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Avec l'hôpital en crise, travaillons la com santé sur le territoire

Publié le : 11 janvier 2024 à 21:33
Dernière mise à jour : 20 mars 2024 à 15:41
Par Dominique Mégard

Réunis lors du Forum de la compublique, les communicants en santé ont partagé le constat d'une sensibilité permanente aux messages et aux actions de communication de leurs institutions en pleine crise de l’hôpital public. Ils émettent le vœu d'une communication en santé plus transversale avec les collectivités.

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Au Forum de la communication publique de Toulouse le 7 décembre 2023, un « tapis de paroles » a permis à un petit cercle de professionnels de la communication santé de partager réflexions et préoccupations du moment. Étaient représentés à la fois des CHU et des groupements hospitaliers (regroupant plusieurs hôpitaux d’un même secteur), des ARS (agences régionales de santé, pilotes de la politique santé d’un territoire), une université, une agence en communication spécialisée dans le domaine de la santé, un département – dont on sait la part énorme de compétences dans le secteur social et médico-social, des PMI aux handicapés en passant par les personnes âgées dépendantes… Comme un panel représentatif à la fois de la multiplicité, de la richesse et de la complexité, de la sensibilité des sujets potentiellement à traiter.

La communication en santé est « sensible » tout le temps

Les participants – bien que vivant des réalités différentes en termes d’organisation des services et des moyens – s’accordaient sur un point : la communication en santé est « sensible » tout le temps, invitant à une stratégie permanente. Quel que soit l’angle, la santé « touche tout le monde à l’intime », réveille en tout un chacun une anxiété qui complique en retour rédaction et propos tenus : il faut faire attention à chaque mot prononcé, à chaque phrase, car tout peut provoquer des réactions. Ainsi une fuite d’eau (maîtrisée) dans une salle d’opération devient « Le CHU prend l’eau » et entraîne angoisses et réactions en chaîne, et travail pour l’équipe communication en retour : « On fait le possible. Et parfois, on fait simplement le gros dos, on attend que ça passe. »

« Dans le contexte d’aujourd’hui, tout ce qu’on fait, tout ce qu’on émet a une connotation sensible », expliquaient déjà, en préparation de ce tapis de paroles, Julie Raude, dircom du CHU de Bordeaux, et Isabelle Balligand, chargée de communication digitale. « Surtout dans le contexte “d’hôpital bashing” aujourd’hui… difficile de conduire une communication positive. »

Crise permanente et « hôpital bashing » teintent le travail des communicants

Car dans cette complexité, la crise de l’hôpital public occupe de façon récurrente le champ médiatique. Abordé sans cesse par et pour le grand public, l’« hôpital bashing » vient en permanence envahir et orienter le travail des communicants en santé.

Le contexte « oblige » les services et les communicants, teinte le travail aux couleurs de la crise permanente : être en alerte, assurer un travail continu de veille sur les réseaux, répondre en permanence aux médias pour ne pas créer de « feux de prairies » déstabilisants. Une réalité d’autant plus difficile aujourd’hui qu’elle percute de plein fouet ceux qui étaient portés aux nues il y a seulement trois ans en pleine pandémie de Covid. Les thématiques santé ont envahi pages et écrans sans discontinuer. Les hôpitaux et les soignants, rappelez-vous, étaient encensés, la solidarité était au rendez-vous pour répondre à leurs difficultés, la dimension humaine prenait le dessus. Dans l’hôpital même, des réorganisations de services ou entre services avaient lieu, avec tolérance et bienveillance entre soignants et médecins. L’écart est dur, difficile à vivre et à exprimer…

Recrutement et marque employeur face au grand écart entre valeurs et réalité vécue

« 80 % des sujets traités aujourd’hui sur l’hôpital sont négatifs »… L’« hôpital bashing » s’invite à tous les étages, maintient sous pression en permanence, s’infiltre sur des sujets périphériques… Sur l’attractivité, par exemple. Comment recruter et surtout garder du personnel à l’hôpital, pourtant souvent premier employeur d’un territoire ? « On essaie tout, souligne un participant, mais une sorte de pessimisme ambiant vient heurter le discours. De façon classique, pour parler de l’hôpital, tous vantent la valeur humaine des métiers, de l’intérêt du soin, du lien avec le patient, du travail en équipes… ce qui est vrai… Mais le problème auquel on se heurte, c’est le trop grand écart entre ce discours – qui n’est pas faux – et la réalité vécue. On a du mal à jouer sur des valeurs qui ne sont pas respectées au quotidien : la bienveillance par exemple, difficile à tenir dans des services en tension. »
Autre exemple, quand de jeunes stagiaires infirmiers ou aides-soignants arrivent, ils travaillent en équipes. Il n’est pas rare que des agents, épuisés dans l’instant, confrontés à une réalité pas facile, leur disent « Surtout ne fais pas ce métier-là ». Alors qu’en même temps les équipes demandent, à juste titre, plus de personnes pour mieux organiser et partager le travail, et sont, en général, passionnées par leur métier. « Ce qui nous désole, nous qui travaillons sur une "marque employeur" positive, c’est qu’ils ne réalisent pas à quel point ils scient eux-mêmes la branche sur laquelle ils sont assis. »

Déployer solutions et communication avec les acteurs de proximité

Comment faire et lutter contre le pessimisme ambiant ? L’envie de sortir d’une forme de spirale défaitiste apparaît comme une réalité partagée le temps de ce « tapis de paroles ». Les participants – qui tous aiment travailler là où ils sont ! – s’accordent : on a matière à tenir un discours différent sur l’hôpital et sur la santé. Des expériences positives à mettre en valeur existent – y compris en organisation des services et des soins ; l’excellence hospitalière en soins et en recherche reste un joyau, des gérontopoles voient le jour, des établissements regroupent leurs moyens, des réseaux s’organisent, des hôpitaux neufs se construisent…

En préparation du tapis de paroles, Vincent Drochon, dircom de l’ARS Occitanie, partageait sa conviction forte que les solutions et la communication sont à déployer avec les acteurs de proximité. « Je suis à vrai dire toujours un peu surpris d’un traitement trop souvent “isolé” des questions de communication en santé, comme s’il s’agissait d’une préoccupation différente dans la vie quotidienne de nos concitoyens et dans leur recours à ces services publics. La crise Covid (entre autres) a accéléré des évolutions déjà enclenchées : la réponse aux besoins de santé est bien pour nous un vrai sujet d’action territoriale, au plus près des attentes, avec des approches différenciées d’un territoire à l’autre. [...] En ce sens, je reste assez convaincu que nos problématiques de communication, spécifiques peut-être par endroits, sont assez fortement communes à celles des autres communicants publics. »

Reste donc, en communication, à partager, s’organiser, se soutenir, prévoir une transversalité territoriale entre acteurs de santé publique et échanger avec les communicants des collectivités. Les sujets ne manquent pas : attractivité du territoire, recherche, déserts médicaux, organisation des soins, prévention, pourraient être traités en « double regard », et des actions, événements ou campagnes coordonnés. Faire réseau… L’avenir en tout cas est ouvert pour que le désir devienne réalité. De quoi inciter les uns à aller à la rencontre des autres en 2024.

Crédit photo : Citadelle – hôpital public de Liège.

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