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Magazines : tourner la page du « toutes boîtes » ?

Publié le : 4 avril 2024 à 07:21
Dernière mise à jour : 4 avril 2024 à 18:46
Par Yves Charmont

Depuis plusieurs années les magazines des collectivités font face à des difficultés. Cet été pourrait bien sonner la fin d’un modèle. Un des principaux opérateurs de leur distribution non adressée jette l’éponge. Point commun dresse le constat et revient sur le contexte et les conséquences prévisibles de ce changement de pied. Qui est concerné ? Quelles sont les options ? Le principal vecteur d’information et de communication des collectivités pourra-t-il continuer à remplir sa mission ?

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En mars, plusieurs collectivités ont reçu un courrier du numéro deux de la distribution « toutes boîtes aux lettres », Milee (ex-Adrexo – que Point commun a également interrogé), qui les informe officiellement de la fin du service, comme cette lettre reçue ce 20 mars par la métropole de Rennes : « Ainsi, nous vous annonçons que, dès le 19 août prochain, notre société interrompra définitivement l’ensemble de ses distributions d’imprimés sans adresse pour se concentrer sur des distributions exclusivement adressées. »

Distribution « toutes boîtes » : Milee nous répond

Après l'annonce de la fin de la distribution « toutes boîtes » par l'un des acteurs majeurs du marché, anciennement Adrexo, Point commun l'a interrogé pour en savoir plus sur les raisons de ce repli et sur ce qui pourra advenir comme modèle de distribution des magazines des collectivités.

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Une « très mauvaise nouvelle » pour le dircom de la ville et de la métropole de Rennes, Laurent Riera, qui s’était récemment appuyé sur les rotatives d'Ouest-France pour porter un nouveau modèle d’info de proximité (Ici Rennes), en circuit court, avec les ressources locales, de façon sobre et efficace. Un modèle qui débouche sur une distribution générale de cette revue à plus de 200 000 foyers.
Cette égalité des habitants devant l’accès à l’information territoriale, avec le dépôt en boîte aux lettres, fait de ces supports les plus efficaces et les plus appréciés. Le dernier Baromètre de la communication locale plaçait les magazines en tête de liste des principaux supports utilisés pour s’informer sur la vie locale avec 78 % de lecteurs déclarés. Il retrouvait, en 2022, sa place de support d’information préféré des Français au plan local parmi les 18 médias testés, toutes catégories confondues : papier, digital et présentiel ; publics et privés. Il repassait devant le bouche à oreille, qui lui avait ravi la première place en 2020 à la faveur des premiers confinements.

Une communication compromise ?

On peut considérer que la totalité des collectivités locales articulent leur communication autour d’un magazine ou d’un bulletin. Mais tous ne sont pas distribués dans les boîtes aux lettres de l’ensemble des habitants. Il semble y avoir un modèle évolutif selon la taille des communes.

  • Les plus petites communes font distribuer le bulletin en porte-à-porte, de façon artisanale, quelquefois par les élus eux-mêmes ou des agents.
  • Dès que le nombre de plis dépasse le millier, les collectivités vont avoir recours à des services de distribution non adressée, proposés par plusieurs opérateurs, comme La Poste, Milee ou des réseaux locaux.
  • Certaines assurent elles-mêmes cette distribution en rémunérant des agents en vacation et en organisant les tournées (un système qui a un coût supérieur). Mais il y a déjà une mixité des modes de distribution, incluant le dépôt dans des commerces et des services de proximité et des envois adressés pour des publics éloignés.
  • Plus on grossit et plus ce mélange des modes est important (rendant également l’organisation en interne impossible) jusqu’aux plus gros tirages, qui se chiffrent en millions d’exemplaires, à l’échelle des régions. Plusieurs de ces collectivités ont déjà fait le choix de sortir du non-adressé, pour ne conserver qu’un mélange d’envois par pli adressé, dépôts et mise à disposition de l’info par voie électronique (pages actu sur le site web, infolettre).

Les habitants peuvent se faire délivrer par courrier le magazine du territoire, comme on s’abonne à un journal classique.

