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L’Autre, post-pandémie : opportunité ou menace ?

Publié le : 7 mai 2020 à 10:30
Dernière mise à jour : 11 mai 2020 à 10:39
Par Marc Thébault

Nous le savons depuis longtemps, surtout si nous puisons nos ressources dans les sciences humaines plutôt que dans les seules techniques de la réclame ou du digital, l’un des fondements mêmes de la communication, c’est la relation à l’Autre. Et pour le dire plus précisément, la représentation que l’on a de l’Autre. Dans le domaine public par exemple, sollicitons-nous l’intelligence de l’Autre et sa capacité de réflexion, de critique ou de proposition, ou sommes-nous dans l’attente d’un acquiescement béat à toute parole institutionnelle ? Considérons-nous l’Autre apte à l’appropriation des enjeux de nos institutions et de nos territoires ou le classons-nous définitivement avec « les gens qui ne comprennent rien à rien » ?

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Par Marc Thébault.

Idem en ce qui concerne les stratégies d’attractivité relevant du marketing territorial. Alors qu'elles sont souvent orientées vers l’attractivité pérenne des talents (et, par ricochet, l’attractivité résidentielle) ou vers celle, plus éphémère, des touristes, tous les experts reconnaissent aujourd’hui que cette attractivité ne trouve de chance de succès que si le territoire lui-même, et pas uniquement ses responsables publics, attend et accepte ces nouveaux venus. En somme, que si le territoire comprend l’intérêt pour lui-même de ces apports humains. Au risque, sinon, de levées de boucliers contre les débarquements de horsains. Notamment s’ils sont étiquetés « Parisiens ».

Le mercredi 5 mai dernier, dans l’émission Quotidien, Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinion de l’Ifop, alertait sur le risque d’une France coupée en deux après le déconfinement. Pour faire (très) court : la France des McDrive vs la France des circuits courts. Il alertait donc sur la bataille à venir entre deux visions du monde, où bien sûr chacune des parties sera certaine de son bon droit. Notamment la lutte entre celles et ceux qui voudront un changement radical dans les modes de consommation (ou de transport) et celles et ceux qui n’auront de cesse que de revenir à leur mode de consommation (ou de transport) passé, celui-ci étant considéré comme relevant de leur identité même. En somme le « changeons tout collectivement » face au « revenons à l’avant individuel », ou la « normalité » vue comme origine du désastre ou comme Graal à reconquérir. De là à penser que l’ensemble va conditionner de nouvelles certitudes sur ce qu’est l’Autre et sur ce qu’il représente comme chance ou comme danger, il n’y a qu’un pas que je vous invite à franchir.

L’enjeu du rapport à l’Autre sera très certainement demain celui des communicants ou des marketeurs territoriaux.

Il va être assez compliqué (litote) de prévoir quoi que ce soit de notre avenir dans le détail, mais ce qui n’empêche pas d’émettre des hypothèses. Ainsi, lorsque, à la demande de Cap’Com, j’ai tenté de mettre sur le papier quelques idées sur le « monde d’après » du marketing territorial, il m’est apparu qu’une des clés devrait résider dans cette fameuse représentation future de l’Autre.

En effet, des territoires ont vu de très nombreux horsains (notamment des Parisiens) venir se confiner chez eux. Ces derniers ont donc pu être perçus comme autant de risques de contamination « importée ». Mais d’autres territoires ont connu des habitants qui ont eu des comportements interprétés comme dangereux ou égoïstes. Il serait alors très malvenu de vouloir attirer de tels « irresponsables ». Si, en plus de tout cela, vous cherchez à séduire des personnes de l’extérieur via des emplois disponibles chez vous, alors que votre propre population a peut-être fait les frais de la chute de l’économie, vous envisagerez sans mal la complexité infinie et tordue de la nouvelle quadrature du cercle.

Ainsi, plus que jamais et en dehors de toute vision naïve et bienveillante à l’excès, l’enjeu du rapport à l’Autre sera très certainement demain celui des communicants ou des marketeurs territoriaux. Reconstruire du collectif, remobiliser autour du bien commun, ressouder une communauté de destin, réunir pour dessiner un après, etc. Les manches sont sacrément à retrousser pour donner tort à Sartre. Et, parce que tout est de plus en plus complexe, le clivage présenté par Jérôme Fourquet n’est pas aussi simple que l’on pourrait le croire. D’abord parce qu’il n’a pas manqué de souligner que cette dichotomie n’est pas sans rapport avec la fameuse carte du déconfinement, et que cette carte verte et rouge ressemble aujourd’hui à la carte des choix électoraux ! De là à reparler des gilets jaunes et de la France des « protégés » face à celle qui ne l’est pas… Mais notons aussi que chacun de nous va osciller entre les deux clans, histoire d’ajouter une nouvelle dose de difficulté pour boire la coupe jusqu’à la lie. Nous pourrons autant vouloir absolument consommer local et redonner du chiffre d’affaires à nos commerces locaux, encore faudra-t-il en avoir les moyens financiers, tout en rejetant les transports en commun et en voulant impérativement repartir en escapade à Bali avec des accessoires de trekking dénichés à un prix dingue sur Amazon. Nous pourrons vouloir sauvegarder nos libertés individuelles tout en ayant le smartphone prompt à prévenir le 17 des « excès » de nos voisins et la pétition « Anti appli Covid » prête à la signature ! Oui, comme avant, nous risquons de dire, de penser et de vouloir tout… et son contraire.

Celles et ceux qui me lisent savent que j’ai souvent présenté l’habitant de nos collectivités comme apte à endosser au moins quatre statuts. Il peut être « administré », champion du « je », ayant une vision individuelle et à court terme de la chose publique (« Rebouchez-moi le trou devant chez moi sans tarder ! »). Il peut être « usager », champion du « on », avec une vision cette fois acceptant le moyen terme mais liée à son seul groupe d’usage, et toujours prompt à s’opposer à d’autres groupes : les sportifs (vs les cultureux), les parents d’élèves (vs les enseignants), les riverains aspirant au calme (vs ceux qui veulent que ça bouge), les vélotaffeurs (vs les automobilistes), etc. Il pourra aussi être « citoyen », champion du « nous », capable alors d’une vision collective et à long terme : en somme notre chouchou (d’ailleurs nombre de dircoms ne parlent qu’à lui) car le seul à être en mesure, à nos yeux, de comprendre que ce n’est pas grave de ne pas boucher un trou dans la voirie dans la seconde du moment que nos élus sont mobilisés vers l’intérêt général et l’avenir du territoire. Et puis, régulièrement, il est « électeur » et, cette fois, malin est celui qui sera apte à en dresser le portrait-robot universel. Mais la morale de tout cela réside bien dans le fait qu’il s’agit, chaque fois, du même habitant et que, à défaut de repérer avec exactitude d’où il nous interpelle, il convient de balayer les quatre registres histoire d’être certains de ne pas tomber à côté de la plaque.

Nous sommes donc déjà habitués à gérer avec la volatilité des postures et les revirements d’avis. Et sur le sujet qui nous préoccupe ici, l’Autre, notre expérience doit nous appeler à la vigilance et à la plus grande souplesse : aucune posture ne sera définitive et la contradiction cyclique pourra être la règle. Faisons en sorte que notre expertise acquise dans le monde d’avant vaille encore pour celui d’après ! Bon courage, collègues !