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« Le design graphique, une discipline d'utilité publique »

Publié le : 16 février 2023 à 07:17
Dernière mise à jour : 21 février 2023 à 09:33
Par Alexia Galas

C’est une dimension capitale de notre travail : le graphisme, la typographie. Ces questions de style, discrètes mais souvent signifiantes, doivent être réinterrogées, remises en avant, et c’est ce que Cap’Com fait en confiant la présidence du jury 2023 du Prix de la presse et de l’information territoriales à une référence de ce métier. Une créatrice engagée et visionnaire, Camille Baudelaire, à qui Point commun a posé des questions de fond… et de forme.

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Diplômée de l’école Estienne, de l’ESAA Duperré et de l’Ensad, Camille Baudelaire œuvre depuis plus de dix ans au sein de son atelier à l’intersection du design graphique et du design d’espace. Elle accompagne les institutions, artistes et entreprises dans la création d’identités, d’éditions et de lieux dans un esprit collaboratif. Ancrée dans la tradition du graphisme d’auteur, elle propose un nouveau modèle, horizontal, valorisant le travail des femmes designers, la création collective et le travail indépendant. Entant que présidente du jury du 25e Prix de la presse et de l'information territoriales, elle portera, un regard créatif, graphique et éditorial sur les dossiers présentés.

Point commun : Quel regard portez-vous sur les tendances créatives et graphiques actuelles ?

Camille Baudelaire : Aujourd’hui les créatifs ont accès quotidiennement à un flot d’images massif qui peut provoquer une perte de repère. Nous vivons nous-mêmes au sein de l’Atelier cette pression de surconsommation visuelle. Nous nous efforçons donc de conserver des moments « non productifs » de recherche et de réflexion qui permettent de prendre du recul par rapport à ce flux continu.

C’est une période d’une grande richesse, avec de la créativité, de l’irrévérence, et la possibilité de s’ouvrir.

Au quotidien, nous nous intéressons à tous les domaines de l’innovation, aux courants de pensée questionnant la doxa (l'ensemble des opinions reçues comme évidentes dans une civilisation donnée – ndlr) et au design « d’utilité publique ». Nos références graphiques et plastiques vont chercher à la fois dans la tradition du design suisse que dans la pop culture. C’est une période d’une grande richesse, avec de la créativité, de l’irrévérence, et la possibilité de s’ouvrir.

L'IA va nous pousser à développer des formes d’intelligence plus fines et sensibles.

L'IA va nous pousser à développer des formes d’intelligences plus fines et sensibles. Certains pensent que l'intelligence artificielle menace nos métiers. Il me semble que cela peut aussi éveiller des nouvelles formes de pensées humaines plus intéressantes, que cela nous poussera à nous réhumaniser et à explorer d’avantage les compétences encore inconnues du cerveau humain.

Point commun : Quelles sont les sources qui vous inspirent en tant que designer en 2023 ?

C. B. : Les artistes, graphistes, auteurs, autrices, communicants et communicantes, qui remettent en question les phénomènes doxiques (qui relèvent de la doxa) en inventant de nouveaux langages, sont pour nous une source d’inspiration inépuisable. Des autrices comme Bell Hooks et Monique Wittig (écrivaines et militantes féministes), ainsi que Anja Kaiser (designer graphique) et Cas Holman (designer de jouets) nous permettent de prendre du recul sur les tendances sociétales et les changements de paradigme. Le graphisme présent sur les objets du quotidien, en particulier lorsque cela touche à l’enfance et dans l’espace public, fait aussi partie de notre culture et de nos inspirations en tant que consommatrices et usagères des espaces publics.

La notion de droit culturel des usagers et des publics nous intéresse beaucoup pour inventer de nouveaux processus de travail.

La notion de droit culturel des usagers et des publics, qui consiste à créer les conditions pour que chacune et chacun puisse partager son histoire, sa vision et sa culture nous intéresse beaucoup pour inventer de nouveaux processus de travail graphique avec les publics.

La part relationnelle inhérente à notre métier est ce qui rend les collaborations commanditaires-usagers-designers fructueuses sur des territoires précis. Il est important pour nous d’aller à la rencontre des habitantes et habitants, d’étudier le terrain, de faire de la recherche, de nous adapter aux enjeux qui sont chaque fois différents. Par le travail collectif nous évitons tant que possible de plaquer les mêmes réflexes graphiques pour chaque commanditaire. De ce fait nous n’avons pas de modèle spécifique, nous regardons partout autour de nous ce qui émerge, et collaborons avec celles et ceux qui partagent cette approche. 

