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La presse territoriale plie mais ne rompt pas

Publié le : 25 mai 2023 à 07:36
Dernière mise à jour : 25 mai 2023 à 14:28
Par Didier Rigaud-Dubaa

Face à l’augmentation vertigineuse du prix du papier, le premier support d’information locale ne tremble pas. Les dynamiques d’évolution révélées par l’analyse des nombreuses publications présentées par les collectivités au 25e Prix de la presse et de l’information territoriales l’attestent. En attendant la révélation des lauréats le 9 juin, Didier Rigaud-Dubaa décrypte les tendances à l’œuvre dans la presse territoriale.

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Didier Rigaud-Dubaa, maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, est un observateur privilégié de la presse territoriale. Il a créé et organise chaque année avec Cap'Com le Prix de la presse et de l’information territoriale.

L’impact de la flambée du prix du papier

La hausse colossale du prix du papier – celui-ci aurait augmenté de 85 % depuis le mois de juillet 2021 (source : Syndicat national de l’édition) – est apparue de façon récurrente dans les dossiers de cette 25e édition du Prix de la presse et de l’information territoriales.

Plusieurs collectivités candidates ont expliqué avoir modifié leur pagination ou leur périodicité à cause de cette flambée du prix du papier. Cette nécessité de réduire les coûts n’a pas que des conséquences négatives, elle oblige à repenser sa publication, à définir une nouvelle ligne éditoriale prenant en compte les évolutions récentes des usages médiatiques, à mieux travailler avec certains prestataires, comme les imprimeurs, permettant ainsi d’optimiser les dépenses en adaptant par exemple le format, le choix du papier…

Le 9 juin, découvrez en ligne et en direct le palmarès du Prix de la presse et de l'information territoriales 2023, et affinez votre veille

Rendez-vous vendredi 9 juin de 14h30 à 16h30 pour la révélation des lauréats du 25e Prix de la presse et de l'information territoriales lors d'un webinaire en ligne et ouvert à tous.

Profitez de ce benchmark pour piocher bonnes idées et retours d’expériences, et améliorer vos propres publications. Camille Baudelaire, présidente du jury, et Didier Rigaud-Dubaa, maître de conférences, décrypteront les points forts des publications récompensées cette année.

L’humain et la proximité, angles éditoriaux plébiscités

« La nouvelle presse municipale constitue un désenclavement de l’information municipale institutionnelle. C’est le journal de la ville qui ne s’adresse plus à des administrés mais à des lecteurs. (...) Cette presse ressemble de plus en plus à un news magazine local. (…) Le périodique municipal s’ouvre à la ville… et à la vie. » Citation extraite de La Presse municipale, étude de la fondation pour la gestion des villes et des collectivités locales, éditions Berger-Levrault, 1990. Cette citation date de plus de trente ans, elle évoquait l’évolution de la presse territoriale (appelée alors municipale) vers le concept de city magazine.

Les projets éditoriaux de très nombreuses publications candidates demeurent dans la droite ligne de cette évolution. Ces quelques extraits issus des dossiers déposés l’illustrent parfaitement : « … remettant l’humain au cœur du traitement éditorial… », « … en sourçant l’information au plus près du terrain avec un objectif minimum de 30 % des sujets traités émanant des habitants… », « la volonté politique de jouer la proximité à l’échelle du territoire… de disposer d’informations d’hyperproximité… », « Notre journal permet de mettre en valeur les habitants… l’humain est au cœur de la ville et de notre journal car il n’existe pas de ville sans visage », « magazine conçu autour de la proximité… », « le besoin de plus de proximité avec les habitants… ».

Les portraits à l'honneur

La forte participation de la catégorie Plume d'or, qui récompense cette année le meilleur article « Portrait », confirme la place de plus en plus importante laissée à l'humain dans les publications. Un portrait écrit d'une personnalité locale parfois associé à un portrait photo en couverture du magazine.

Bien sûr, parfois ces bonnes intentions ne sont pas toujours visibles quand nous feuilletons la publication concernée, mais, dans la très grande majorité des titres territoriaux, force est de constater qu’effectivement il y a une volonté de « montrer » les habitants (et même les agents de la collectivité), de les impliquer en les associant dans les démarches d’évaluation et de refonte, parfois même dans les comités éditoriaux ou plus simplement dans l’iconographie ou des rubriques du type micro-trottoir ou « nous avons testé pour vous ».

Nous pouvons regretter toutefois que ces choix éditoriaux laissent moins de place à l’information plus politique. Il est fréquent, par exemple, de voir le traitement de la présentation du budget venant d’être voté sous une forme très succincte, en une demi-page avec 2 ou 3 chiffres accompagnés de pictogrammes.

La communication prime face à l’information, la recherche d’un lectorat accru se fait au détriment d’une des vocations de la presse territoriale, rendre compte de la gestion du territoire.

