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Pages de com : « Les Émotions fortes en politique » par Alain Faure

Publié le : 13 novembre 2025 à 07:22
Dernière mise à jour : 13 novembre 2025 à 16:23
Par Yves Charmont

Maire, président, adjoint… tous les élus vivent, et ont vécu, au fil de leur parcours politique les mêmes tempêtes intérieures : élans de joie, colères rentrées, blessures enfouies, aveuglements autoritaires. Ce livre nous passionnera car il éclaire un aspect émotiionnel jusque-là ignoré des scientifiques. Faisant l’ouverture des « Virus de la recherche » aux PUG, c’est le directeur de cette collection qui s’y colle. Il livre un ouvrage en forme de « manifeste », en libre-service sur la toile, dans le plus pur esprit universitaire.

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Dans la collection numérique des « Virus de la recherche », les Presses universitaires de Grenoble (PUG) lancent la série XXL pour promouvoir des essais scientifiques (de 50 000 à 150 000 signes). Les auteurs sont des chercheurs et des praticiens experts qui nous font partager une thèse, une énigme, un parcours, un combat, une terra incognita. La forme ? Un style accessible et direct. L’objectif ? Questionner les transformations de la société, avec enthousiasme, raison et conviction.

Alain Faure est directeur de recherche en science politique au CNRS dans le laboratoire Pacte à Sciences Po Grenoble (université Grenoble Alpes). Ses travaux portent sur le pouvoir local, les politiques publiques et l’engagement en politique. Autant dire que les communicants publics sont largement concernés, directement ou indirectement, par ces sujets. Dans cette nouvelle collection, point de langue de bois, l’auteur quitte le confort académique et les analyses uniquement appuyées sur des éléments chiffrés, des statistiques, des données objectivées, pour entrer dans le brouillard intime des émotions, celles qui motivent, celles qui font sens, celles qui abîment. Et là, nos professions en connaissent un rayon, vivant au quotidien la relation entre les élus et leurs entourages, les citoyens et les corps intermédiaires.
À partir de plusieurs centaines d’entretiens menés en France, en Italie, au Canada et au Japon, cet essai dévoile les coulisses sensibles du pouvoir territorial, où chaque élu oscille entre trois rôles : urgentiste, bouc émissaire et pasteur. Cette plongée dans l’intimité politique interroge la force (et la fragilité) de la démocratie locale et propose un nouveau regard sur la grandeur du politique.

Prendre le pouls des engagements concrets de la démocratie représentative territorialisée.

Passionnant et court (on le lit d’un trait), ce texte commence par la description amusante de « l’épiphanie politique », ce « moment décisif et exaltant vécu lors de la première campagne électorale au cours duquel le candidat néophyte ressent une forme de grâce, une jonction entre sa vocation personnelle et un projet collectif » (p. 16). Ensuite, il donne des grilles de lecture, des éléments de contexte, comme ces sept fragments de terrain qui sont mentionnés pour illustrer cet état d’esprit dans les entretiens et donner une idée du tourbillon de confidences que le protocole d’enquête a déclenché au Japon, en Italie, en France rurale…

Une véritable analyse

L’auteur a travaillé dans un temps immensément long, car il mène cette quête depuis plus de trente ans. Mais il a aussi travaillé en profondeur, amenant les élus à se livrer, comme dans une sorte d’analyse. Dans le chapitre « Fêlures enfantines », au cours du récit de leurs souvenirs les plus anciens, il propose aux élus d’évoquer leur perception du pouvoir avant même d’avoir fait leurs premiers pas en politique. On creuse, on creuse. Et on comprend mieux certaines choses. Pas de fausse modestie ici : les élus ne sont pas entrés en politique par accident, comme eux-mêmes le pensent souvent (mais on aurait pu leur dire depuis longtemps). « La première lueur, celle qui scintille dès les débuts, c’est donc ce plaisir inattendu – parfois grisant – d’être écouté », révèle Alain Faure (p. 33). Puis il enchaîne, s’éloignant de toute malice, en découvrant un aspect touchant, qui parlera sans doute également à beaucoup de communicantes et communicants publics territoriaux : l’attachement au territoire. « L’entrée en campagne, c’est aussi une plongée dans un monde très local, très incarné. C’est la découverte, ou la redécouverte, d’un microcosme plein de codes, de rituels, d’histoires à connaître, de gens à rencontrer. On ne fait pas campagne n’importe où, ni n’importe comment. Chaque territoire impose ses formes. »

Des émotions aux troubles

Mais un voile sombre peut aussi se révéler au cours de l’exercice du pouvoir, même local et circonscrit : « Certains reconnaissent des dérapages qui font écho à des troubles comme le narcissisme, la mégalomanie, ou le désir de puissance, allant jusqu’à évoquer le parallèle avec des pathologies comme la paranoïa, la schizophrénie ou la bipolarité. » Les communicants publics, comme les membres des cabinets, le soupçonnaient depuis longtemps. Ça vous parle ? C'est peut-être un détail pour certains, mais pour nous ça veut dire beaucoup.

Dans ces lignes il y a plus que des confidences et des cas de conscience. Il y a une vraie prise en compte du domaine sensible dans la gouvernance locale. Et pas, cette fois-ci, par le prisme des réactions citoyennes et de l’émotion collective, mais bien dans la tête de ceux qui dirigent, qui impulsent, qui imaginent le futur des territoires.

Le pouvoir à fleur de peau que vivent les élus locaux, au quotidien, est un laboratoire pour penser – et peut‐être réenchanter – la politique.

Nous ne pouvons que lire et relire cette magnifique conclusion, concise et percutante, dont nous vous livrons ici une partie : « Comment retisser du commun ? Comment évoquer le politique sans sombrer dans la morosité ou la nostalgie ? Comment refaire société en résistant à la “disparition du scintillement du monde” ? Je crois que la réponse ne passe pas uniquement par des appels incantatoires à la démocratie participative ou à la démocratie directe, ni par l’idée de convoquer sans cesse le pouvoir local et les institutions au pied du mur. 

Ce qu’il nous faut aussi, en sciences sociales, c’est aiguiser notre regard sur la démocratie sensible en prenant le pouls des engagements concrets de la démocratie représentative territorialisée. Vu sous cet angle, le pouvoir à fleur de peau que vivent les élus locaux, au quotidien, est un laboratoire pour penser – et peut‐être réenchanter – la politique. »

Les Émotions fortes en politique
Essai sur les hypermédiateurs des territoires
Alain Faure
Collection « Le virus de la recherche », série « XXL »
Presses universitaires de Grenoble
Septembre 2025
54 pages

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