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Quelle transition pour le marketing territorial ?

Publié le : 25 mai 2020 à 16:54
Dernière mise à jour : 29 mai 2020 à 09:25
Par Nastassja Korichi

La période actuelle conduit impérativement à une transformation du marketing territorial, reconnaissent les experts interrogés. Les crises sanitaire et environnementale sont des enjeux majeurs qu'il faut prendre en compte pour revoir le positionnement de sa démarche d’attractivité et lui donner un sens plus éthique.

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Le contexte de restriction des déplacements qui s'est imposé depuis le 15 mars dernier pose la question de la relation des territoires à leur environnement proche et impose d’envisager de nouvelles conditions de développement. Parce qu’il a pour objectifs l’attractivité des touristes, de l’économie et de nouveaux résidents, le marketing territorial ne peut se passer de prendre en compte les grands enjeux de société et l’évolution des comportements pour adapter son positionnement et le valoriser. En quête de sens pour leurs démarches, les professionnels de l’attractivité des territoires font aujourd’hui face à un impératif de transformation : comment intégrer les enjeux actuels et se réinventer ? Comment concevoir autrement les démarches de marketing territorial, pour être plus en phase avec les attentes et la demande des usagers ?

Intégrer les enjeux sanitaires, sociaux et environnementaux dans de nouvelles postures, plus éthiques

Dans son appel à une transition du marketing territorial vers plus de responsabilité, Vincent Gollain explique : « La politique du “toujours plus” sera de moins en moins possible dans un monde limité en ressources non renouvelables. Ce n’est pas neutre pour les politiques territoriales – y compris le marketing territorial –, qui vont progressivement, mais radicalement, changer de nature. Le temps de la réclame s’achève et il convient de garder l’attention des cibles avec des propositions différentes car ancrées dans les nouvelles exigences du monde. » Les critères d’économie locale, de sécurité sanitaire et d’impact social viennent également renforcer cette urgence d’un marketing territorial plus éthique et responsable.

Locavorisme et tourisme de proximité

Malgré les incertitudes qui planent sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en matière d’économie et d’emploi, les modèles plus locaux (circuits courts, renforcement des capacités industrielles locales) et solidaires rencontreront sans doute un écho plus important qu’avant. « Il faut, dès à présent, travailler avec les acteurs locaux pour définir ou faire évoluer son projet de territoire dans ce sens », annonce Bertrand Bellanger.

De même, « les questions sanitaires et alimentaires deviendront plus centrales que jamais. Les territoires devront intensifier les actions qu’ils avaient par la force des choses, pour la plupart, déjà entreprises dans l'intention d’attirer et de maintenir une médecine de ville digne de ce nom, et d’attirer, dans les établissements médicaux des villes moyennes, soignants et praticiens », précise Christophe Devillers. Côté tourisme, « la notion de tourisme de proximité et d’économie circulaire va s’accélérer (…). Il faudra tirer les enseignements de cette crise pour reconstruire partiellement la chaîne de valeur, d’autant que la transition écologique continuera d’agir sur les volumes et les modalités de déplacement », soutient Vincent Gollain.

La région Bretagne déploie une plateforme de mise en relation entre producteurs et consommateurs pour valoriser les circuits courts. (Crédits : Région Bretagne)

Mobilités douces : développer l’offre, améliorer l’information

Les objectifs zéro carbone et le développement de « mobilités douces » émergent au sein des territoires. Si ces critères seront à intégrer plus fortement dans les stratégies d’attractivité responsables, plusieurs leviers peuvent être activés par le marketing territorial et la communication publique, parmi lesquels : développer des offres de parcours touristiques durables, centraliser l’information, la distribution et la vente au sein de « maisons de la mobilité », repenser l’information pour l’ensemble des voyageurs (touristes, habitants). Ces axes de travail ont été développés de manière concrète par Julien de Labaca en février dernier lors des Rencontres nationales du marketing territorial. Pour lui, une meilleure offre et une meilleure information sur les mobilités douces « passe entre autres par des lieux, qui doivent devenir des repères accueillants, chaleureux tout en étant utiles et attractifs ».

L’office du tourisme de la ville de Bâle développe une offre de circuits basée sur les mobilités douces. (Crédit : Julien de Labaca, le facilitateur de mobilités)

Intégrer la notion d’acceptabilité et valoriser l’impact positif des démarches d’attractivité

La transition vers un marketing territorial responsable intègre certainement la notion de risques de manière encore plus forte : risques de contamination, de pollution, de saturation des équipements, d’élévation des prix, etc. Aussi, la notion d’acceptabilité sociale, environnementale et sanitaire devra-t-elle être prise en compte. Selon Christophe Alaux, « il faudra démontrer l’impact positif des démarches d’attractivité (…). On parle ainsi déjà de tourisme bienveillant en Auvergne-Rhône-Alpes et on travaille déjà en Isère sur les stations de montagne du futur en intégrant les enjeux environnementaux et sociaux. Des métropoles travaillent sur le projet d’une certification de destination responsable en lien avec France Congrès Événement ». En termes de communication, Albine Villeger précise qu’«une communication pédagogique, infraterritoriale, doit expliquer ce que représente le tourisme économiquement, mais pas uniquement. Pour l’aménagement et la vie locale également. Et tout au long de l’année : les commerces l’hiver pour les habitants ne seront ouverts que s’ils ont fonctionné en saison ».