Point commun : Quels conseils donneriez-vous aux communicants sur le design graphique ?

C. B. : En compublique ce que nous avons pu voir me semble très codifié et en décalage avec l’actualité du design graphique visible notamment sur les réseaux sociaux et les parutions sur le sujet. Nous sommes issues de formations en école d’art diverses et avons été sensibilisées à la création culturelle comme aux enjeux de la commande par ce biais. C’est en persévérant pour réussir à travailler en tant qu’indépendantes que nous avons ensuite eu l’occasion de travailler dans de très nombreux domaines d’activité. Il nous semble que le parcours qui mène à la com publique est très spécifique alors qu’il y aurait des ponts innovants et très enrichissants à faire. Le graphisme « d’auteur » est souvent associé en France à la question du “style” en tant qu’écriture formelle singulière et artistique, car ils se base sur un vrai travail de recherche. Il est important pour faire évoluer les arts visuels en général et anoblir cet art qu’est le design graphique, considéré toujours comme mineur dans la hiérarchie des arts institutionnels. Notre approche de cette discipline consiste à rendre plus poreuse la frontière entre art noble et art secondaire, entre agence de communication et graphiste-artiste déconnecté des cibles. Nos écritures puisent leur richesse dans le collectif et se réinventent à chaque projet en fonction du contexte. Nous essayons toujours d’apporter des réponses spécifiques en questionnant l’éthique. Notre travail intègre donc une dimension sociologique, critique et parfois politique.

Aller chercher dans l’inconscient collectif pour créer la nouvelle identité visuelle.

La création de typographies sur-mesure pour un territoire est très rare, alors même que nous possédons un fort savoir-faire en la matière en France. La typographie est un domaine considéré de niche, c’est à dire pas nécessairement connu du grand public mais paradoxalement c'est ce qui nous touche le plus au quotidien à travers toutes les produits et publicités par exemple. Il est dommage que le secteur territorial ne s’appuie pas plus sur la typographie qui peut justement valoriser des cultures, des spécificités de territoire de manière subtile et qualitative. C’est que nous avons fait à Rennes avec Alice Savoie et Alexandre Bassi en allant chercher des inspirations locales pour créer la nouvelle identité visuelle.

Point commun : Comment les communicants peuvent-ils faciliter justement ce processus créatif ?

C. B. : Nous recommandons plus de temps à s'accorder, entre prestataires et commanditaires, mieux s’informer et réciproquement se rencontrer. Les artisans du design graphique pourraient davantage être sollicités pour répondre à la commande publique. Nous valorisons les efforts que peuvent faire certaines collectivités pour améliorer les conditions de réponses aux appels d’offre, qui restent encore difficiles pour les petites structures.

La manière dont on explique le travail conditionne aussi son appropriation.

Parfois le temps nécessaire à l’explication de nos savoirs-faire, de nos capacités d’analyse du terrain, de la recherche de sens pour des habitants peut manquer. Les services de communication des municipalités semblent parfois oublier qu’une phase de recherche approfondie sur le patrimoine local, les habitants, l’Histoire, l’évolution des mœurs, est une matière riche et inspirante pour un projet d’identité visuelle de ville. Il y a beaucoup de préjugés sur l’idée que le public puisse mal réagir à quelque chose d’inhabituel. Cela vaut pour le processus créatif comme pour son aboutissement. Par exemple, à Rennes nous avons réalisé une vidéo explicative du projet d’identité visuelle avec sa nouvelle typographie. Le service com a décidé de dévoiler les choses de façon didactique et cela a plutôt fonctionné. La manière dont on explique le travail conditionne complètement son appropriation.

Point commun : Vous allez présider le Prix de la presse et de l'information territoriales 2023. Qu’attendez-vous de votre participation au Grand Jury ?

C. B. : J'aborde cette participation avec beaucoup de curiosité et d’intérêt. Je suis très enthousiaste à l'idée de voir ce qui se fait, de découvrir des créations auxquelles l’on a peu accès, pouvoir échanger sur nos pratiques,… et aussi de valoriser des projets qui nous sembleraient pertinents au regard de notre vision et qui seraient peut-être moins visibles aujourd’hui. J’aimerais encourager les approches novatrices et bienveillantes envers les citoyens.

Valorisez la publication de votre collectivité en participant au 25e Prix de la presse et de l'information territoriales

Collectivités et organismes publics de toute taille, soumettez votre publication à l'analyse du jury du Prix de la presse territoriale 2023, et tentez de remporter le Grand Prix ou un prix de catégorie. Les candidatures sont ouvertes jusqu'au 25 mars.

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