
Nous, futurs crétins numériques
L’usage massif des réseaux sociaux sur nos smartphones a permis une ouverture au monde inégalée, quitte à nous couper physiquement de nos proches, le nez sans cesse collé à notre écran. L’usage de l’IA va-t-il bientôt nous couper de notre cerveau ?
Par Marc Cervennansky, responsable du centre web et réseaux sociaux de Bordeaux Métropole.

Il date de 2008, et pourtant il n’a jamais autant été d’actualité. WALL-E, un de mes films favoris de chez Pixar. Souvenez-vous : un monde dévasté, invivable, sur-pollué et déserté par les humains, dont les plus riches ont pris place dans de vastes vaisseaux spatiaux de croisière. Les passagers sont devenus obèses, incapables de se mouvoir par leurs propres moyens, totalement assistés par la technologie.
À chaque innovation technologique qui prend sa place dans la société, je pense à WALL-E. Je me dis qu’on s’en approche de plus en plus chaque jour.
L’intelligence artificielle (IA) générative y participe. Pourquoi ? Parce que plus elle progresse (et elle progresse très très vite), plus elle nous fournit des résultats stupéfiants à une vitesse que notre intellect ne peut pas suivre, plus elle nous rend mentalement fainéants.
Certes, l’IA génère encore des biais et des hallucinations dans ses résultats, mais globalement, des outils comme ChatGPT sont capables de nous restituer en quelques secondes des productions complexes, structurées que nous pourrions mettre des heures, des semaines ou des mois à générer avec notre petit cerveau.
Effrayant ? Fascinant ? Enthousiasmant ? Vous vous posez peut-être ces questions. Mais nos enfants, eux, ne se la posent pas. L’IA est tellement facile à utiliser, tellement puissante, tellement satisfaisante.
Mon enfant ne sera jamais aussi intelligent que l’IA
Les dernières études l’affirment : près de 100 % des étudiants utilisent aujourd’hui l’IA générative. Et la plupart ne s’interrogent pas sur la fiabilité des résultats obtenus.
Ce qui est inquiétant avec l’usage généralisé, irréfléchi et quotidien de ChatGPT & co, c’est le désapprentissage. Nous sommes face à un vrai risque d'appauvrissement cognitif, où nous ne ferons plus l’effort de comprendre.
C'est un phénomène que des chercheurs de l'université Harvard constatent déjà : le « deskilling ». La perte de compétences. D’ailleurs Sam Altman, le fondateur de ChatGPT, a déclaré après la naissance de son enfant : « Mon enfant ne sera jamais aussi intelligent que l’IA, et ce sera naturel. »
Petite analogie avec l’usage du GPS dans nos voitures : combien ne savent plus se repérer sur une carte routière ? Combien ne savent pas s’orienter sans cette précieuse aide numérique ?
Mais notre capacité d’apprentissage et notre esprit critique ne sont pas les seuls en danger. À force de déléguer nos réflexions aux machines, nous risquons d'uniformiser nos pensées, d'appauvrir notre expression et, paradoxalement, de limiter notre créativité.
Plus nous jugeons une tâche facile à confier à l'IA, moins nous remettons en question ce qu'elle produit.
Cette dépendance croissante nous conduit vers ce qu’on appelle le « biais d'automatisation » : une confiance aveugle envers des résultats que nous ne prenons même plus la peine de vérifier.
L'IA doit rester ce qu'elle est : un point de départ, jamais une conclusion
Faut-il pour autant rejeter ces outils qui peuvent décupler notre productivité ? Certainement pas. La solution réside plutôt dans le développement d'une véritable « culture de l'IA » pour chacun d’entre nous. Il s'agit d'apprendre à utiliser ces technologies comme des assistants et non comme des substituts à notre intelligence.
Cette culture repose sur trois piliers fondamentaux : la formation, la transparence et la vigilance.
Nous devons comprendre comment fonctionnent ces outils, reconnaître leurs limites et adopter des réflexes systématiques de vérification. Car l'IA doit rester ce qu'elle est : un point de départ, jamais une conclusion.
Une des scènes les plus touchantes de WALL-E est celle où deux humains se déconnectent accidentellement de leurs écrans et redécouvrent le contact visuel et physique. Cette redécouverte de l'autre symbolise parfaitement notre défi : utiliser l'IA pour nous libérer des tâches répétitives afin de consacrer plus de temps et d'attention aux interactions humaines significatives.
Nous devons valoriser cette dimension relationnelle irremplaçable et montrer que la véritable intelligence réside dans notre capacité à nous connecter les uns aux autres, par-delà les algorithmes et les écrans. Pour ne pas devenir des crétins numériques…