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Fertilisation croisée entre médias locaux

Publié le : 6 octobre 2022 à 07:17
Dernière mise à jour : 6 octobre 2022 à 16:29
Par Alain Doudiès

Le Festival de l’info locale (FIL) a mis en relief la convergence des approches entre médias privés et publications institutionnelles sur des enjeux névralgiques : renouvellements éditoriaux, renforcement des liens avec les lecteurs, transition écologique et aussi, même si c’est dans une responsabilité distincte, réponse à la défiance par l’activation de la vie démocratique.

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De notre envoyé spécial, Alain Doudiès.

L’atout du FIL, organisé du 21 au 23 septembre à Nantes par Ouest Médialab, est de mettre sur la table des problématiques et de proposer des réponses venant des deux univers professionnels voisins. À la faveur de notre cueillette dans les conférences, les ateliers… et les couloirs, voyons le dessus du panier avec des témoignages de communicants publics.

Judith Provencher, directrice de la communication de La Rochelle, a décrit l’ambitieuse et méthodique démarche vers une communication éco-responsable. Elle a porté sur l’ensemble du dispositif dont elle a la responsabilité : création graphique, web et audiovisuel, événements et manifestations sportives, culturelles et populaires, réceptions et cérémonies protocolaires, imprimerie municipale. La « Charte de la communication éco-responsable » est la résultante d’un vaste travail collectif des agents.

Laurence Pérez, directrice de la communication de Villeurbanne, a présenté la nouvelle formule, conçue à l’interne, du magazine de la ville, Viva. L’ambition : renforcer la relation avec les lecteurs ; le positionnement : un journal informatif, pratique, qui propose ses solutions ; l’orientation générale : « valoriser les habitants pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font » et « impliquer les citoyens dans le processus éditorial » ; le ton : « proximité et connivence ». Cette orientation majeure se traduit par une co-rédaction en chef, sur les sujets, les angles, les témoins interrogés et des prises directes de parole par les habitants : « J’ai testé (un équipement ou un service public) pour vous », « Vous nous le dites » (réponses aux questions des habitants) et « Coups de cœur » (rédigés par le comité éditorial jeunes).

Avec ces deux interventions, éditeurs et journalistes ont pu en prendre de la graine sur ce qui se passe dans la presse des collectivités.

Le terrain pour changer de regard

La vitalité des médias locaux et leur capacité à innover au plus près du terrain ont été illustrées, notamment lors de la table ronde « Repenser l’info en rural », avec trois médias : Finta !, podcasts gratuits pour raconter l’Aveyron en profondeur, Champs libres, émission de TV7 à Bordeaux, qui explore la créativité artistique sur le territoire, et Nouvel(le) R, magazine de la ruralité de TV Rennes. Lola Cros, Sonia Moumen et Aurélie Crété, passion journalistique en bannière, ont raconté leur recherche de formats novateurs pour « changer de regard » et « sortir des modèles de la PQR », avec un point commun – « le terrain » – et une certaine idée de l’enracinement, en rien signe de repliement.

Cette approche fait écho à celle, à une tout autre échelle, de France Télévisions. Sa présidente, Delphine Ernotte, absente au FIL, explique, dans une interview à CB News, le projet Tempo, contesté à l’interne, qui doit conduire les antennes régionales à produire les journaux nationaux de France 3 : « Nous allons nourrir cette information locale, nationale, internationale de la réalité de terrain, de ce que vivent les gens au plus près de chez eux. »

Outre l’aperçu que le FIL a donné sur une floraison de créations de médias, le dynamisme du secteur, pourtant économiquement souvent fragile, s’est manifesté par les perspectives qu’apporte le « journalisme de solutions ». Le collectif Antidotes a présenté les bases de son savoir-faire que Marine Mugnier et Delphine Tayac ont apporté notamment au magazine de Nantes. Cette approche rigoureuse répond à quatre critères :

  • présenter le problème auquel la solution répond ;
  • décrire une solution crédible : reproductible, avec des preuves qu’elle fonctionne, avec une certaine ampleur ;
  • décortiquer la méthode mise en œuvre ;
  • donner les limites de la solution présentée.

Le dispositif Infolocale vendu par le groupe Ouest-France est de plus modeste ambition. Piloté par David Moizan, il recueille et traite les multiples informations issues des associations. Cette plateforme assure l’interface entre les sources et les médias abonnés, économise du temps dans la fastidieuse gestion de ces informations, donne une visibilité aux activités des associations, y compris avec photos et vidéos, tout en laissant place aux initiatives de la rédaction. Outre des médias, des collectivités disposent de ce service : les départements d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique et du Morbihan, CARENE Saint-Nazaire Agglomération, Lorient Agglomération ou la communauté de communes du Pays sabolien (Sarthe).

