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Les ancêtres qu’il faut

Publié le : 31 mars 2022 à 07:00
Dernière mise à jour : 31 mars 2022 à 12:39
Par Christophe Devillers

Les tendances sont nombreuses, qui agitent la communication publique depuis les lois de décentralisation des années 1980. Ces mouvements sont liés aux fluctuations politiques, technologiques et sociales ; et Cap’Com les suit depuis sa création.

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Par Christophe Devillers, directeur attractivité et mission cinéma de Mulhouse Ville et Agglomération.

Pas question de prendre parti, ici, entre ceux qui professent le « c'était mieux avant » et ceux qui s’immergent avec gourmandise dans le bain bouillonnant de la com du XXIe siècle. Entre les Anciens et les Modernes, la querelle ne date pas d'aujourd’hui. Pour autant, il ne nous est pas interdit, tout communicants publics que nous sommes, de marquer un temps d'arrêt dans le tourbillon où nous vivons et de prendre de la distance (soyons fous !) pour réfléchir à notre rôle dans la marche du monde.

Si l'on parle de communication publique, intéressons-nous d’emblée à son destinataire (au fond, le seul paramètre qui vaille). Au gré de la spécialisation et du ciblage croissants des messages, on s'adresse désormais à une opinion publique, à des usagers, à des administrés, à des contribuables, à des communautés.

Malheureusement, l'opinion est toujours gazeuse ; l'usager souvent mécontent ; l'administré éminemment passif ; le contribuable traditionnellement pressuré ; la communauté à coup sûr revendicative.

Mais le Peuple ? Où est-il ? Et quand lui parle-t-on ? Le Peuple qui se soulève, le Peuple souverain, le Peuple constituant, le Peuple résistant, celui qui délibère, ou se libère ? Celui, surtout, dont procède toute légitimité politique dans nos systèmes démocratiques occidentaux ?

À la différence des autres catégories, le Peuple est homogène et se reconnaît dans un récit commun, par-delà les différences de ceux qui le composent. Mais nous ne lui parlons plus jamais, nous ne lui écrivons plus jamais. À des fins d'efficacité, d'attractivité, de cohésion régionale, enrôlés que nous sommes dans nos stratégies de marque ou dans la pédagogie des politiques publiques, nous inventons une geste territoriale, déployons des récits locaux, glorifions les héros du cru, parlons à des groupes marketés et, d'une certaine manière, encourageons les particularismes.

Comme le notait déjà en 2014 Jean de Legge, ancien dircom de Rennes, dans ses Propagandes nécessaires (éditions du Cherche midi), « pour construire ces romans régionaux et locaux, en remplacement du roman national, tout le monde s’y met, y compris l’univers académique qui propose, sous couvert de respectabilité diplômée, les lectures les plus intéressées du passé. Avec l’aide des universitaires, les communicants donneront à la population les ancêtres qu’il faut pour affronter le monde d’aujourd’hui ».

Dans ce moment-charnière où la perte de sens générale se complète d’une pandémie mondiale et d’une guerre en Europe, le besoin de protections se comprend aisément. Mais choisir le repli, géographique (la frontière) ou historique (la « souche »), c’est souvent sécréter des volontés séparatistes.

Les professionnels qui racontent avec brio leur ville, leur bassin de vie, leur région, ne sont évidemment responsables ni du patriotisme belliqueux, ni de l’esprit de clocher, nés bien avant eux. Mais en vertu de l’effet papillon, chacun, dans sa fonction, est dépositaire d'un infime fragment narratif d'une histoire unificatrice plus large, nationale, européenne, à laquelle j’ose avancer qu’il devrait veiller aussi.