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Marketing territorial : l’indispensable retour aux sources

Publié le : 13 avril 2021 à 06:30
Dernière mise à jour : 15 avril 2021 à 16:40
Par Marc Thébault

Si mon côté « prof » me pousse parfois à la simplification pédagogique, mon côté « boomer » me conduit toutefois à rappeler la complexité des choses et l’intérêt de revenir aux sources de nos outils, de nos pratiques ou de nos références théoriques. Bien sûr, je me soigne mais, pour autant, comme le papier qui ne refuse pas l’encre, je résiste peu à l’appel de l’écriture d’un billet pour Cap’Com. Et quand je lis ici ou là que le marketing territorial se renouvelle, je pense à cette phrase de Romain Gary : « Tout renouveau est avant tout un retour aux sources. »

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Par Marc Thébault.

Ainsi, sur le sujet de l’attractivité des territoires, donc sur celui de son champ méthodologique (le « marketing territorial »), j’aime rappeler que le mot « marketing » utilisé mérite que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour se souvenir qu’il n’est pas synonyme de « communication » et qu’il ouvre des champs de principes et de pratiques spécifiques. Suivant la connotation (économique, politique, philosophique, etc.) que l’on donnera au mot « marketing », on l’appréciera ou non. Mais, si l’on se lance dans ce fameux « marketing territorial », alors autant le faire en toute connaissance de cause et en évitant toute vision réductrice, partiale ou partielle.

Longtemps directeur de communication en institution publique, j’ai toujours alerté sur le danger de ne considérer la communication publique que seulement comme une succession d’actions de promotion. J’ai souvent redit que je la concevais comme un processus en cinq étapes :

  • d’abord celle de la liaison (créer et maintenir du lien avec ses publics) ;
  • puis celle de l’information (donner des éléments de compréhension du sens de l’action publique et des règles de vie commune) ;
  • puis celle de la concertation (écouter, ouvrir le débat et faire participer) ;
  • puis, bien sûr, celle de la promotion (dans le sens si possible de : promotion de ce qui est le fruit des trois étapes précédentes) ;
  • et, enfin, celle de l’influence car, on le sait, l’objectif final est bien d’influencer, soit sur des comportements (d’où des campagnes dites d’intérêt général par exemple), soit sur des perceptions, notamment d’images (image d’une institution, de ses agents et/ou de ses élus ou image d’un territoire, etc.).

Et j’ai toujours été agacé lorsque des interlocuteurs (parfois d’autres professionnels) n’envisageaient mon champ d’action que comme celui de la publicité et des « one shot ».

Ne s’attarder que sur les aspects les plus visibles du marketing territorial sera l’origine de confusions fâcheuses entre vessies et lanternes.

Il en est de même avec le marketing territorial, principale source de toute action publique qui vise à renforcer l’attractivité des territoires. Ne s’attarder que sur ses aspects considérés comme les plus visibles, les « campagnes de com » pour ne pas les nommer, est facile mais ô combien origine d’égarements et de confusions fâcheuses entre vessies et lanternes, poules et œufs, etc. Sans volonté de jouer les « communicants repentis », je pense néanmoins important de redessiner, ci-dessous, quelques traits pour redéfinir le marketing territorial et redonner à la partie « communication » sa juste place, ni plus ni moins. Et, pour cela, on partira donc du marketing tout court.

Dans Les Clés du marketing (2003, Village mondial), le « père du marketing moderne », Philip Kotler, propose cette définition, simple mais précise, du marketing : « Le marketing est la fonction qui identifie les besoins et les désirs non satisfaits, définit et mesure leur ampleur et leur rentabilité potentielle, détermine les marchés cibles que l’entreprise est la mieux placée pour servir, décide des produits, services et programmes d’actions les plus appropriés et demande à tout le monde, au sein de l’entreprise, de se mettre à l’écoute et au service du client. »

D’emblée, même des néophytes peuvent clairement constater qu’il ne s’est pas contenté de dire que le marketing, c’est une campagne d’affiches dans le métro, point barre ; non, c’est visiblement un tantinet plus complexe. Tâchons maintenant de décliner cette définition pour ce qui nous préoccupe, histoire de retrouver nos fondamentaux, pour parler comme un entraîneur de football. Cela pourrait donner :

Le marketing territorial est, dans le secteur public, la fonction qui :

1. identifie les besoins et les désirs non satisfaits.
Ici, on se souviendra que le marketing n’est pas « Voilà ce que je fabrique, qui en veut ? », mais bien la réponse à « Voici ce dont j’ai besoin, qui veut me le proposer ? ». On se rappellera aussi que ces besoins et désirs peuvent varier dans le temps. Il s’agit donc de ne rien considérer comme gravé dans le marbre. S’il est besoin de s’en persuader, relisons les nombreux articles publiés et études réalisées depuis le premier confinement de 2020 sur les variations des attentes en termes de nouveaux styles d’habitat et de vie, personnels et professionnels. Notons aussi qu’il sera question de faire la part entre les « modes », utiles à suivre mais par essence éphémères, et les « tendances », indispensables à repérer car, par essence, de fond.

2. définit et mesure leur ampleur et leur rentabilité (matérielle et/ou immatérielle) potentielle pour le territoire.
Là, on insistera sur l’objectif parfois oublié des politiques publiques d’attractivité : il n’a jamais été question de ne satisfaire que les cibles visées, il est plutôt question d’apporter d’abord de nouvelles richesses au territoire et à toutes ses composantes. Travailler, en particulier, l’attractivité en termes d’offres d’emploi ne vise pas à trouver de magnifiques jobs à des Parisiens en mal de verdure (c’est juste un exemple, n’est-ce pas), mais bien à répondre en première intention aux attentes des entreprises du territoire pour leurs besoins de recrutements.