L’innovation vient ici des très grandes collectivités, qui ont quelquefois mis en place un système d’abonnement : les habitants peuvent se faire délivrer par courrier le magazine du territoire, comme on s’abonne à un journal classique, mais ce système a un coût par envoi que l’on peut estimer à 20 ou 30 centimes minimum (contre environ 10 centimes par exemplaire pour une distribution « toutes boîtes » de qualité). On peut trouver, comme en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, un système d’information qui se passe complètement du magazine imprimé (même avec un tirage limité et une distribution ciblée). À partir de la page actualité de son site, Marine Pinatel, dircom de la région, touche les habitants volontaires en leur proposant un abonnement à une infolettre. Un système plus radical, sans infolettre, a été créé en interne dans la région Hauts-de-France. « La région n'édite plus de magazine depuis 2021 », confirme Éric Dréano, le dircom.

Le magazine, roi des médias des collectivités, avait déjà été remis en question, quelquefois abandonné, pour revenir dans les boîtes aux lettres comme en région Île-de-France, quelquefois réduit dans sa pagination, son tirage, ou même sa périodicité. Mais lors de la remise du Grand Prix de la presse et de l’information territoriales 2021, Didier Rigaud-Dubaa, observateur et expert en la matière, remarquait que « le mouvement n’était pas engagé avec ampleur », mais que « les difficultés d’approvisionnement en papier forçaient les collectivités à trouver des solutions rapides ».

Une question économique

De sérieux nuages s’étaient effectivement accumulés sur les magazines de ville. Comme le rappelle Audrey Coupat, dircom d’Annecy : « Notre réflexion avait commencé bien avant, avec les questions de coût du papier, de la crise ukrainienne, et les problématiques budgétaires dues à la forte hausse des coûts de l’énergie. Les difficultés s’accumulaient, mais là, cette année, cela a enfoncé le clou. Ma collègue rédac chef, un jour, est venue avec ce courriel de renoncement de notre distributeur dans les mains. Elle m'a dit : “Là, faut qu'on y aille, parce qu'on va vraiment être mal.” »

Ce sont des questions de coût et de marché qui ont amené la situation à ce point de rupture. Le communiqué de presse de Milee (12 mars 2024) le dit clairement : « La chute du marché de l’imprimé publicitaire a lourdement impacté les acteurs du marché de la distribution directe […]. Au total, en six ans, le marché aura perdu plus de 50 % de sa valeur. » Et l’opérateur de lister les facteurs aggravants : « Les conséquences économiques du mouvement des gilets jaunes, les confinements successifs liés au Covid qui ont conduit à l’interruption complète des distributions pendant plusieurs mois, et plus récemment, l’inflation due à la situation géopolitique internationale. L’impact de ces crises a été amplifié par la bascule progressive des investissements des annonceurs vers le digital, et accéléré notamment par l’expérimentation du dispositif Oui pub. » Des propos que tempère Marie-Laure Hubert-Nasser, dircom de Biarritz, qui fait distribuer les 25 000 exemplaires de Biarritz magazine par Distri-Express, une société de Bayonne créée en 2016, qui travaille avec des véhicules électriques et de façon responsable.

Quelles alternatives ?

La distribution toutes boîtes aux lettres ne serait donc plus rentable en dehors de contextes locaux particuliers. Si c’est le cas, qu'en est il pour les autres grands opérateurs ? Y aura-t-il une possibilité de se retourner vers eux ? C’est la question que se sont posée les dircoms à la réception de cette missive, comme Émilie Fleuret-Lambert, responsable de la communication de la communauté de communes Sud Estuaire, qui annonce : « De mon côté, j’ai pensé à plusieurs scénarios :

  • passer en diffusion adressée : pour quel coût ?
  • confier la prestation à Médiapost : ils n’ont pas répondu sur l’actuel marché, ils se désengagent peut-être comme Milee ?
  • passer en distribution sur des lieux de dépôt : mais l’intercommunalité n’en dispose pas, leur identification pour les usagers prendra du temps ;
  • diffusion à coupler avec les bulletins municipaux : mais les dates de parution ne sont pas homogènes sur les communes ;
  • arrêter le magazine : proposer une alternative en ligne plus immersive qu’un simple PDF à télécharger. »

