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Et si, enfin, déconnexion rimait avec bonne éducation

Publié le : 21 janvier 2021 à 06:30
Dernière mise à jour : 21 janvier 2021 à 12:07
Par Marc Thébault

Spécialistes de la communication que nous sommes, nous savons que les entraves au bon déroulement d’un échange sont légion. Et il nous revient de les anticiper, de les contourner et, mieux, de les éviter. Mais c’est parfois une tâche un tantinet ardue lorsque le numérique s’en mêle. Notamment lorsqu’il s’accompagne de bien mauvaises manières. Illustration…

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Par Marc Thébault.

Celles et ceux qui donnent parfois des cours dans l’enseignement supérieur l’ont constaté depuis déjà un bon nombre d’années, les salles de cours se sont peuplées, observé depuis notre place d’enseignant, de dos d’écrans de portables. Fini les cahiers ou les blocs-notes, place aux ordinateurs. Au début, il y en avait peu ; nous pouvions donc ruser et nous déplacer entre les tables pour vérifier, mine de rien, si nos étudiantes et nos étudiants étaient en train de prendre des notes ou, les filoutes et les filous, de lire leur fil Facebook en douce. Et puis ces appareils se sont multipliés et désormais impossible de savoir si les clapotis des claviers correspondent à une vérification en live de nos propos sur Wikipédia, à une recherche de notre profil pour y dénicher du croustillant, à des activités que nous allons considérer comme « personnelles » et « parallèles » via tel ou tel réseau social, ou à des devoirs en retard pour un autre cours. Remarquez, nous ne sommes pas à l’abri que certaines ou certains prennent vraiment des notes relatives à notre intervention !

On va dire que l’on s’en accommode parce que, de toute façon, il est impossible de faire autrement. L’inéluctable est là. Sauf à prendre, bien sûr, des mesures coercitives extrêmes qui n’ont plus leur place dans l’éducation en 2021, et c’est certainement tant mieux. Qui a dit « quoique » ?

Mais un autre phénomène m’interpelle également. C’est, sur le même thème, la multiplication des mêmes ordinateurs portables dans les réunions au sein de nos institutions. Certes, nous étions habitués, là encore depuis pas mal de temps, à la présence des smartphones ou des tablettes qui rendaient les participantes et les participants à ces réunions parfois un peu, disons, « absents ». Ou distraits. Pour cela aussi on s’est fait une raison : apparemment le monde va s’arrêter de tourner si jamais tel texto ou tel mail n’est pas traité dans la seconde. Dont acte. On ne va pas non plus, tout seul, porter une telle responsabilité sur les épaules, n’est-ce pas ? En passant, cette punchline d’un de mes anciens patrons (un indice chez vous : il est corse) quand, dans les années 1990, les premiers téléphones portables apparaissaient et étaient maniés ostensiblement devant son regard soudain teinté de mépris : « Les téléphones portables, c’est comme les hémorroïdes, tous les trous du c*** *en ont ! »

Puis, grâce aux investissements massifs de nos DSI, ce sont maintenant les ordinateurs portables qui fleurissent. Cette fois de manière un peu plus bruyante que les smartphones car les claviers, même les plus récents, émettent des cliquetis qu’il est impossible d’ignorer. Cerise sur le gâteau, le combo : smartphone et ordinateur portable ouverts avec regards et manipulations allant de l’un à l’autre et réciproquement.

Évidemment, dans le temps jadis, nous avons tous apporté parfois, dans une réunion qu’on pensait, de notre point de vue, s’avérer un peu longue et pas totalement passionnante, des documents (sur papier) à lire ou à relire histoire d’avoir l’impression de ne pas perdre tout à fait son temps. Mais constater, dans des réunions plus restreintes, dont on sait qu’elles seront d’une durée acceptable et dotées d’un ordre du jour a priori impliquant, que la majorité des collègues continuent, à quelques centimètres de nous, à répondre à des mails (ou sont en train de succomber aux dernières infos people ou bien de confirmer que, oui, elles ou ils penseront à acheter du pain en rentrant ?) pendant que d’autres bossent, très franchement, cela m’interroge.