On se souviendra que le marketing n’est pas « Voilà ce que je fabrique, qui en veut ? », mais bien la réponse à « Voici ce dont j’ai besoin, qui veut me le proposer ? ».

3. détermine les marchés cibles que le territoire est le mieux placé – notamment au regard de ses concurrents – pour servir.
Bien sûr, les « marchés cibles », en fonction de cette analyse, ne seront peut-être pas exactement ceux qui étaient imaginés au départ de la démarche. Dit autrement, la réalité doit effacer le fantasme, notamment celui de vouloir attirer tout le monde. À noter également l’importance de l’identification de la concurrence (qui fera l’objet d’une veille permanente). Phase essentielle pour choisir comment se différencier et qui peut aussi être celle où l’on se découvrira des alliés potentiels, donc des synergies à créer avec d’autres territoires. Et, enfin, cette phase d’étude doit aussi être celle où l’on devra analyser la perception du territoire (image, notoriété, spécificités, etc.) par les cibles visées, afin de renforcer la crédibilité du territoire dans sa volonté affichée de proposer des offres et des services qui annoncent vouloir répondre à leurs attentes et besoins.

4. décide des offres territoriales, services et programmes d’actions (dont les actions de communication) les plus appropriés.
Phase dite du « marketing mix », sous-tendue par la réalisation de la plateforme argumentaire et de valeurs, propre au territoire. En somme la base de la narration – ou du récit – territoriale, elle-même aboutissement de l’analyse « identitaire ». Mais notons surtout, premièrement, qu’une approche relevant du marketing ne peut se résumer à une campagne de communication. Cette dernière étant, d’une part, le fruit des étapes précédentes et non leur début et, d’autre part, une des briques de la démarche et pas l’unique. Deuxièmement, on aura aussi pris conscience que le marketing des services, ou « marketing serviciel », est un incontournable. Certainement complexe à mettre en œuvre, car devant nécessairement s’appuyer sur d’autres directions d’une institution – qu’il faudra convaincre et non contraindre – et sur des partenaires, il est pourtant un des éléments essentiels, d’une part, pour amener une réelle plus-value à des offres territoriales, notamment vis-à-vis de celles de la concurrence, et pour, d’autre part, prouver la capacité du territoire à répondre, dans l’opérationnel et pas seulement dans le discours, aux attentes et aux besoins des cibles visées. Troisièmement, on aura à cœur de définir un budget et des moyens humains à la fois adaptés et à la fois pérennes, c’est-à-dire aptes à se projeter sur plusieurs années. Car, oui, le marketing demande du temps avant d’obtenir des résultats.

5. demande à tout le monde, au sein de l’institution et de ses partenaires, de se mettre à l’écoute et au service du client.
Le mot « partenaire » étant à prendre au sens le plus large : autres directions de l’institution pilote, population, et partenaires choisis ou volontaires (publics, parapublics, privés), etc. C’est forcément l’instant de la mobilisation générale (donc de la pédagogie et de la persuasion), du large partage de la démarche et de ses enjeux, et de la gouvernance collective. Voire de l’abandon de l’égocentrisme institutionnel au profit de l’intérêt global d’un territoire dans son ensemble. Donc celui où l’on constatera que, certes « seul on avance plus vite mais, ensemble, on va plus loin », selon un très sage dicton. Et je redonne la parole à Philip Kotler pour illustrer mes propos : « La fonction du marketing est généralement confiée à une direction de l’entreprise. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. L’avantage, c’est que cette entité rassemble un certain nombre de personnes qualifiées, dotées de compétences spécifiques […]. L’inconvénient, c’est que les autres directions de l’entreprise se croient exonérées de tout effort en la matière […]. Le marketing ne se cantonne pas à une direction qui crée des publications, choisit les médias, expédie les mailings et répond aux questions des consommateurs. C’est un processus bien plus large… » Mais, au fait, cela s’applique aussi à la communication, si je me souviens bien de mes combats passés, non ?

6. met en place des outils d’analyse des résultats obtenus et va, en permanence, adapter discours et programmes d’actions pour optimiser ces résultats.
Phase ultime qui demandera la détermination effective de moyens d’évaluation de cette politique publique au travers d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Évidemment, cela suppose, très en amont, d’avoir fixé des objectifs mesurables. En somme, tout ce dont nous aurons besoin pour savoir si, oui ou non, nous avons réussi.

Et, en guise de conlusion, une précision liée à l’actualité des débats des experts : il me semble utile d’ajouter que, puisque nombre de territoires annoncent se positionner sur un « nouveau marketing territorial » qui serait plus responsable, plus durable, il s’agit de ne pas confondre méthode et choix stratégiques. Ce n’est pas le « marketing » qui induit quoi que ce soit, c’est vous ; il n’est qu’un véhicule, c’est toujours vous qui conduisez. Par ailleurs, déclarer haut et fort, la main sur le cœur, qu’il s’agit de « sortir du marketing » pour être plus vertueux, c’est un peu comme Mozart et le silence à la fin de ses œuvres : ce qu’il y a après le marketing (ou le « démarketing »), c’est encore du marketing, notamment si cela devient un slogan…

Illustration : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Doubs_Source_du_Lison_03.jpg