C’est un bon résumé de ce que pensent de nombreux collègues, actuellement clients de Milee, mais pas seulement ! « Je suis en alerte sur le sujet », déclare Stéphane Butny, dircom du département de Saône-et-Loire (71 le mag’ – 299 000 exemplaires, 5 numéros par an, avec une diffusion dans toutes les boîtes aux lettres assurée par La Poste). Il note que la plateforme logistique de Saône-et-Loire de Médiapost a été récemment supprimée. « Nous devons désormais livrer nos colis à Lyon. Lorsqu’il y a des regroupements de la sorte, ce n’est jamais très bon ni pour la qualité du service, ni pour les perspectives à long terme. » Il ajoute que « la disparition du seul concurrent “valable” représentera, j’en suis persuadé, une opportunité pour une revalorisation générale du marché » (un renchérissement). Il nous confie également ne pas sentir ses interlocuteurs distributeurs très à l’aise lorsqu’il s’agit d’évoquer le « Oui pub », qui fait réfléchir largement, apparemment.
Laurent Riera, dircom de Rennes et Rennes Métropole, a le même sentiment. La Poste n’est-elle pas elle aussi sur la voie d’une reconsidération des distributions non adressées et d’un désengagement ? Point commun a naturellement interrogé cet opérateur et nous attendons ses réponses.

Lorsqu’il y a des regroupements de la sorte, ce n’est jamais très bon ni pour la qualité du service, ni pour les perspectives à long terme.

Stéphane Butny, dircom du département de Saône-et-Loire

Changer pour l’envoi adressé

Des collectivités ont déjà franchi le pas, de façon franche, comme le département de l’Aisne, qui a arrêté il y a un an sa distribution par La Poste pour passer à un mode alternatif multisupport avec un prolongement du magazine dans un format sur abonnement, en confiant son envoi au routeur Groupe Routage.
Dans ce modèle, la collectivité crée une base de données sur l’enregistrement volontaire des adresses postales des habitants. Une liste qui devra être gérée avec toutes les précautions d’usage (RGPD) sous le contrôle d’un délégué à la protection des données. On imagine très bien que cette base devra être nettoyée régulièrement des adresses devenues obsolètes. Mais comment estimer le nombre d’envois que cela représentera ?

Pour Audrey Coupat, dircom d’Annecy, qui vient de basculer sur ce nouveau mode de distribution : « On a toujours eu un listing de diffusion adressée, à côté, qui était de l'ordre de 1 000 ou 1 500 exemplaires, ce qui est faible par rapport aux 75 000 exemplaires distribués. C'était plutôt destiné à des structures partenaires, mais à des personnes aussi, qui nous demandaient clairement de leur transférer le magazine par la poste. » Beaucoup de villes ont recours à un mode hybride pour faire face aux faiblesses du mode de distribution « toutes boîtes », car il y a des malfaçons, dues autant à la qualité de la distribution qu’à celle des boîtes et de leur accès. Le « toutes boîtes » est une illusion, une frange non négligeable de magazines ne trouve pas ses lecteurs… « Celui qui ne le recevait jamais avec un distributeur, on finissait par lui envoyer par courrier », ajoute-t-elle.

Des collectivités qui anticipent

Ce mois, c’est un vrai changement de pied pour la ville d’Annecy, qui en profite pour se délester de la publicité, qui rapportait environ 77 000 euros par an, mais les élus ne souhaitaient pas conserver « des pubs qui ne leur correspondaient pas, malgré des critères très restrictifs », précise Audrey Coupat.

Aujourd’hui, ce magazine, c'est quasiment la moitié de mon budget. Et nous sommes dans des restrictions budgétaires…

Audrey Coupat, dircom de la ville d'Annecy

Son magazine, c’était 74 000 exemplaires, cinq fois par an, et des coûts de papier incontrôlables (et des problèmes d’approvisionnement avec un numéro qui n’a pas pu sortir faute de papier disponible). La distribution lacunaire occasionnait des retours de mécontentement « parfois très violents de personnes qui ne recevaient jamais notre magazine ». La conséquence : « On a commencé à y réfléchir. Et même si j'étais un peu de l'école “toutes boîtes”, on a un peu benchmarké, avec mes collègues, pour voir ce qui était envisageable », confie la dircom d’Annecy, avant de préciser : « Il y a une vraie autre raison. Aujourd’hui, ce magazine, c'est quasiment la moitié de mon budget. Et nous sommes dans des restrictions budgétaires… »

Top départ pour l’envoi adressé à Annecy : « On a fortement nettoyé aussi la base de données que l'on avait jusqu'à l'heure actuelle. Et puis côté abonnement des habitants, on en est à 3 500 personnes qui l’ont demandé. » Pour le reste de la diffusion de son magazine, Annecy met en place un réseau de dépôts dans des lieux publics (commerces, artisans, services publics de proximité), à partir de mai. « On envisage environ de 400 à 500 points de diffusion sur tout le territoire. Là, on travaille avec un prestataire que l'on vient de retenir. On a une première réunion de travail cette semaine. » La dircom pense que c’est une opportunité pour toucher différemment certains publics, dans la proximité, « ce qui est une valeur essentielle de la municipalité à l'heure actuelle ». L’objectif : toucher des personnes qui pourraient s’éloigner de l’information municipale avec l’arrêt du « toutes boîtes », pour beaucoup des personnes âgées pour qui des communications dédiées ont été diffusées.

