Aller au contenu principal
Publié le : 11 janvier 2024 à 07:07
Dernière mise à jour : 11 janvier 2024 à 18:09
Par Alain Doudiès

Communicants publics, prenez la parole !

Dans les mêmes thématiques :

Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste.

Pour ma dernière contribution à Point commun, que dire, avec justesse ? Certes pas claironner avec des propos emphatiques, ni tonitruer par des déclarations péremptoires. Mais, mezzo voce, proposer à votre curiosité et à votre sagacité une poignée de convictions, nourries de vingt-cinq ans de communication publique, précédés d’autant d’années de parcours en journalisme. Une très longue carrière qui, pour autant, chères lectrices, chers lecteurs, ne fait pas de moi un sage ou un mentor, mais un pair, un professionnel animé par la passion.

Merci Alain

Au travers de Point commun et en tant que membre du Comité de pilotage de Cap’Com, tu as porté la parole des communicants publics, haut et fort. Après vingt-cinq ans au sein du réseau, avec tes points de vue très réguliers dans notre infolettre, tu as exprimé une vision de la compublique qui est aussi la nôtre. C’est dire que tes prises de parole vont nous manquer. Les communicants publics ne gueulent pas assez fort, dis-tu, c’est peut-être une caractéristique de leur métier de porter davantage la parole des autres que la leur. Mais avec Cap’Com, ils se sont dotés d’un porte-voix que tu as mobilisé, pour le plus grand bien du métier. Bravo.

La rédaction

Matière à réflexion

Avant de développer le sujet qui me tient le plus à cœur et à esprit, qu’est-ce qui émerge du flot de considérations sur vos métiers ? En passant ainsi du « nous », que je quitte, au « vous », voilà, à mes yeux, matière à réflexion, en quatre volets.

La communication publique, c’est politique

Votre travail résulte d’un programme politique. Au sein d’une collectivité locale ou en tant que prestataire, vous contribuez à la mise en œuvre d’un projet politique, conduite par des élus… politiques. Expliquer et valoriser la mise en œuvre des… politiques publiques, c’est votre raison d’être. Sans être militant au service d’un parti, c’est donner du sens à un engagement, tout en évitant de se focaliser sur les outils, de se leurrer dans le technicisme.

Les vertus de la modestie

Dans ce métier, on peut être enclin à se hausser du col. La tentation de parader peut menacer, même si on n’est pas sous les feux de la rampe. Évitez l’autosatisfaction. Les prix de Cap’Com, pourquoi pas ? Affichez vos réussites, certes. Mais analysez vos limites, vos incapacités, vos échecs. Nuancez par l’humilité la conscience de votre utilité, par la modestie l’affirmation de votre fierté.

À la fois géomètres et saltimbanques

Ministre de la Culture en 1973-1974, l’écrivain Maurice Druon a envoyé paître des artistes demandeurs de subventions : « Saltimbanques, soyez aussi des géomètres. » Communicants publics, vous êtes des « géomètres » : budgets, plans de communication, méthodologies, respect des principes des finances publiques, du Code des marchés publics, des règles en matière de ressources humaines. Vous êtes aussi des « saltimbanques ». Vous avez abandonné le style empesé et le conformisme institutionnel qui prévalaient. Tant mieux ! Continuez à donner place à la créativité, à l’inattendu, à l’imagination qui n’empêchent pas la pertinence. Déployez l’intelligence… naturelle.

Les déconnectés, les défavorisés, les détachés

Ils sont nombreux, les déconnectés qui ont des difficultés à effectuer des démarches en ligne, les défavorisés qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, les détachés qui ne votent pas. Vous ne les ignorez pas. Mais parler à chacun est complexe. Ça exige de rompre avec certaines habitudes de pensée, d’abandonner des pratiques coutumières. Plus ardu : ça nécessite de s’extraire de votre confortable biotope de branchés, de classes moyennes, d’électeurs.

Parlez, en toute légitimité

Le métier de communicant public s’est étendu et professionnalisé. Il continue à progresser en compétences. Mais il plafonne dans son expression collective. À mon sens, les communicants publics doivent prendre la parole sur les grands sujets qui les concernent directement, non pas dans une optique étroitement corporatiste, mais avec une vision d’intérêt général, appuyée sur une conception exigeante d’une citoyenneté souvent mise à mal.

Pour prendre la parole, vous avez une double légitimité. L’une est technique. Elle est justifiée par votre professionnalisme, vos compétences. C’est l’expression du service public. L’autre source est politique. Elle résulte de celle des élus. Elle est donc porteuse de l’intérêt général, structurée par la recherche du bien commun que vous portez vous-mêmes.

