
Pages de com : « Mal entendus. Les Français, les médias et la démocratie » par Nina Fasciaux
Dans cet ouvrage la journaliste Nina Fasciaux interroge la fracture entre médias et citoyens, mais surtout la pauvreté de nos récits collectifs. En plaçant l’écoute au cœur de la relation démocratique, elle propose une lecture (dans les deux sens) précieuse pour tous ceux qui, dans la communication publique, cherchent à retisser du lien.
« Nous n’avons pas su écouter ces millions de personnes qui se sont reconnues en Trump », écrivait la journaliste américaine Amanda Ripley après 2016. C’est à partir de cette phrase que Nina Fasciaux a bâti tout un cheminement intellectuel, jusqu’à ce livre sous-titré « Les Français, les médias et la démocratie ». L’ouvrage part d’un constat sévère : la rupture entre journalistes et citoyens ne vient pas seulement des infox ou des algorithmes, mais d’un déficit d’écoute.
Ancienne formatrice au Solutions Journalism Network, Nina Fasciaux observe combien le journalisme s’est enfermé dans une logique binaire, pour ou contre, au lieu de refléter la complexité du réel. Pour elle, « les faits ne sont pas faux, mais si l’on ne s’intéresse qu’à eux, notre compréhension du monde devient biaisée ». Elle appelle donc à une révolution tranquille : complexifier les récits, mais avec une langue simple, une écoute profonde, une curiosité sincère.
Sa méthode, inspirée de la médiation de conflits, s’appelle le looping. En quatre étapes – questionner, reformuler, valider, relancer –, elle vise à « écouter pour comprendre, non pour répondre ». Et ce qui vaut pour les journalistes, note l'autrice, vaut aussi pour les communicants publics : créer des espaces de dialogue, reconnaître les émotions, et redonner de la valeur à la parole.
Complexifier pour rassembler
Le cœur du propos de Mal entendus tient en une conviction : les récits binaires détruisent le lien social. La société française, analysée avec le think tank Destin commun, se fragmente en « familles de valeurs » qui ne se parlent plus : « identitaires », « militants désabusés », « laissés-pour-compte », « stabilisateurs »… Chacun vit dans sa bulle cognitive, nourrie par des médias qui font barrage plutôt que pont. Or, l’autrice rappelle qu’écouter, c’est déjà réparer. L’écoute rend visible la dignité des citoyens, et réhabilite l’attention dans la décision publique. Elle cite cette phrase simple, recueillie lors d’un groupe de parole : « On se sent utile quand on est écouté. »
Ce n’est pas renoncer à convaincre, c’est reconnaître que l’on ne convainc que ceux que l’on entend.
Pour les communicants territoriaux, cette approche résonne puissamment. Car, dans la relation avec les habitants, les associations, les élus ou les agents, tout commence par la qualité d’écoute. Cela pourrait devenir un réflexe professionnel : poser la bonne question, reformuler avec ses mots, vérifier qu’on a bien compris, et relancer – jusqu’à accéder à la parole authentique, celle qui ne se donne pas d’emblée.
Quand l’écoute devient une politique publique
Nina Fasciaux ne se contente pas de théoriser : elle montre comment cette posture peut réconcilier des mondes. Son récit d’expériences, de My Country Talks en Allemagne à des rencontres entre gilets jaunes et journalistes en France, prouve que la confrontation directe, bien préparée, restaure la confiance sans nier les désaccords. « On cesse de diaboliser l’autre quand on lui fait une place dans sa vie », résume-t-elle. Pour la communication publique, cette vision est précieuse. Elle appelle à sortir du réflexe du message pour adopter celui du récit partagé : accepter les contradictions, accueillir la nuance, donner place à la complexité. Ce livre a d'ailleurs été remarqué par l'ONG QuotaClimat, spécialisée dans l'observation du climatoscepticisme dans les médias et dans l'opinion, qui en a publié un compte-rendu de lecture (rappelons que Louna Wemære, de QuotaClimat, interviendra en plénière d'ouverture de notre prochain Forum à Angers).
Faire pont, pas barrage : une leçon pour Angers
À l’heure où l’intelligence artificielle démultiplie les flux d’informations et où les émotions façonnent les opinions, Nina Fasciaux rappelle que l’humain reste la valeur ajoutée de l’information. « L’IA peut écrire, mais elle ne peut pas écouter », dit-elle en conclusion d’une conférence.

Ce livre trouve un écho naturel dans le thème du 37e Forum Cap’Com, à Angers : « Récits à l'œuvre ». Les communicants publics, souvent en première ligne du dialogue citoyen, peuvent s’inspirer de son « éthique de l’écoute » pour renouer la confiance, dans les territoires comme dans les médias. Car, pour reprendre les mots de Nina Fasciaux, « quand on se sent entendu, on devient disponible pour écouter à son tour ».
Et si la communication publique commençait là : dans ce premier silence qui ouvre à l’autre ?
Mal entendus
Les Français, les médias et la démocratie
Nina Fasciaux
Collection Essais Payot
256 pages
Parution janvier 2025