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« C’est difficile la communication »

Publié le : 31 mars 2020 à 12:00
Dernière mise à jour : 3 avril 2020 à 08:54
Par Alain Doudiès

« C’est trop tôt pour analyser la communication gouvernementale lors de la crise sanitaire ! » Mais non ! On peut commencer à poser quelques jalons et il n’est pas prématuré de réfléchir.

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Voici quelques éléments saillants à pointer, d’ores et déjà.

  • Les cafouillages et les couacs. D’où le recadrage sec des ministres par Édouard Philippe, sommés de ne pas s’exprimer sur des sujets hors de leurs attributions et de ne pas faire d'annonces « non arbitrées en amont ».
  • La langue de béton. Sibeth Ndiaye : « On ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu anticipation de cette crise, bien au contraire. »
  • Pendant des semaines, les tactiques de retardement, d’évitement, voire de dissimulation sur les masques, sur l’intérêt du dépistage, sur les morts dans les EHPAD.
  • Les pièges du vocabulaire. « Gestes barrières », c’est limpide. En revanche, « confinement » a été peu aisé à comprendre par tous, avant d’envahir l’espace public et les espaces personnels. La demande « Restez chez vous », abrupte mais claire, s’y est souvent substituée. Mais pourquoi utiliser l’alambiquée « distanciation sociale », alors qu’il s’agit, plus que jamais, de « faire société » ?
  • Les discordances. Le ministre de l’Intérieur sort d’un recoin du dictionnaire le mot « confinement ». Juste avant, le président de la République, probablement soucieux de ne pas annoncer sans détours cette mauvaise nouvelle, s’était bien gardé de le prononcer. De même, les deux consignes concomitantes – « Restez chez vous » et « Allez travailler », quoique l’une et l’autre justifiées, sont apparues comme contradictoires.
  • La mise en scène de l’« hôpital militaire de campagne » de Mulhouse. Sa construction, complaisamment feuilletonnée par les télés pendant une huitaine, a abouti… à 30 lits sur les milliers nécessaires alors que, selon Le Monde, « l’outil de défense français, en 2020, n’est plus du tout pensé pour une opération nationale de secours. Ses contributions actuelles sont modestes ».
  • Le registre militaire. « Nous sommes en guerre », maintes fois martelé. Comme si la posture à la Clemenceau convenait dans la société d’aujourd’hui, plus éduquée, voire plus rétive à l’injonction. Comme si la confusion entre un ennemi extérieur humain et un mal intérieur biologique pouvait faire écho à un imaginaire collectif aujourd’hui très étranger à l’atmosphère belliciste qui prévalait il y a un siècle. Comme si ce ton martial ainsi clamé allait illico susciter l’obéissance des Français et des Françaises, le doigt sur la couture du pantalon et de la jupe, tandis que l’invitation à la solidarité, à l’esprit de responsabilité, au maintien du lien social, à la fraternité de notre République n’était prononcée, au mieux, que mezzo voce et que le bâton des sanctions, inspiré par le réflexe autoritaire, était brandi au-dessus de nos têtes.

Qui aurait fait mieux ?

De quoi s’agissait-il ? De susciter l’union nationale ? Objectif légitime mais extrêmement complexe, dans un pays où la citoyenneté s’exprime autant par l’usage des droits que par le respect des devoirs, où la défiance à l’égard de la parole publique est structurellement et profondément installée et où les fake news, fondées sur la suspicion systématique, poursuivent leurs ravages. Cynthia Fleury, dans un parallèle entre le discours du soignant et celui du politique, pointe « les écueils » dans l’instauration et la consolidation de la confiance : « Les incohérences qui brouillent le message, le manque de clarté, mais aussi des vérités définitives qui empêchent toute projection positive et renforcent le déni. »

L’adhésion à un objectif d’intérêt général n’est pas massivement spontanée ni rapidement généralisée.

S’agissait-il aussi de provoquer un changement des comportements ? Oui. Mais nous savons combien c’est long et difficile, comme le démontrent, à notre niveau, les exemples de la sécurité routière, de la lutte contre les « incivilités » quotidiennes ou, plus prosaïquement, du tri des déchets. L’adhésion à un objectif d’intérêt général n’est pas massivement spontanée ni rapidement généralisée. Les sciences comportementales et la méthode du nudge, qui écarte contraintes et sanctions, étaient-elles utilisables en pareil cas ?

Mais n’accablons pas les gouvernants actuels. Qui aurait fait mieux ? Face à une situation sans cesse évolutive, impactée par les fluctuations rapides ou inattendues de l’opinion, comme l’emballement pour la chloroquine, face à une crise d’une ampleur aussi inédite que démesurée, marquée par les stigmates de la mort, menacée par les risques de panique, entraînant de considérables conséquences sanitaires, politiques, économiques, sociales, psychologiques et sociétales, qui aurait apporté les bonnes réponses sur les objectifs, la stratégie, le ton, le langage, le phasage de la communication ?

Souvenir d’un de mes anciens patrons. À deux reprises, à la fin d’un échange en tête à tête sur le choix de la nouvelle signature institutionnelle et dans son discours officiel lors de mon départ, il a constaté, quoique très exigeant et peut-être en pensant à ses propres limites : « La communication, c’est difficile. » Oui, président, c’est difficile ! La communication d’hyper-crise, encore plus.