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L’adieu au terroir : la nouvelle intercommunalité renverse les identités locales

Publié le : 19 novembre 2017 à 15:38
Dernière mise à jour : 5 juillet 2019 à 14:52
Par Philippe Estèbe

La réforme des intercommunalités a renversé le rapport entre territoires urbains et territoires ruraux. Pour le géographe Philippe Estèbe, l’identité locale, fondée sur la notion de terroir, cède la place à de nouvelles identités tournées vers les usages et la mobilité. La communication publique doit s’adapter à ce changement et prendre en compte les nouvelles échelles de territoires multipolaires et multifonctionnels. Le prisme identitaire n’est pas celui qu’on pense, c’est le message qu’il a délivré en conclusion des Rencontres nationales de la communication intercommunale qui se sont tenues à Nantes le 14 février dernier.

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Conférence de Philippe Estèbe

lors des Rencontres nationales de la communication intercommunale 2017 organisées à Nantes par Cap'Com

Pourquoi la nouvelle carte intercommunale est-elle spécifique ?

Avec la loi Notre, la géographie politique connaît un bouleversement sans précédent depuis 1790. Les processus de décentralisation étaient restés calqués sur les cartes communales, cantonales, départementales de l’après-Révolution. Même la carte régionale remonte à 1919. L’imbrication historique entre le local et le national a toujours donné aux élus locaux un poids très important dans un France pourtant jacobine. La réforme actuelle, avec la création des intercommunalité XXL, inverse le rapport entre territoire ruraux, à faible densité, et territoires urbains, à forte densité, et pose de nouvelles questions d’identité territoriale.

Qu’est-ce qui structure l’identité d’un territoire ?

D’abord le territoire est un concept très français qui n’existe pas dans les autres pays européens. Notre modèle identitaire s’est construit sur un rapport au terroir. On parle de la France des petites patries : des petites villes à forte identité, et des grandes villes à faible identité. Ceci est lié à une spécificité : la France est un pays peuplé mais peu dense, qui a connu un exode rural tardif, mais qui n’a pas consisté en un mouvement massif vers les villes. Aujourd’hui le rapport s’inverse : les villes deviennent des espaces de sédentarisation et les territoires ruraux des espaces vibrionnaires. Le référentiel rural s’est indexé sur la mobilité résidentielle, professionnelle ou quotidienne. Les territoires à faibles densités tendent à se spécialiser dans des fonctions. La réforme territoriale vient confirmer cette inversion du rapport identitaire.

En quoi les identités urbaines et rurales diffèrent-elles ?

Les métropoles ont acquis des compétences nouvelles à périmètre constant : une réforme d’intensité. Dans les territoires ruraux, les périmètres se sont considérablement élargis sans accroître les compétences. La stratégie identitaire de ces nouveaux espace d‘intercommunalité XXL ne peut pas emprunter les mêmes canaux que la stratégie identitaire des grandes villes, comme le branding territorial. Notamment parce qu’on ne sait jamais qui est véritablement gouverné du fait de la mobilité qui structure ces territoires.

Comment appréhender le civisme à l’échelle communautaire ?

Il y a deux écoles de pensée pour dire ce qu’est le civisme. La première dit qu’il il faut construire un espace de civisme commun pour rassembler une diversité d’acteurs. La force du politique c’est la construction d’espaces délibératifs entre des groupes d’intérêts divergents. Le pouvoir local fait société quand il arrive à créer ces espaces pour créer du compromis. C’est le Big Governement. La seconde présuppose que les gens n’ont pas envie de faire société et préfèrent vivre dans l’entre-soi. Il faut accepter cette volonté car les différents groupes sociaux n’ont pas nécessairement les mêmes besoins. Selon le premier principe, la collectivité offrira des services moyens, selon le second elle offrira un panier de services. Cela crée un quasi marché qui permet aux gens de voter non pas avec un bulletin mais avec leurs pieds en s’installant là où le rapport qualité prix leur semble le plus favorable. C’est une conception du citoyen-consommateur.

Existe-t-il un modèle politique urbain et un modèle politique rural ?

Le système français s’appuie sur les deux principes. Il y a des grandes villes qui rassemblent des intérêts divergents et organisent la délibération entre ces différents groupes sociaux. Lyon et Nantes par exemple. Les territoires périurbains ou ruraux, les première intercommunalités, donnent une lecture libérale avec la construction d’espaces assez homogènes, riches ou pauvres. Avec les intercommunalités XXL, on pourrait retrouver des formes d’espaces publics de type urbain. Les villes sont espaces mixtes à l’échelle de la ville mais socialement plus homogènes à l’échelle des quartiers. La question ne se pose pas entre urbain ou rural mais renvoie à la notion d’espace public.

Comment la nouvelle intercommunalité doit-elle aborder sa communication ?

On a intérêt à faire apparaître l’intercommunalité XXL comme un espace d’usage et passer d’une lecture statutaire (électeur, contribuable) à une logique plus anthropologique de spatialité. On n’est plus seul dans le même espace, le chef lieu de canton se retrouve avec d’autres chefs lieux de cantons. On passe d’un monde monopolaire à un monde multipolaire. Ça permet de construire des cartes d’usages, des parcours thématiques de vie quotidienne. Par conséquent, il faudrait essayer de sortir les débats délibératifs d’une emprise trop territoriale. Pour y entremêler des dialogues de pôles d’emploi, de réseaux, de pôles de services, qui prennent les choses autrement, qui permettent de parler entre les territoires plus que de parler dans les territoires.

Philippe Estèbe est géographe et docteur en sciences politiques. Directeur d’études à Acadie, il enseigne à Sciences Po et a publié plusieurs ouvrages sur l’organisation et le fonctionnement des territoires. Son dernier opus : L’égalité des territoires, une passion française (PUF, 2015). Il est venu échanger avec une centaine de communicants territoriaux, élus et directeurs de cabinet, lors des Rencontres nationales de la communication intercommunale organisées par Cap’Com à Nantes les 13 et 14 février 2017. Retrouvez l’intégralité de la conférence-débat dans les vidéos suivantes.