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L’abstention, un indicateur d’exclusion politique

Publié le : 18 novembre 2017 à 19:28
Dernière mise à jour : 26 février 2018 à 19:31
Par Céline Braconnier

Loin d’incarner une position contestataire, l’abstention demeure plus que jamais un indicateur d’exclusion politique. L’analyse faite ici par Céline Braconnier invite les communicants publics, en prévision des municipales, à comprendre les inégalités de participation alors même que les modalités d’inscription sur les listes électorales viennent de changer.

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  • par Céline Braconnier,

directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, directrice de la Chaire Citoyenneté, pôle de recherche en innovation publique de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.

Quand l’abstention défigure la démocratie

On n’avait jamais aussi peu voté en France pour des élections nationales. Largement majoritaire, l’abstention a atteint pour le 2ème tour des législatives de 2017 le niveau record qu’elle avait enregistré en 2014 pour les Européennes : 57%. En l’espace d’une seule législature, la démobilisation qui affecte ce scrutin fondateur de la démocratie républicaine depuis la fin des années 1980 a donc cru de 15 points. Et encore ces chiffres occultent-ils l’ampleur réelle du non vote. Si l’on tient compte des plus de 5 millions de non inscrits (11% du corps électoral potentiel) ce sont, en réalité, près de 30 millions de citoyens qui n’ont pas pris part cette année au choix de leur représentant à l’Assemblée. Davantage contenue à la présidentielle, la démobilisation électorale y a néanmoins également progressé si on prend pour point de référence les précédents scrutins : 22,2 % d’abstention lors du 1er tour de 2017 contre 20,5% en 2012 et 16,2% en 2007 ; 25,4% pour le 2ème tour, contre 19,7% en 2012 et 16 % en 2007. Cette hausse significative de l’abstention en l'espace de 10 ans mérite d'autant plus d’être considérée que tout laisse penser qu’elle est nourrie par une progression sans précédent des inégalités sociales de participation. Avec pour conséquence que même la présidentielle semble désormais menacée de perdre sa capacité à maintenir les plus éloignés de la politique dans la civilisation électorale.

Les villes jeunes, ouvrières, marquées par l’immigration, affectées par le chômage

Ainsi, en mai 2017, dans les villes les plus jeunes, les plus ouvrières, les plus marquées par l’immigration, les plus affectées par le chômage, les taux d’abstention dépassent de près de 15 points la moyenne nationale et de plus de 25 points les taux enregistrés dans les quartiers urbains marqués par la surreprésentation des cadres supérieurs, des diplômés, des détenteurs de patrimoine, qui se sont très largement mobilisés cette année. Ces écarts ont presque doublé en 5 ans et ont été multipliés par 4 par rapport à 2007. Ils sont encore plus marqués aux législatives. À un mois d’intervalle, entre le 7 mai et le 11 juin 2017, les sondages montrent que le différentiel de participation entre les cadres et les ouvriers est passé de 8 à 21 points. De même les seniors ont-ils largement continué à voter – aux deux tiers pour les 60-69 ans – quand les plus jeunes des électeurs désertaient massivement les urnes, un tiers seulement des 18-24 ans faisant le déplacement (IPSOS/Sopra Steria).

Le renouvellement ne vaincra pas la défiance des citoyens à l’égard des élus

Ces inégalités de participation ont bien évidemment eu un impact sur les résultats. Le 7 mai, Emmanuel Macron obtenait ses meilleurs résultats chez les cadres, les professions intellectuelles supérieures (8 2%) et les retraités (74 %) quand Marine Le Pen les obtenait chez les chômeurs (47 %) et plus encore chez les ouvriers (56 %). Le nouveau Président doit donc bien une part de son score élevé au fait d’avoir été le favori des catégories sociales les plus mobilisées tandis que sa concurrente rencontrait un certain succès dans les milieux les plus prédisposés à se tenir en retrait des urnes. Cet avantage concurrentiel s’est révélé encore plus décisif lors des législatives, où l’abstention record a partiellement épargné les catégories sociales les plus favorables au nouveau président, alors qu’on enregistrait une démobilisation spectaculaire des jeunes, des moins diplômés et qualifiés. Là encore, les sondages confirment l'amplitude de cette abstention différentielle : alors que 62 % des électeurs ayant voté Emmanuel Macron à la présidentielle sont également allés voter aux élections législatives, ils ne sont que 43 % parmi les électeurs de Marine Le Pen et 47% parmi ceux de Jean-Luc Mélenchon (sources IPSOS/Sopra Steria, 11 juin 2017). Si les médias ont à bon droit souligné les évolutions sociologiques de la représentation nationale – avec une assemblée nettement plus jeune et plus féminine qu’en 2012 donc plus représentative de la société française – il faut donc aussi souligner l’ampleur des déformations que l’abstention a imposées au corps électoral pour comprendre que ce renouvellement ne suffira pas à vaincre la défiance persistante des citoyens à l’égard d’élus qu’une majorité n’a pas choisis.