La sobriété questionne la presse territoriale

La presse territoriale, comme l'ensemble de la communication publique, n'échappe pas à la question de la sobriété posée par les impératifs de transition économique, écologique et sociale. Face à la crise du papier, mais aussi celle de la crédibilité publique, et face à la conjoncture économique, ce questionnement s'invite à chaque étape de la fabrication des publications. Ainsi parmi les candidatures, certaines affirment un positionnement territorial fort. D'autres se distinguent par des tentatives de sobriété éditoriale : rédaction de quelques pages en facile à lire et à comprendre (Falc), insertion de glossaires, mise en page avec des blancs et des aérations. Cette recherche de clarté et de simplicité se traduit pour certains titres à travers des maquettes au graphisme sobre. D'autres créations, au contraire, démultiplient les entrées et signes graphiques pour accrocher l'œil du lecteur. La sobriété graphique semble faire débat parmi les communicants, qui n'hésitent pas à emprunter depuis quelques années déjà les codes d'une presse magazine privée plus ostentatoire. Enfin, les publications territoriales, en tant qu'objet industriel, sont confrontées aux questions liées à l'impact de leur production, écologique comme économique. Les collectivités cherchent activement des solutions pour optimiser la fabrication : composition, pagination, colorisation, format, choix du papier, et usages mutualisés des rotatives avec d'autres supports de presse...

Des titres courts et « percutants », une tendance loin d’être généralisée

Depuis deux ou trois éditions du Prix de la presse et de l’information territoriales, nous constatons, surtout pour des publications ayant fait l’objet d’une refonte complète, une tendance à la création de titres courts, sous la forme d’acronymes, dérivant souvent du nom de la collectivité.

Citons, par exemple, Le M de la commune de Malaunay, DZ Mag (Douarnenez), VNV (Villejuif), HDS Mag pour le département des Hauts-de-Seine… L’objectif recherché est très certainement de créer une publication plus « dynamique », moderne, et d’attirer un lectorat plus large.

Mais cela est loin de se généraliser, sur près de 250 publications territoriales reçues, les titres classiques sont encore légion, seulement un peu plus de 10 % ont osé ces titres courts.

Les deux tiers d’entre elles contiennent le nom de la collectivité en toutes lettres dans leur titre. Près de 40 % ont le mot « mag » dans leur titre, très souvent sous la forme « nom de la collectivité + mag ». Des synonymes de magazine, parfois un peu désuets, sont encore utilisés : « la voix de… », « L’écho de… », « La gazette de… », « Les nouvelles de… ». Ce relatif manque d’originalité n’est pas nécessairement un défaut : quel que soit le nom de la publication territoriale, les habitantes et habitants l’identifient souvent visuellement avec la têtière et le logo de la collectivité. Ils la rebaptisent à leur façon, « le journal du maire », « votre revue ».

Le titre pour la presse territoriale ne répond pas aux mêmes enjeux de positionnement et d’identification que pour la presse privée, elle peut se permettre un certain conservatisme.

Les petits poucets à la hauteur

Une des catégories du Prix de la presse et de l’information territoriales est celle des petits poucets, destinée aux communes de moins de 10 000 habitants. La plus petite commune participante cette année a 800 habitants. Bien évidemment, les moyens humains, financiers et techniques de ces communes ne sont pas comparables avec ceux d’une métropole ou d’un conseil départemental ; de même, la quantité d’information sera bien moins importante. Mais cela n’empêche pas la réalisation de supports qualitatifs tant pour le contenant que pour le contenu, comme le démontrent les publications nommées cette année.

Ces communes n’hésitent pas à « investir » dans la communication en recrutant des professionnels ou en faisant appel à des prestataires pour, par exemple, la conception de la maquette. Les choix éditoriaux sont réfléchis et assumés, traduisant parfois de l’audace et une volonté de faire bouger un peu les représentations et a-priori que leur lectorat pourrait avoir vis-à-vis de la presse territoriale. Des rubriques, des façons de traiter l’information pourraient être très inspirantes pour des rédactrices et rédacteurs en chef de grandes et très grandes collectivités.

Période de transition pour les publications internes ?

Nette baisse du nombre de candidatures cette année pour la catégorie des publications internes. Cela avait déjà été le cas l’année dernière, mais nous étions encore dans le très proche « post-Covid ». Est-ce la conséquence d’une évolution de l’information interne dans les collectivités territoriales ? Un transfert du print vers les supports digitaux, infolettres numériques, journaux vidéo sur l’Intranet… ? Pourtant le journal interne papier et ses qualités intrinsèques permettent de répondre à de très nombreux objectifs de communication interne. Une croyance qui semble partagée par les communicants, peu importe leur ancienneté professionnelle. Mais la période des confinements, avec l’arrêt de la réalisation des supports print, l’augmentation du prix du papier dans un contexte de forte contrainte financière pour les collectivités, le développement des usages numériques – 87 % des Français ont un smartphone (source : Credoc, baromètres du numérique 2022) – semblent remettre en question les publications internes.

Lors des dernières Rencontres nationales de la communication interne organisées par Cap’Com au mois d’avril 2023, de nombreux responsables de communication interne ont évoqué ce choix plus ou moins contraint de diminuer la périodicité voire de supprimer leur publication interne papier.
Bien sûr, cela n’est qu’une hypothèse qui sera confirmée ou infirmée dans les prochaines éditions. Relevons cependant au passage une candidature remarquable car nationale, et émanant d'une institution à très forte identité : celle de la Police nationale (149 200 agents), qui cible sa diffusion pour toucher un maximum d'agents.

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