Renforcer les liens de proximité

Bien entendu les transformations numérique et écologique sont toujours parmi les sujets majeurs.
Ainsi, Les Dernières Nouvelles d’Alsace ont créé un « laboratoire d’innovation numérique », afin d’« embarquer la rédaction dans la transition », avec la priorité donnée à l’éditorial parce que le numérique est un instrument de proximité. Elle se manifeste par une manière différente de travailler, de « nouvelles narrations », la multiplicité des outils, data comprises.

De même, Philippe Carli, le patron du groupe Ebra (10 quotidiens régionaux, de Strasbourg à Avignon, 1 400 journalistes), a présenté sa stratégie, fondée sur « une transformation profonde de la manière d’aborder l’information ». Elle se traduit par la nécessité de « renforcer les liens de proximité, de confiance, entre les acteurs de nos régions » – tiens, tiens – et se concrétise en particulier par l’acculturation digitale de tous les services des quotidiens, l’accroissement des contenus et des services aux lecteurs, la diversification de la production (formats longs, podcasts, vidéos), les initiatives en faveur des débats, en impliquant de plus en plus les lecteurs. Sans oublier, tant s’en faut, l’impératif économique, cette démarche semble mettre en relief un enjeu démocratique dont ces journaux disent se saisir.

Le calculateur carbone de la PQR

La presse quotidienne régionale s’engage plus avant dans la réduction de son empreinte carbone. Pour accompagner les annonceurs, la régie 366 a mis en place un calculateur carbone. Il mesure l’impact des campagnes print et digitales, et propose des solutions pour le réduire.

« Aller vers les gens »

La contribution à la citoyenneté est naturellement le fait des médias du service public. C’est flagrant avec la grande consultation citoyenne, conduite par France Bleu avant l’élection présidentielle et organisée avec l’appui de change.org. Un succès : environ 1 million de participants, 7 millions de votes, 34 000 propositions résumées par « les 12 priorités des Français ». Géraldine Houdayer résume : « Cette opération a permis à des médias locaux, nos antennes, de prendre part à une séquence nationale et d’apporter avis, propositions et solutions sur les grands sujets de préoccupation. »

Le débat d’ouverture du FIL a traité d’une question centrale, pour les journalistes, comme pour les communicants publics : la nécessaire reconquête d’une confiance trop souvent mal en point. Les raisons de s’inquiéter sont là : le constat que seulement 38 % des Français font confiance aux médias (baromètre Edelman), la violence à l’égard des médias, telle qu’elle s’est manifestée pendant la crise des « gilets jaunes », la « rupture du lien », comme la diagnostique Ludovic Blecher (Google News Initiative). Les raisons d’espérer ont tout autant été pointées. Elles passent par des progrès à venir. « La profession a besoin de s’interroger, pour aller vers un journalisme rigoureux, de qualité et pour se soumettre à la critique », a ainsi souligné François-Xavier Lefranc, directeur des rédactions d'Ouest-France. La journaliste Anne-Sophie Novel a décrit les voies qui permettent d’avancer, comme la transparence sur la fabrique de l’information ou les rapports d’impact sur un travail journalistique, ainsi que le pratiquent Disclose ou le groupe Centre-France, des méthodes ouvertes vers les lecteurs, comme les conférences de rédaction avec des habitants, et aussi, vertu cardinale… peu commune : l’humilité.

Conviction partagée par les intervenants : « Le lien se renforce à partir du local. » « Avec nos 1 300 journalistes, nous participons à la vie démocratique », a décrit Isabelle Staes, directrice de l’information régionale à France 3. « Il faut aller vers les gens, leur donner davantage la parole et laisser moins de place aux experts, ouvrir des espaces de débat et être porteurs de solutions. » Trois orientations, à la fois exigeantes et fécondes, que des équipes des journaux des collectivités locales peuvent partager.

En prélude au Forum

Cet article est une mise en bouche de l’atelier « S’inspirer des innovations de la presse locale », organisé lors du 34e Forum de la communication publique à Strasbourg, le jeudi 17 novembre à 11 h 30. Julien Kostrèche, observateur attentif et vif, directeur d’Ouest Médialab et du FIL, interviendra pour faire le point sur les évolutions et projets des médias locaux qui peuvent contribuer à améliorer la pratique professionnelle dans les médias territoriaux.

Photo principale : Lola Cros (Finta !), Sonia Moumen (Champs libres) et Aurélie Crété (Nouvel(le) R) : trois manières de renouveler l’information en territoire rural. (Crédits : Pauline Guillet-FIL 2022)