Vous êtes en première ligne pour promouvoir et défendre l’esprit public. Vous mesurez la crise démocratique, caractérisée par la distance persistante, voire la méfiance et même l’hostilité de beaucoup de citoyens à l’égard des élus, même si les élus locaux sont moins touchés par ce phénomène. Vous traitez ces problématiques quotidiennement. Il est temps d’aller au-delà par l’expression collective, au plan national, de valeurs, de convictions, de prises de position que partagent un très grand nombre d’entre vous.

« Vous ne gueulez pas assez fort »

Ces derniers mois, j’ai poussé cette proposition auprès de mes relations les plus proches et de l’équipe de direction de Cap’Com. Sans succès autre que d’estime, face aux objections, non pas sur le diagnostic, mais sur l’idée même que les communicants peuvent et doivent sortir de l’ombre et intervenir fortement dans le débat public. Doudiès / Don Quichotte était prêt à laisser Rossinante à l’écurie. Mais voilà qu’en décembre, à Toulouse, lors de la plénière d’ouverture du Forum de Cap’Com, Dominique Wolton a apporté l’eau de l’expert à mon moulin.

Qu’a dit le directeur de recherche au CNRS, à trois reprises, avec force ? « Vos métiers sont absolument indispensables. Je vous trouve trop modestes. Vous ne gueulez pas assez fort. Vous ne revendiquez pas assez votre légitimité. Vous n’affrontez pas assez la politique. Vous n’êtes pas des exécutants. Vous êtes des partenaires de la mise en place d’une politique. (…) En matière de légitimité, remontez au moins au niveau de la communication politique. Vous avez une tâche bien plus compliquée puisque vous avez à gérer la société civile et l’espace public. C’est-à-dire le plus grand des bordels. (…) Vous connaissez la réalité (beaucoup mieux que bien d’autres). Soyez fiers de ce que vous êtes. » Je ne saurais mieux dire !

La prise de parole est impérative. Elle est même urgente quand on regarde lucidement, sans ciller, les menaces sur les conceptions réellement démocratiques de la communication publique, engendrées, notamment, par la diffusion des idées d’extrême droite dans la société française. 44 % des Français considèrent que le Rassemblement national est un parti capable de gouverner le pays (ils étaient 33 % en 2020). 40 % pensent que c’est un parti proche de leurs préoccupations (29 % en 2020). (1)

Une autre voie, à côté de Cap’Com

Réponse est apportée à la question « Pourquoi prendre la parole ? ». Donc, comment ? Naturellement, les regards se tournent vers Cap’Com. Je pense qu’une autre voie, plus cohérente, est nécessaire. Comme les autres chroniqueurs, je bénéficie d’une pleine liberté pour formuler un « point de vue ». J’en use, en espérant ne pas en abuser, en présentant ma manière de voir. En effet, membre du Comité de pilotage pendant une quinzaine d’années, formateur, coopérateur, plein de gratitude pour tout ce que Cap’Com m’a apporté, je suis membre du fan-club. Donc, pas la moindre attaque de ma part, seulement un constat.

Sans s’endormir sur ses lauriers, Cap’Com fournit gracieusement ou vend des prestations de qualité reconnue, active le renforcement des savoir-faire des communicants publics et facilite les progrès de ce métier encore jeune. Cap’Com est dans une double, légitime et honorable logique : patrimoniale (incarner et perpétuer les valeurs historiques fondatrices) et entrepreneuriale (faire fructifier la structure avec ses salariés). Mais Cap’Com, même fort de sa compétence avérée et de sa position dominante, n’a ni le statut ni l’organisation à même de mettre en œuvre la prise de parole des professionnels. Cap’Com n’a pas la légitimité, démocratiquement fondée sur une élection, pour représenter les communicants publics par un mandat formellement donné, sur la base d’un programme voté après délibération. Cap’Com n’a pas pour raison d’être centrale ni pour activité autre que très occasionnelle la défense des intérêts collectifs des communicants publics de façon fréquente, puissante et marquante.

Il s’agit donc d’imaginer, non pas un syndicat puisqu’il s’agit de rassembler agents des collectivités et prestataires, mais une association, bien entendu en lien étroit avec Cap’Com, centre de ressources et creuset de réflexion, une organisation qui prenne de la hauteur, une plateforme mobilisée pour porter sur la place publique analyses, interpellations, propositions sur la contribution de la communication publique à la vie démocratique.

Je mesure l’ampleur du travail pour examiner et assurer la faisabilité de l’opération. Mais je m’en tiens là puisque je pars vers d’autres horizons. L’idée est lancée, argumentée, défendue. À chacune et chacun de vous de la saisir… ou pas.

« Soyez fiers de ce que vous êtes ! » Bon vent ! Et vive la communication publique !


(1) Onzième enquête annuelle « Fractures françaises ». Ipsos Steria, Le Monde, Fondation Jean Jaurès, Cevipof, Institut Montaigne. 12 044 personnes interrogées. Septembre 2023.