Aller au contenu principal

Tous du même moule ?

Publié le : 11 juin 2019 à 08:07
Dernière mise à jour : 27 juin 2019 à 10:03
Par Alain Doudiès

Élargissons notre horizon ! Une étude de Géraud Lafarge (1), chercheur au Centre nantais de sociologie, nous y invite. Elle porte sur l’entrée dans le métier de journaliste : « Devenir journaliste – L’institutionnalisation d’une profession en temps de crise ». Elle mérite, bien sûr, d’être lue par les responsables des relations presse. Au-delà de ce premier cercle, elle peut aussi susciter d’utiles interrogations de la part de tous ceux qui exercent un métier distinct du journalisme, mais voisin : communicant public.

Dans les mêmes thématiques :

Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Géraud Lafarge rappelle la crise économique qui frappe la presse et décrit des phénomènes très semblables à ceux que nous connaissons : les effets du numérique, la féminisation de la profession, la montée du niveau de formation. Il pointe un changement moins repéré : « L’élévation du recrutement social des journalistes », avec le caractère stratégique du passage par une école de journalisme. Sa thèse : « La profession de journaliste n’échappe pas aux lois de la reproduction scolaire et sociale. L’entrée dans le métier est déterminée par les logiques de réseau qui se déploient dans le cadre des écoles de journalisme et qui structurent les trajectoires professionnelles. »

L’accès à nos métiers est divers, comme le montre la « Radioscopie du communicant public », réalisée en 2018 par Occurrence et Cap' Com. Elle indique que, si 57 % des 787 répondants ont obtenu leur diplôme le plus élevé dans la communication, toutes filières confondues, les autres arrivent d’autres formations, dont les sciences humaines (14 %), le commerce, la gestion et le marketing (9 %), les sciences politiques (8 %) ou… le journalisme (7 %). De plus, avant d’occuper leur poste, parmi les 787 répondants, 59 % ont travaillé dans le privé (entreprise 31 %, agence 18 %, en indépendant 10 %). Un certain brassage, donc.

De son côté, Géraud Lafarge s’autorise à conclure que « tout laisse à penser que l’homogénéisation sociale croissante des apprentis journalistes renforce l’homogénéité des produits journalistiques ». Bigre ! Pour lui, « l'écart social grandissant entre les propriétés sociales, les goûts culturels et médiatiques de ces étudiants d’écoles de journalisme les plus réputées et ceux des membres des milieux les plus populaires de la société française n’est peut-être pas étranger à la défiance, certes ancienne, mais croissante de certains publics envers les journalistes et leurs productions ».

J’entends la réfutation : « Cela n’a rien à voir avec nous ! » Est-ce si sûr ? La défiance, nous la connaissons aussi, n’est-ce pas ? Nous pouvons donc nous demander si nos origines sociales et nos trajectoires de formation ne font pas de nous, très majoritairement, les membres d’une même tribu, plus fermée qu’il n’y paraît, avec signes identitaires et processus de mimétisme. J’entends la désapprobation : « Vision simplificatrice ! » Mais allons plus loin. Ne sommes-nous pas des petits-bourgeois éclairés, structurés par une conception du métier dominante, plus semblables que différents ?

Sommes-nous – pas seulement pour la couleur de la peau – suffisamment polychromes, à l’image d’une société multicolore ?

(1) Devenir journaliste. L’institutionnalisation d’une profession en temps de crise, par Géraud Lafarge.