a été produit par une machine ».

Pour aller plus loin, la captation audio de la table ronde est disponible sur la chaîne YouTube d'Ouest Médialab.

La voie de la diversification

Nouveaux genres journalistiques, nouveaux supports, nouvelles activités : la diversification a été un des… fils conducteurs du FIL, avec, entre autres, l’éducation aux médias, comme ressource complémentaire pour des journalistes et l’extension des interventions des adolescents vers les adultes. Pourquoi les équipes des publications institutionnelles n’avanceraient pas dans ce sens pour expliquer nos métiers et dévoiler les coulisses de l’information dont la fiabilité et l’intégrité sont contestées ?

Autre avancée en domaine inédit : à Marseille, Médiavivant (Alix de Crécy et Jean-Baptiste Mouttet) fait monter sur scène des journalistes et leurs sources, pour raconter leurs enquêtes et nouer des liens forts avec le public.

La diversification dans toutes ses dimensions, c’est la stratégie d’un grand groupe autour d’un quotidien régional, Sud-Ouest. Son directeur général, Nicolas Sterckx, a brossé un vaste tableau : Côte Ouest (événementiel), Eliette (agence marketing et stratégie), Digivision (production audiovisuelle), des « verticales entrepreneuriales » sur le vin et sur le rugby, Déclic, démarche sur l’avenir de la région avec un engagement sur l’environnement, et, au-delà de l’industrie de la PQR, Théophraste, incubateur de start-up orienté vers l’innovation digitale.

L’apport de l’innovation, via des start-up

Aiguillonnés par les crises sanitaire, climatique ou économique, et poussés par les mutations de la société, les différents acteurs de l’information locale sont conduits à innover. Le FIL a montré trois exemples d’« open innovation » dans les médias.

  • Comme Sud-Ouest, Ouest-France a créé, en 2016, OFF7, accélérateur de start-up, avec la volonté d’un apprentissage mutuel des deux cultures et la recherche d’un changement d’image d’une PQR réputée immobile.
  • Depuis un an, les mêmes liens avec des start-up se sont noués dans le groupe Centre-France (La Montagne) avec des équipes transversales (rédaction, produits digitaux, marketing).
  • Radio France s’est aussi engagée, y compris dans certaines stations locales de France Bleu, dans des relations, non financières – service public oblige –, avec de jeunes entreprises « en lien avec tous les services, par exemple sur le bilan carbone ou la politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE) », explique Iniz Becker, « Innovation Project Leader » (sic) à Radio France.

D’autres innovations ont été mises en lumière. Sophie Cassan Chenaï, directrice du numérique au Parisien, a décrypté comment le journal a généré de nouveaux venus et de nouvelles audiences grâce à la vidéo. Hélène Bannier, journaliste, et Virginie Colin-Cadu, chargée de développement, ont raconté que le site Vivant s’est mis à l’écoute des innovations pour la transition écologique et sociétale dans des territoires ruraux (Vienne, Deux-Sèvres, Charente-Maritime, Charente).

Pour éclairer le chemin : la prospective

Le pifomètre et l’intuition, supposément géniale, du chef ont-ils fait leur temps ? En tout cas, la prospective pointe le bout de son nez. Résolument dans le groupe Centre-France qui, depuis avril dernier, dispose d’un directeur de la prospective. Avec l’enthousiasme des pionniers, Raphaël Poughon présente ainsi son métier : « Il s’agit d’étudier les possibles et de produire des scénarios pour prendre des décisions stratégiques en se projetant dans le futur. Par la veille, il faut décrypter les changements à l’œuvre dans le territoire, puis il faut créer des conversations sur les futurs possibles et choisir des actions, en prenant en compte leur utilité, leur impact et leur sens. » Il cite deux exemples de cette exploration : le futur climatique et le futur du travail.

Dans la même veine, un stimulant exercice pratique de « design fiction » a apporté la réponse à la question « Quels seront les métiers de l’information locale en 2033 ? ». Bastien Kespern (cabinet Design Friction) a embarqué tous les participants, avec rigueur et imagination, dans cette définition d’un futur qui devrait voir apparaître trois domaines professionnels : « l’écologie active », « le numérique sobre » et « la confiance restaurée », avec, entre autres, l’excitant métier de « conservateur des emballements médiatiques ».

Du côté des journalistes

Il est toujours utile de savoir ce qui se passe dans cette corporation. Un fait frappant : les jeunes journalistes présents au FIL se sont approprié, signe des temps, le vocabulaire et – on peut l’espérer pour la survie des nouveaux médias – les pratiques et les méthodes de la gestion : « marketing », « modèle économique », « cibler l’audience », « fédérer son audience », « nouveaux revenus »… Autrefois ces domaines, c’était quasiment le diable. Aujourd’hui en parle-t-on de manière angélique ?

Mêmes professionnels concernés avec la présentation par Jean-Marie Charon, chercheur associé à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), de son enquête Jeunes journalistes. L’heure du doute (Éditions Entremises), réalisée auprès de 109 d’entre eux, de 30 ans et moins. Que retenir ?

  • Ils sont bien formés.
  • Ils sont motivés et veulent être utiles dans la société.
  • Les deux tiers sont dans la précarité.
  • Ils disent subir une hiérarchie discriminante par l’âge, le genre et l’origine sociale.
  • Ils pâtissent d’être en première ligne, face à la défiance à l’égard des médias, et doutent eux-mêmes de la qualité de l’information.
  • Ils doutent de leur avenir professionnel et ont des difficultés à se projeter.
  • Ils quittent fréquemment ce métier au bout de quelques années, certains pour aller dans les journaux des collectivités. Il serait intéressant de savoir s’ils s’y épanouissent mieux.
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