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Le temps des vaches minces arrive

Publié le : 3 septembre 2020 à 07:07
Dernière mise à jour : 3 septembre 2020 à 16:16
Par Alain Doudiès

Voici quelques repères sur le chemin incertain qui se présente aux communicants publics. Petit panoramique.

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

  • Première incertitude, à moins que la question ait déjà été tranchée : le sort qui sera fait aux dircoms et autres responsables, dans les communes et les intercommunalités dont la majorité politique a changé.

Contraintes et questions

  • Une certitude, en revanche, après quelques jours d’atermoiements élyséens : les élections départementales et les élections régionales auront lieu à la date prévue, en mars 2021. Donc les contraintes sur la communication en période préélectorale ont commencé le 1er septembre prochain, après un sprint dans les collectivités directement concernées et dans celles qui le sont indirectement si certains de leurs élus sont candidats.
  • Des interrogations émergent. Dans les villes et les intercommunalités, que vont faire les nouvelles équipes ? Les changements annoncés des politiques publiques et des modes de gouvernance seront-ils effectifs ? En quoi la communication sera-t-elle impactée dans ses objectifs et ses productions ?
  • D’autres questions surgissent. Certains considèrent que « la démocratie territoriale sort affaiblie des élections » et que la légitimité des maires est fragilisée (1). D’autres, d’expérience, pensent que la légitimité des élus se construit dans la mise en œuvre de leur programme et la perception positive de l’action municipale, par les habitants, qui en résulte.

Coup de chapeau

  • Phénomène marquant : ces derniers mois, les collectivités locales ont repris du poil de la bête. Les maires en place ont été clairement considérés comme « à hauteur de la situation » pendant la crise par 79 % des Français, alors que les entreprises (69 %), les habitants (39 %) et le gouvernement (34 %) recueillaient des satisfecit inférieurs (2). De même, 67 % des Français considèrent que la gestion de la crise par les départements a été efficace (3).
  • L’Institut Montaigne, réputé d’inspiration libérale, donne ce coup de chapeau : « Les collectivités locales se sont activement mobilisées pour assurer la continuité des services essentiels et déployer un dispositif de communication proche du terrain pour informer, rassurer et mobiliser. Elles ont souvent dû outrepasser le cadre strict de leurs responsabilités pour répondre à la réalité des urgences (4). »

Décentralisation ? Déconcentration ?

  • Dans ce contexte, un double phénomène s’est produit ces dernières semaines. On a assisté au croisement de deux démarches. D’un côté, le président de la République a affiché son ouverture : « Tout ne peut pas être décidé si souvent depuis Paris. Libérons la créativité et l’énergie du terrain. » De l’autre, les collectivités locales tentent de s’engouffrer dans cette brèche apparente.
  • Nouvelle étape de décentralisation au profit des territoires ou déconcentration en vue d’un État moins parisien ? Emmanuel Macron vise « plus de libertés, plus de responsabilité, plus de lisibilité ». La « nouvelle donne territoriale », qu’il a présentée dans son entretien avec les quotidiens régionaux, devrait se traduire « non par de grandes réformes institutionnelles mais des politiques concrètes, au cas par cas, de différenciation, d’association, de clarification ». Annonce du chef de l’État : « Dès cet été une grande conférence des territoires où (…) on ne se perde pas dans des débats de cathédrale. »
  • Les collectivités locales s’efforcent d’occuper ce terrain ainsi dégagé, sans perdre de vue les effets de la crise sur les entreprises et les emplois. Régions de France demande « une planification et une contractualisation entre l’État et les régions ». L’Assemblée des communautés de France souligne que « les mesures d’aide à la reprise puis à la relance se doivent de différencier les situations et demeurer ciblées, pilotables localement, au vu des situations locales ». France urbaine (grandes villes et métropoles) demande une relance « territorialisée » avec des domaines prioritaires, comme la rénovation énergétique des bâtiments, les mobilités ou la relocalisation des activités. Avec une approche plus ambitieuse, l’Association des petites villes de France analyse ainsi la situation : « Cette crise est peut-être notre dernière chance de transformer nos modèles de société et de placer les territoires au cœur de ce nouveau système. »
  • De son côté, Fabien Taste, président de l’AATF (Assemblée des administrateurs territoriaux de France), bouscule les lignes habituelles : « Nous avons besoin d’une “déconcentralisation“, c’est-à-dire de faire avancer avec la même force déconcentration et décentralisation, de renforcer les pouvoirs du préfet et d’aller plus loin dans les transferts de compétences. »

