Aller au contenu principal

De la difficile posture des réseaux sociaux face à la guerre

Publié le : 17 mars 2022 à 06:32
Dernière mise à jour : 17 mars 2022 à 16:34
Par Marc Cervennansky

Nous les utilisons tous les jours. Sans avoir forcément à l’esprit les conséquences possibles pour chacun d’entre nous, en cas d’événement grave. L’invasion de l’Ukraine par la Russie nous rappelle que l’usage des réseaux sociaux expose à des risques individuels et collectifs. Cela questionne également sur le rôle que doivent jouer ces plateformes en cas de conflit majeur.

Dans les mêmes thématiques :

Par Marc Cervennansky.
@cervennansky

Ce n’est pas la première fois que l'on s’interroge sur la neutralité des réseaux sociaux. Se considérant longtemps comme de simples hébergeurs de contenus, sans responsabilité éditoriale, Facebook et Twitter ont pourtant choisi de fermer les comptes de Donald Trump, lors de la dernière élection présidentielle aux États-Unis.

Face aux fausses informations publiées délibérément par l’ancien président des États-Unis, les deux leaders des médias sociaux ont sauté le pas en coupant les robinets à la propagande trumpienne. Ce qui n’a pas manqué d’interroger. Si d’un côté nous pouvions nous féliciter de cette décision, de l’autre nous nous interrogions sur le rôle et la puissance d’acteurs privés qui décident de ce que chacun peut voir ou publier, à une échelle mondiale.

Lors de conflits armés, nous savons que la guerre se déroule sur le terrain mais aussi à travers les médias. La guerre de l’information existe depuis toujours. Il s’agit d’acquérir à sa cause les populations dans les conflits, lesquelles sont souvent les premières victimes.

Depuis le « printemps arabe » fin 2010, les réseaux sociaux ont trouvé une place dans les événements mondiaux. Ils peuvent alors parfois être employés davantage pour mobiliser les populations que pour les informer objectivement.

Considéré comme un héros

Ainsi le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’adresse à sa population et au monde entier, sans intermédiaire, via son smartphone sur Twitter. Il n’est pas novice en la matière, puisque c’est par les réseaux sociaux, en incarnant proximité, sincérité et en capitalisant sur sa notoriété d’acteur, qu’il a convaincu les Ukrainiens de l’élire haut la main président en 2019. Procédé alors dénoncé par les journalistes qui lui reprochaient d’avoir esquivé tout débat ou confrontation avec les autres candidats. Il est considéré aujourd’hui comme un héros par certains.

Vous n’êtes pas sans savoir que les algorithmes sont au cœur du fonctionnement de Facebook, Twitter, Instagram, YouTube… Ils favorisent mécaniquement la désinformation et la propagande en donnant davantage de visibilité aux contenus sensationnels. Je vous renvoie à l’implication de feu la société Cambridge Analytica dans les résultats de plusieurs élections à l’international.

La place des réseaux sociaux revient donc sur le devant de la scène avec le conflit ukrainien. Celui-ci nous touche davantage parce qu’il est aux portes de l’Europe, avec des conséquences pour nous, que l’on ne mesure pas encore bien.

Les fausses informations circulent massivement dans les deux camps. Les décodeurs du Monde ont repéré toutes les vidéos détournées dans l’objectif d'influencer les opinions.

L’usage des réseaux sociaux peut mettre en danger la vie de leurs utilisateurs

Quelle attitude vont adopter Facebook, Twitter ou YouTube dans ce conflit ? Rappelons qu’il s’agit de médias américains, et que les États-Unis ne sont évidemment pas neutres dans cette guerre.

Nous savons aussi que les Russes sont soupçonnés depuis longtemps d’utiliser les réseaux sociaux à des fins de propagande et tentent d’influer sur les élections dans d’autres pays.

Les plateformes sociales sont confrontées de fait à plusieurs problèmes : tout d’abord l’accès aux données personnelles de leurs usagers, en l'occurrence ici plutôt les Ukrainiens et leurs sympathisants. Car l’usage des réseaux sociaux peut mettre en danger la vie de leurs utilisateurs en laissant, volontairement ou non, accessibles des informations permettant de connaître activités, opinions et déplacements.

Twitter l’a compris en invitant les abonnés concernés à désactiver la localisation de leurs publications. Facebook propose également la possibilité de verrouiller instantanément son compte pour éviter que les données personnelles tombent entre de mauvaises mains. Certains pourraient me rétorquer que Facebook utilise déjà tous les jours nos données personnelles. Mais ici nous ne risquons pas encore notre vie.

Autre dilemme : la modération des nombreuses informations qui sont publiées autour du conflit en cours. Certaines recèlent des images détournées ou truquées, comme évoqué précédemment, mais d’autres peuvent constituer des témoignages réels pour dénoncer des exactions. Nous constatons depuis longtemps les difficultés de Facebook à assurer une modération efficace de tout ce qui est publié au quotidien. Nous sommes donc en droit de nous inquiéter de ce qui reste publié ou de ce qui est censuré, à tort ou à raison, sur le conflit en cours.

La France a connu sa première victime avec Francis Lalanne, qui a vu son compte suspendu par Twitter. Il faut avouer que soupçonner l’Ukraine d’être de mèche avec le laboratoire chinois de Wuhan pour la propagation de la covid-19… Il y est allé fort, notre Francis.

Ce conflit, quelle qu’en soit l’issue, sera probablement, et accessoirement au regard des tragédies vécues, un marqueur important dans le rôle, passif ou actif, tenu par les réseaux sociaux dans l’information, enjeu majeur de tout conflit.

Photo : extrait de la vidéo du président ukrainien Volodymyr Zelensky, publiée par ses soins sur Twitter.