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La transformation numérique portée par les agents publics

Publié le : 28 novembre 2019 à 00:40
Dernière mise à jour : 30 décembre 2019 à 16:26
Par Yann-Yves Biffe

Peur de perte d’autonomie, du flicage, de la complexité des outils, de la suppression de postes… la généralisation des outils numériques a longtemps fait figure de crainte numéro 1 sur le lieu de travail. Un baromètre mené par la Gazette des communes montre que les agents publics ont apprivoisé la transformation digitale pour en faire un atout dans l’exercice de leurs missions et au service de l’usager.

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Par Yann-Yves Biffe.

Il y a fort longtemps que l’on sait que, comme tout le reste de la société, l’action publique va être transformée par le numérique. C’est d’ailleurs devenu un cheval de bataille du gouvernement, qui souhaite en particulier s’appuyer là-dessus pour générer des économies importantes. C’est surtout l’occasion de repenser les objectifs et les façons de les atteindre, ainsi que les process débouchant sur le service apporté à l’usager. Sauf que le changement génère classiquement des résistances que les managers ont pour mission de déminer. Et la transformation par le numérique occupe historiquement une place en vue dans les peurs liées à la transformation du cadre de travail, parce que cela remet en cause le rôle des agents, bouscule leur expertise, change leurs façons de faire.

Ça donne à voir le déploiement du numérique comme une chance pour les agents et les usagers

Or, la Gazette publie dans son édition du 11 novembre 2019 un intéressant baromètre sur la perception des agents par rapport à la transformation numérique dans leur collectivité. Certes, ce n’est pas un sondage, il n’est pas parfaitement représentatif, mais il s’appuie sur 489 répondants, ce qui lui confère un intérêt. Et ce baromètre montre que les agents publics ont apprivoisé le changement numérique et lui confèrent de nombreux intérêts.

  • 71 % des répondants disent ainsi que le développement du digital n’est plutôt pas ou pas du tout une source d’inquiétude pour l’avenir de leur métier.
  • 46 % y voient un accroissement de l’intérêt du travail, quand 11 % y voient une baisse.
  • Pour 39 %, la transformation numérique a abouti à plus de collaboration, pour 25 % à plus d’isolement.

Les agents semblent donc avoir fait des outils numériques des atouts dans leur travail au quotidien.

L’intérêt du développement du digital s’exprime aussi pour l’usager : 35 % des agents interrogés apprécient une amélioration de la relation avec les citoyens, quand 15 % déplorent une dégradation.

Ainsi, ils pensent que le numérique permet d’améliorer le service public :

  • en facilitant l’accès à l’information et aux conseils à 66 % ;
  • en réduisant les coûts d’accès aux services (frais postaux, frais de déplacement) à 61 % ;
  • en améliorant la disponibilité des services à 58 % ;
  • en améliorant la réactivité des services à 53 % ;
  • et en simplifiant les procédures à 51 %.

Pour autant, tout n’est pas rose et il y a aussi des points d’attention à souligner.

Ça donne à relativiser l’enthousiasme des agents pour le déploiement du digital

Déjà, le baromètre n’a recueilli que 16 % de répondants de la catégorie C. Or, on sait que ce sont les emplois les plus représentés dans la fonction publique et d’autre part que ce sont les emplois les moins qualifiés qui souffrent le plus de la transformation numérique. Donc, si le baromètre appliquait une représentativité des cadres d’emploi, il y a fort à parier que ces chiffres positifs seraient revus à la baisse.

Par ailleurs, si 29 % des répondants constatent une simplification de leurs missions, 40 % voient à l’inverse une complexification de leurs missions.
Ainsi, par exemple, un quart des répondants déclarent utiliser au moins sept plateformes ou logiciels métiers.

Surtout, seulement 14 % des répondants constatent une baisse de leur charge de travail, quand 47 % soulignent une hausse de leur charge de travail, la différence par rapport aux 100 % ne voyant pas de changement.
Pour Vincent Mandinaud, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail interrogé par la Gazette, « il est possible de tout faire en deux clics, mais les gens n’arrêtent pas de passer d’un progiciel à l’autre, ce qui demande une agilité mentale fatigante et suppose que les collaborateurs assument des tâches traitées auparavant par des assistantes ». Ils doivent donc gérer seuls plus de tâches et la charge mentale s’en trouve donc concentrée sur moins de personnes.

À l’inverse, les outils permettent dans d’autres cas plus de collaboration en facilitant le travail et les échanges à distance. Mais là aussi, c’est une charge de travail en plus, car ce qui était parfois réfléchi entre un agent et sa conscience, voire son n+1, doit être discuté, débattu, réinterrogé en y associant un éventail potentiellement large de collègues. Selon Vincent Mandinaud, « il existe désormais une injonction à faire de la collaboration qui est consommatrice d’attention, d’énergie. Alors même que les lignes hiérarchiques persistent, cette démarche collaborative entraîne un surcroît de travail ». Il importe alors de bien définir qui doit être consulté et de faire la part des choses entre les projets qui vont être enrichis par de multiples points de vue et ceux qui seront seulement ralentis dans ce cas.

On en retiendra que la transformation numérique n’est plus un défi à préparer, mais une réalité qui s’applique. Selon les cas personnels, l’appétence au changement, l’autonomie, l’âge aussi (statistiquement), elle est une opportunité rendant le travail plus intéressant, ou une charge en plus, alourdissant la mission et sa complexité. Il n’y a pas de vérité intangible, mais de multiples voies d’apprivoiser ce qui était appelé d’un terme auparavant à la mode et maintenant joliment désuet : « le progrès ».

Prospective, management, numérique et communication publique : retrouvez d'autres chroniques illustrées sur www.yybiffe.com et via Twitter : @yyBiffe.