Les inégalités face au vote qui mériteraient, tout comme que les inégalités de genre, d’origine et de revenus, d’être prises au sérieux et combattues

Céline Braconnier

La force des logiques sociales de la participation incite également à relativiser les interprétations politiques de l’abstention pourtant souvent mises en avant par les commentateurs. À la Présidentielle de 2017, les votants du premier tour sont ainsi largement demeurés des votants au second tour. Ce sont les mêmes bureaux de vote, les mêmes quartiers, les mêmes villes qui ont le plus voté les 23 avril et 7 mai. Une part des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et, dans une moindre mesure, de François Fillon a certes boudé les urnes le 7 mai, ce qui explique la progression de 3 points de l’abstention enregistrée en deux semaines. Il est devenu évident que la présence du Front national au second tour ne constitue plus un facteur suffisant pour déclencher une dynamique de mobilisation équivalente à celle enregistrée il y a 15 ans, lorsque Jean-Marie Le Pen s'était qualifié au second tour de la présidentielle. Pour autant, les électeurs voulant manifester leur rejet ou leur refus de choisir entre les deux candidats restés en lice ont beaucoup plus massivement préféré le vote blanc et nul à l’abstention : celui-ci est passé de 2,5 % des votants au 1er tour à 11,6 % au second, soit le double du record historique de 1969. Une explosion qui montre que les électeurs du 1er tour ont préféré manifesté leur refus de l’offre politique en continuant à se rendre aux urnes et une confirmation par les faits que les plus politisés des électeurs préfèrent toujours le vote, même blanc, à l’abstention pour faire entendre leur voix dans l’espace public.

Loin d’incarner une nouvelle manière, contestataire, de prendre la parole, l’abstention demeure avant tout et plus que jamais un indicateur d’exclusion politique. La séquence électorale de 2017 met en exergue des inégalités face au vote qui mériteraient, tout comme que les inégalités de genre, d’origine et de revenus, d’être prises au sérieux et combattues pour que soit tenue la promesse présidentielle de rénover la démocratie.

Loi et lois organiques du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales

Les trois textes visent à moderniser les règles d’établissement des listes électorales en assouplissant le calendrier d’inscription et en améliorant la procédure d’examen et de contrôle des mouvements opérés sur ces listes. La réforme entrera en vigueur au plus tard le 31 décembre 2019.

Afin de permettre à tout électeur de s’inscrire jusqu’à 30 jours avant l’élection, la révision annuelle des listes électorales est supprimée. Un répertoire électoral unique, tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), est créé. Il sera alimenté par les décisions d’inscription et de radiation des maires sous le contrôle d’une commission communale. Les listes électorales par commune seront extraites de ce répertoire. Ces dispositions posent le principe de la dématérialisation des échanges entre l’Insee et les mairies. Pour cela, les petites communes seront accompagnées par l’État.

Par ailleurs, les critères d’attache avec la commune d’inscription sont assouplis : la qualité de contribuable local sera reconnue après deux années consécutives d’inscription au rôle des contributions directes locales (au lieu de cinq). La procédure d’inscription d’office est élargie aux jeunes qui atteignent l’âge de 18 ans entre les deux tours d’une élection et aux personnes qui acquièrent la nationalité française.

Pour les Français établis hors de France, la double inscription est supprimée (jusque là, il était possible d’être inscrit sur une liste consulaire et sur une liste communale).

À compter de 2017 et jusqu’au 31 décembre 2019, un prélèvement sur les recettes de l’État est institué afin de soutenir les communes dans la rénovation des conditions d’inscription sur les listes électorales. Le montant de ce prélèvement est égal aux éventuelles charges directes qui résulteraient pour les communes de la mise en œuvre de la loi.

La Chaire Citoyenneté de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye La Chaire Citoyenneté est le pôle de recherche en innovation publique de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Elle a pour double objectif de soutenir des programmes de recherche portant sur la citoyenneté, évaluant les inégalités de participation et les dispositifs visant à les résorber. Elle vise aussi à favoriser la diffusion des connaissances scientifiques portant sur les enjeux de citoyenneté auprès des pouvoirs publics, des élus, du monde associatif, des médias et du grand public