En effet, j’en tire immédiatement la conclusion que, visiblement, la parole de l’orateur ne compte pas. En tous les cas, elle pèse bien moins que ce qui se passe sur l’écran des autres participants. En somme, rien de ce qui se déroule et se dit dans cette réunion ne semble plus important que le contenu des échanges à distance de nos collègues. Ce qui n’est pas très réjouissant pour les autres participants, non ? Mais, sauf à prouver, comme je le disais plus haut, que les utilisateurs sont absolument polychrones (et pas seulement les femmes, pour reprendre cette ancienne croyance) ou que l’urgence de la réponse conditionne la paix dans le monde ou la fin de la covid-19 et de ses variants, agir de la sorte me paraît plutôt relever d’un pur manque de respect, à la fois professionnel et à la fois, simplement, humain. Et s’il s’agit d’une surcharge de travail, est-elle réelle ? Est-elle surjouée afin d’exister, afin d’en « imposer » aux autres (« Je suis super important car toujours dans l’urgence, t’as vu ? ») ? Ou est-elle juste liée à l’incapacité de déléguer quoi que ce soit à des collaboratrices ou des collaborateurs qui pourraient pourtant permettre de libérer les esprits, en prenant le relais hors de la réunion, afin que ces temps de travail soient vraiment efficaces ? Mais je ferai, peut-être un jour, un autre billet sur ces collègues qui centralisent à outrance tout en se plaignant d’être sollicités pour les moindres détails (« Ah la la, mais ils ne peuvent vraiment pas se débrouiller sans moi ? »).

En passant, et pour le fun, je renvoie à cette récente étude (été 2020) de l’université du Kansas qui tend à prouver que la perception de celles et ceux qui utilisent un portable ou un smartphone en réunion, par les autres participants, est la plupart du temps négative.
« On sait que vous pouvez travailler sur votre téléphone », a déclaré Piercy (un des chercheurs qui ont mené cette étude – ndlr). Mais il a ajouté que, comme nous savons également que les téléphones peuvent être utilisés pour faire défiler les flux de médias sociaux, « on suppose que vous ne travaillez pas lorsqu’on voit que vous l'utilisez ».

Franchement, vous n’avez jamais eu l’envie d’arrêter de tolérer et de quitter, avec éclat s’entend, une réunion au cours de laquelle l’ensemble des visages étaient focalisés sur des écrans, vous donnant cette impression si peu réjouissante de parler dans le vide et d’ennuyer tout le monde ? Ou bien n’avez-vous jamais senti cette pulsion qui vous commande de lancer cette injonction parentale « On a dit pas de téléphone à table ! Confisqué ! Et tu files dans ta chambre ! » ?

Certes, vous me direz que cela peut aussi interroger nos systèmes, nos organisations de réunions, afin de les rendre plus vivantes, plus courtes, plus centrées sur des sujets plus restreints, plus participatives, etc. Certes. Pourtant, est-ce vraiment exclusivement à cause de cela que des comportements irrespectueux peuvent être adoptés au grand jour ?

Dans de nombreuses entreprises et dans de nombreuses institutions publiques, le droit à la déconnexion s’impose. Ainsi, il n’est plus considéré comme un crime de lèse-majesté de ne pas checker sa boîte mail le samedi soir à 23h30. Et c’est une bonne chose. De manière réciproque, et si une obligation de déconnexion était à mettre en œuvre pour imposer de laisser ses objets communicants connectés à l’entrée d’une réunion, comme on le faisait autrefois, dans certains milieux et certaines circonstances, avec les armes de poing ? Histoire d’en revenir aux éléments basiques d’une bonne communication : « Je parle, tu m’accordes toute ton attention ; je ferai de même quand tu t’exprimeras. » Car il n’y a pas de communication vraie sans considération de l’autre. Ou bien est-ce trop « boomer » comme attitude ?

Illustration : © Shutterstock.com/Monkey Business Images.