L’éthique du « care », pour des postures territoriales bienveillantes 

Interview de Benoît Meyronin – École de management de Grenoble & Care Expérience

Le « care », une éthique qui invite au repositionnement

L’éthique du care invite à réfléchir à des positionnements autour du « prendre soin » qui dépassent le terrain du « bien-être », et l’exemple d’Aix-les-Bains est en ce sens intéressant car le travail de marque que réalise l’office de tourisme outrepasse largement le champ du bien-être. Qu’est-ce qu’un territoire « qui prend soin ? », qu’est-ce que cela veut dire ? C’est là une question passionnante à explorer et qui est porteuse de pistes de travail originales pour le champ du marketing territorial. Je perçois par exemple dans la démarche « Lyon métropole aidante » quelque chose qui touche à cette forme de positionnement autour d’un territoire qui prend soin des plus vulnérables (ici, en l’occurrence, nos aînés et surtout leurs aidants, ces proches qui les accompagnent au quotidien).

La logique du care invite également à reconsidérer les interdépendances fortes dans lesquelles nous sommes inscrits en tant qu’êtres humains mais aussi en tant qu’entreprises, territoires, etc. La pandémie a souligné combien le monde était devenu interdépendant, pour le meilleur comme pour le pire. À l’échelle d’un territoire, rechercher à mettre en valeur des formes d’interdépendance avec d’autres territoires est évidemment intéressant, afin de lancer ou de renforcer des alliances, des maillages, de constituer des réseaux nationaux et internationaux – comme le font de plus en plus de territoires en prenant l’initiative de réseaux parfois mondiaux (cf. l’exemple de Lyon sur le thème de la mise en lumière des villes via le réseau LUCI, et sur le sujet de la gastronomie via le réseau DELICE des « villes gourmandes »). Ces territoires acceptent de ne pas tout contrôler, maîtriser, superviser, mais de mettre « quelque chose » en partage, de reconnaître une forme d’interdépendance qui accroît leur visibilité in fine et la reconnaissance de leur leadership.

L’innovation solidaire, une responsabilité des territoires

La pandémie (…) invite à penser un monde tout à la fois vulnérable et solidaire, par nature et non par posture idéologique, dans lequel il va nous falloir vivre durablement. Et en ce sens les territoires ont une grande responsabilité en la matière pour continuer à innover dans des formes nouvelles de maillages et de coopération, en jouant plus que jamais un rôle de « connecteurs » entre des acteurs publics et privés, afin de co-créer des modalités nouvelles d’un « faire avec » et d’un « faire ensemble ». Dans ce contexte, il me semble également que les territoires qui sauront « rassurer », créer les conditions d’une réassurance (pas seulement sanitaire, mais plus globale), seront sans doute ceux qui attireront ou fidéliseront le plus les populations, les retraités, les visiteurs…

Réinvestir des positionnements plus éthiques en intégrant les enjeux sanitaires, sociaux et environnementaux ; anticiper le développement du tourisme durable et de proximité ; valoriser l’impact positif des démarches de marketing territorial tant en externe qu’en interne… autant de pistes à approfondir pour s’engager sur la voie d’un marketing territorial plus responsable. Car, comme le résume Vincent Gollain, « nous devons opérer un puissant changement de direction dans l'intention de réadapter les stratégies d’attractivité à ces nouvelles conditions de développement des territoires et à l’évolution des comportements qui en découle ».

Merci aux experts du groupe de travail « Marketing territorial », qui accompagnent le réseau Cap'Com dans ses travaux autour des questions d’attractivité, pour avoir livré leur analyse des enjeux actuels qui se posent au marketing des territoires : Christophe Alaux – Chaire attractivité et nouveau marketing territorial ; Bertrand Bellanger – directeur adjoint tourisme ; Marie Bougeois/Xavier de Fouchécour et Étienne Vicard – Bastille ; Christophe Devillers – Mulhouse Alsace Agglomération ; Vincent Gollain – Institut Paris Région ; Benoît Meyronin – École de management de Grenoble ; Anne Miriel – Inkipit ; Marc Thébault – Caen-la-Mer ; Albine Villeger – Finistère 360°.

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