On est en train de travailler en termes de bimédia.

Audrey Coupat

Quand on lui pose la question du coût de ce routage du magazine (passé de 52 à 44 pages à la faveur de l’arrêt des publicités), la dircom ne peut pas encore répondre car le marché a été infructueux. Et il lui est difficile d’estimer ce que représenterait l'envoi de 25 000 ou 30 000 exemplaires avec adresse. Pour le moment, elle achemine les 3 500 exemplaires de sa liste d’abonnés par l’envoi en nombre de la ville, comme des courriers courants. Mais c’est une solution transitoire. C’est un routeur ou une entreprise spécialisée dans la distribution adressée qui prendra le relais.
Pour demain, « on est en train de travailler en termes de bimédia », indique Audrey Coupat. En modifiant également son site web, elle rénove complètement son système d’information : « Notre ancien site n'était pas si vieux que ça ; il avait trois ans. Mais on a décidé de le rénover pour être un peu plus dans le service et dans le fonctionnel. On cumulait les pages sans qu’il n’y ait vraiment de valeur ajoutée. On pousse sur le facile à lire et à comprendre, et nous allons également pousser des informations par-dessus. » La ville d’Annecy projette de mieux coupler les articles entre ces deux supports, numérique et papier.

L’hybridation risque bien d’être le maître mot, demain, dans les services communication, y compris dans les petites collectivités. C’est ce que semble confirmer Émilie Fleuret-Lambert, lorsqu’elle se confie sur ses objectifs à la suite de l’arrêt de la distribution par Milee. À la question de l’importance pour elle de conserver ce média et son rôle dans sa communication, elle répond franchement : « Je pencherais justement pour supprimer ce média papier. Mes arguments :

  • je pense qu’il est peu lu alors qu’il demande un travail et un coût financier importants ;
  • nous sommes en refonte de notre site web et je m’appuierai sur ce dernier pour travailler notre communication ;
  • développer une page intercommunale sur les médias municipaux (nous avons actuellement une page dans le magazine de la commune de Saint-Brevin, bimestriel) ;
  • j’utiliserai les sommes allouées au développement des outils numériques. »

Mais elle conclut avec une ouverture sur une réflexion partagée : « Avec l’arrêt du non-adressé, c’est le moment d’interroger les élus et la direction sur l’utilité de ce média. Je pense également à une enquête papier et en ligne en direction des usagers pour appuyer la décision. »

Une solution pointe son nez, dans les échanges de ces derniers jours : celle du recours à la liste électorale comme point de départ pour une distribution adressée à chaque citoyen. « Après tout, à ma connaissance, beaucoup de villes utilisent la liste pour contacter les nouveaux arrivants », remarque Marie-Laure Hubert-Nasser, dircom de Biarritz.

Point commun reviendra dans son prochain numéro sur la distribution à partir des listes électorales, une solution qui représente un avantage incontestable – accessibilité et égalité – mais dont le cadre juridique doit être respecté. Une interview de Rolande Placidi, avocate spécialisée en droit des collectivités locales, nous éclairera sur cette question.

À vous la parole : quelles sont vos solutions ?

Le mois dernier, lors d’une rencontre de communicants publics à Nantes en présence de Cap’Com, la question de la distribution a été placée parmi les sujets « métier » qui les intéressent le plus. C’est donc l’occasion de vous donner à vous également la parole sur ce sujet en vous proposant de nous adresser vos remarques, suggestions et témoignages par courriel à la rédaction avec, dans l’objet du message, la mention « non-adressé ». Nous reviendrons dans ces colonnes sur l’évolution de la situation et les solutions mises en œuvre par les collectivités et une table ronde sera proposée sur le sujet lors de la cérémonie de remise en ligne du Prix de la presse et de l’information territoriales, vendredi 28 juin entre 10 et 12 heures.

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