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Au secours, le plein emploi revient !

Publié le : 18 novembre 2021 à 07:40
Dernière mise à jour : 18 novembre 2021 à 13:22
Par Yann-Yves Biffe.

L’économie repart fort et, conséquence inattendue, la main-d’œuvre commence à manquer sur bon nombre de postes en tension. Entrons-nous dans une phase inédite pour les générations actuellement au travail : celle du plein emploi ? Le rapport de force recruteur-recruté va-t-il s’inverser ? Quelles sont les conséquences pour les collectivités ?

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Par Yann-Yves Biffe.

Emmanuel Macron nous l’avait bien dit : nous étions en guerre. Et après les guerres vient une période de redécollage économique ! Celle-ci est d’autant plus rapide et plus forte qu’espéré en raison des moyens sans précédent qui ont été engagés par l’État pour passer l’obstacle de la covid.
Du coup, les entreprises recherchent des bras, des cerveaux, installent des banderoles devant leurs bâtiments, s’achètent des pubs radio pour attirer de la main-d’œuvre, formée ou non, le chômage baisse, c’est super ! Oui, mais non. Car c’est peu dire qu’on ne l’avait pas anticipé. Et pourtant, cette situation, bien plus agréable que la précédente, il faut quand même bien le préciser en préambule, s’accompagne de conséquences dont il faut avoir conscience. Et pas seulement pour vos collègues des ressources humaines qui diffusent de multiples annonces et ne trouvent pas de candidats. Ou alors des candidats qui, d’emblée, ne seront pas en mesure de réaliser les missions attendues. Le marché du travail peut en effet connaître des mutations inédites et avoir des impacts importants sur la société… et sur nos collectivités.

Ça donne à s’interroger sur la fin des emplois sous-payés 

La crise sanitaire avait mis en lumière de nombreux emplois peu qualifiés, peu rémunérés, mais qui sont essentiels à la bonne marche de la société. Tout le monde était d’accord sur le constat et le but : il fallait les revaloriser. Plus difficile à faire qu’à dire, sans bouleverser les échelles de rémunérations et les prix brutalement… au risque d’aggraver l’inflation et la perte de pouvoir d’achat des retraités et justement des petits salaires qui perdraient d’un côté ce qu’ils gagneraient de l’autre.
Le plein emploi risque partiellement de s’en charger. En effet, conséquence de la loi de l’offre et de la demande, si plusieurs employeurs se retrouvent en concurrence pour recruter un profil, même peu qualifié, alors le candidat est en mesure de faire monter les enchères. La seule échappatoire réside dans l’apport de main-d’œuvre étrangère… mais on ne sent pas le monde politique prêt à aborder cet angle de vue d’ici à la présidentielle.

Qui dit petits salaires dit, pour une grande partie, fonction publique.
Donc, s’il y a de la tension au niveau des recrutements, elle va toucher de plein fouet les collectivités dont les salaires ne sont pas attractifs. C’était déjà le cas dans les métiers artisanaux, où les entreprises, non soumises aux grilles indiciaires, étaient en capacité de proposer des salaires plus élevés à des candidats peu nombreux. Mais cette situation risque de toucher un nombre de métiers de plus en plus important. Pourtant, il faudra bien produire et au moins servir les repas dans les restaurants scolaires, accueillir les enfants dans les crèches et centres de loisirs, assister les seniors en Ehpad…

Le levier financier à court terme, le plus intuitif, réside dans les régimes indemnitaires. Mais nombre de DRH n’ont pas de marges de manœuvre sur leur budget consacré au personnel, qui représente déjà une part très importante du budget global et est regardé de près par les tenants de la réduction des moyens publics. D’autre part, comment augmenter le salaire des nouveaux entrants sans créer de déséquilibre au sein des équipes déjà en place et qui trouveront idée à partir si elles étaient financièrement déconsidérées par rapport à leurs collègues nouveaux entrants ?

Ça donne à rendre les postes plus attractifs

Une autre option consiste à rendre attractifs les postes en tension. Les postes les moins qualifiés, s’ils sont les moins rémunérés, sont souvent aussi les moins confortables. Souvent pénibles physiquement, soumis à des ports de charges, sollicitant les genoux et le dos, ils seraient des emplois de transition si leurs titulaires pouvaient faire autre chose. Si ceux-ci ont une large palette de choix qui s’ouvre à eux, il va falloir réfléchir autrement à l’aménagement des postes, en cherchant des solutions techniques notamment pour moins solliciter les corps. Il faudra de l’imagination, un peu, des moyens financiers, beaucoup, pour inventer des alternatives au fait de porter, de soulever, dans les Ehpad, dans les médiathèques (le papier, c’est lourd quand il est compressé dans des livres), dans les cimetières… Des chariots, des automates peuvent s’avérer de précieux auxiliaires et les postes équipés auront moins de mal à être pourvus.
Rendre un poste attractif, c’est aussi une question de temps de travail. Pas de durée : les 1 607 heures annuelles s’imposent et certaines collectivités ont déjà usé de cet argument pour fidéliser leur personnel. Non, plutôt d’organisation : les postes à temps non complet, aux horaires segmentés, avec de longues pauses au cours de la journée, compliquent l’organisation de la vie familiale. Les horaires décalés également, et nombre de personnels qui travaillent dans la restauration ou dans les métiers de la culture ont goûté avec les fermetures liées à la covid au bonheur d’une vie familiale cadrée, qui a mis à mal leur vocation professionnelle. C’est un facteur d’attractivité qui peut aider au recrutement pour les restaurants scolaires ouverts seulement le midi, ou des structures qui feraient intervenir les agents d’entretien le midi plutôt que tôt le matin ou tard le soir.

Ça donne à envisager l’accélération de l’avènement de l’intelligence artificielle

Enfin, à plus long terme, la raréfaction des profils peu qualifiés va toucher non seulement les postes à dominante physique ou manuelle, mais aussi les postes de services. Cela va nécessairement encourager le développement des solutions d’intelligence artificielle. Des budgets vont être débloqués pour apporter des alternatives aux emplois humains qui seraient remplaçables par des solutions informatiques. Certains agents d’accueil se verront sans doute substituer des interfaces informatiques permettant d’effectuer des démarches sur son smartphone, de poser des questions à des chatbots de plus en plus développés et à champs de connaissance élargis voire généraux à terme. À l’entrée, les usagers seront accueillis par de grands écrans permettant de formuler sa demande ou par de petits robots humanoïdes, pour le côté rassurant et conversationnel.
Des assistants et assistantes seront remplacés pour tout ou partie par des logiciels à reconnaissance vocale permettant de gérer les tâches du quotidien, réserver la voiture, le train, relancer des interlocuteurs, rédiger des articles... Le coût de déploiement sera toujours élevé au départ, même s'il le sera de moins en moins à mesure que se généraliseront les solutions techniques, mais il sera rentable de plus en plus rapidement si la main-d’œuvre alternative se renchérit.

Réjouissons-nous donc que le chômage recule et que chacun ait plus de chance de trouver un emploi, dans une négociation plus équilibrée. Mais soyons aussi imaginatifs pour repenser des postes qui, en répondant toujours aux attentes des usagers, soient à même d’intéresser des postulants plus rares.

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