Libertés locales

  • « Plus de libertés locales », voilà le drapeau que brandit le Sénat dans son rapport « Pour le plein exercice des libertés locales – 50 propositions pour une nouvelle génération de la décentralisation (5) ». De même, Territoires unis, qui fédère Régions de France, l’Assemblée des départements de France et l’Association des maires de France, clame : « Plus de libertés locales pour plus d’efficacité (6). »
  • Nous verrons si, à moyen terme, apparaît un nouveau paysage institutionnel. À court terme, les lourds nuages des difficultés financières sont menaçants. La chute des recettes des communes, départements, pourrait atteindre près de 5 milliards d’euros en 2020 et 2021. Les départements seront particulièrement touchés. L’ADF s’alarme ainsi : « L’impact de la crise actuelle sur les finances des départements devrait être plus violent et plus durable que lors de la crise de 2008. »

« Sobriété »

  • Comment penser que la communication sera épargnée, même si, au plus fort de l’hypercrise, les équipes n’ont pas démérité ? Il est peu probable que la communication soit un sanctuaire. Qu’un candidat, avant les élections, dise, avec quelque démagogie : « Il faut moins de communication », passe encore. Mais qu’un maire fraîchement élu le confirme : « Il faut de la sobriété dans les dépenses de communication », c’est plus alarmant, « sobriété » voulant dire réduction des budgets, comme « plan social » signifie licenciements.
  • Nous devrons donc muscler notre argumentaire pour prouver que les coupes dans le budget de communication, si elles ont un effet politique, sont d'un très faible poids financier. Nous devrons démontrer que la communication est, plus que jamais, nécessaire pour faire face aux enjeux… politiques.
  • À ces moyens à la baisse s’ajoutent les impératifs d’une éco-communication qui pousse à la « sobriété ». La frugalité va s’imposer à nous. Le temps des vaches minces arrive.

Nouvel horizon

Regardons un horizon plus positif : celui qu’avec une belle ardeur novatrice dessine l’ADT-INET (Association des dirigeants territoriaux et anciens de l’Institut national des études territoriales) avec son « Manifeste pour la transition territoriale (7) ». Ces patrons des services affirment ainsi : « Nous sommes prisonniers d’une cage idéologique. Notre difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles mais d’échapper aux anciennes. Nous nous trouvons devant un système de basculement de système de représentation aussi majeur que celui opéré par Copernic. » Ils s’engagent : « Nous sommes 150 000 cadres dirigeants de collectivités locales. Nous représentons un formidable levier de transformation immédiate des politiques publiques. Cela dépend des élus, bien sûr, mais de nous aussi beaucoup. (…) Sachons être conseillers plutôt que courtisans. » Voilà une petite musique douce à nos oreilles…


(1) Tribune de Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille (Libération, 3 juillet 2020).
(2) Étude Odoxa pour
Le Figaro et France Info (mai 2020).
(3) Étude nationale Département de l’Essonne-Harris Interactive (juin 2020).
(4) « L’action publique face à la crise du Covid-19 » (juin 2020) :
Résumé : https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/resume-l…
Note complète : https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/note-lac…
(5) http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2020…
(6) http://regions-france.org/wp-content/uploads/2020/07/Dossier-Confe%CC%8…
(7) https://adtinet.fr/le-manifeste-de-ladt-inet-pour-la-transition.