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Quand les chantres de la liberté demandent restrictions et interdictions

Publié le : 28 avril 2022 à 07:07
Dernière mise à jour : 28 avril 2022 à 12:55
Par Alain Doudiès

Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne clame qu’« il est urgent d’encadrer la communication territoriale ».

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Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.

Note de la rédaction

Cela fait plusieurs années que le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) appelle à encadrer la communication des collectivités locales. Cap'Com a eu l'occasion d'échanger avec le SPIIL en participant à l'un de ses débats en octobre 2019, « Comment éviter que la communication territoriale ne remplace l’information locale indépendante ? », et d'expliquer ce que les communicants publics pensent du « mauvais combat du SPIIL contre la communication territoriale ».

Cette opinion analyse la proposition n° 7, « Encadrer la communication territoriale », émise par le syndicat à l'occasion de la présidentielle de 2022. Elle a l'intérêt d'être formulée par un communicant public qui fut longtemps un journaliste de la presse locale.

La tentation de la restriction, voire de la répression, affleure parfois là où la liberté semble s’épanouir. Ainsi, le SPIIL (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne) appelle à une limitation de la communication territoriale, parmi ses propositions émises à la faveur de l’élection présidentielle.

Le SPIIL, ce n’est pas rien. Il a grossi au fil de la croissance de l’information sur le web. Fin 2011, il rassemblait 262 éditeurs, représentant 320 publications de presse, généraliste et spécialisée. Co-présidé par Cécile Dubois (94 Citoyens) et Laurent Mauriac (Brief.me), il compte, entre autres, dans son bureau, les représentants de médias de référence comme Marsactu, Mediacités, Mediapart ou Rue89 Strasbourg.

Voilà que surgit le pandore

« Pour une presse robuste, indépendante et plurielle », le syndicat a élaboré sept propositions. Ainsi : « Créer un centre national de la presse et des médias rassemblant toute la profession », « Faire reconnaître la liberté de la presse en tant que principe constitutionnel et réintégrer tous les délits d’opinion dans la loi de 1881 », « Refondre les aides à la presse au service du pluralisme de l’information » ou « Lutter contre la désinformation grâce au renforcement des politiques d’éducation aux médias et à l’implication des plateformes ». Ces grands enjeux sont bien pointés. Des réponses appropriées sont formulées. J’applaudis. Des deux mains. Je suis prêt à manifester avec le SPIIL, rue de Valois, sous les fenêtres du prochain ministre de la Culture et de la Communication.

Mais ma solidarité flanche et mes mains fléchissent avec la dernière des propositions, « Encadrer la communication territoriale ». Voilà que surgit le pandore ignare qui sommeillait chez les apôtres de leur liberté.

Le SPIIL partage le constat avec nous… puisqu’il fait explicitement référence à nos baromètres de la communication locale : « L’audience de la communication territoriale, via les bulletins municipaux et autres canaux de communication, a dépassé depuis une dizaine d’années celle de la presse indépendante locale. » À ce propos, Cyrille Frank, fin observateur des médias, parle de « vulgarisation de la consommation de contenus communicationnels », dans sa récente et éclairante analyse des tendances de l’information.

Une légitimité ignorée, l’autre affirmée

Nous nous réjouissons de ce phénomène. Le SPIIL s’en inquiète : « L’écart se creuse de plus en plus. » Conclusion : « Cette situation est préoccupante car ces médias ne sont pas indépendants. Leur ligne éditoriale reflète celle de l’exécutif, du choix des sujets à la manière de les traiter. » Ben oui ! C’est donc la raison d’être de la communication territoriale qui est ainsi contestée. Sa pleine légitimité est ignorée, voire niée. Seule est affirmée la légitimité du SPIIL, déterminée par sa propre raison d’être : la défense des intérêts de ses adhérents.

Le SPIIL en appelle d’abord à la démocratie et à la Loi fondamentale, pas moins : « L’information indépendante et son pluralisme constituent un enjeu démocratique, inscrit à l’article 34 de la Constitution. » Certes. On peut répliquer que les collectivités locales sont une des bases de la démocratie, une des expressions de la volonté du peuple. Puis le syndicat va jusqu’au bout de sa vision : « Il est urgent d’encadrer cette communication. » Il s’autorise à séparer le bon grain de l’ivraie : « Cela passe par une distinction claire entre l’information de service public, la promotion des élus et les autres types d’information des médias institutionnels locaux. » Et, du haut de l’autorité déontologique qu’il pense détenir, il décrète : « Il convient aussi de veiller aux conflits d’intérêts entre presse indépendante et élus locaux. »

Ne nous cachons pas derrière le petit doigt. Nous savons bien qu’il n’est pas rare qu’existent ces zones grises dans lesquelles nous devons nous mouvoir, bon gré, mal gré. Quant au distinguo entre communication institutionnelle et communication politique, il nous est familier. Chacun de nous place la frontière, en fonction de sa conception du métier et du cadre politique et hiérarchique dans lequel ses pratiques s’inscrivent.

Un objectif, trois propositions

À partir de l’objectif de régulation qu’il affiche, le SPIIL avance trois propositions. La première traduit un enjeu apparemment des plus démocratiques, en fait financier : Transparence et encadrement des dépenses de communication. L’exigence de « transparence » se traduirait par la « demande », semble-t-il pas l’obligation, faite aux collectivités de « produire un rapport annuel détaillant les dépenses de communication, précisant notamment les dépenses relatives aux différents médias (magazines, site Internet, application, web TV…) ainsi que le budget publicité alloué à chaque média local ». En clair : la part qui revient aux médias affiliés au SPIIL est-elle équitable ?

On peut approuver le principe de cet exercice contribuant à rendre compte de l’usage de l’argent public. Toutefois, indiquons qu’aux achats d’espaces fondés sur un médiaplanning rigoureux, en vue d’un impact optimum, s’ajoutent ou se mêlent des aides à l’éditeur, comparables aux subventions accordées à d’autres entreprises, soutiens certes distincts, en raison même de la place de l’information dans la vie locale et le débat public. De plus, le SPIIL brandit une menace… au conditionnel : « Ces dépenses pourraient être limitées à un certain montant par habitant. » Les juristes pourront dire si cette limitation, d’une faisabilité incertaine, serait contraire au principe de « libre administration des collectivités locales ». On se souvient qu’en 2008, Pierre Morel-A-L’Hussier, député de la Lozère, avait déposé une proposition de loi, sans suites, limitant les dépenses totales de communication à 0,3 % du budget.

Deuxième proposition : Éviter l’assèchement du marché publicitaire local. Selon le syndicat, toujours parangon de vertu, il faut « interdire aux collectivités de recourir à la publicité pour financer leurs médias afin d’éviter des distorsions de concurrence avec les médias indépendants locaux dont le modèle repose en partie sur la publicité ». On voit bien le raisonnement du SPIIL, sur le mode autoritaire : que l’État mette fin à ces méthodes et les collectivités rentreront dans le rang. Le syndicat s’inspire d’une des « 42 propositions pour améliorer la démocratie locale », élaborées en 2012 par Jean-Pierre Giran, député du Var, dans son rapport, sans suites, demandé par le président de la République.

Troisième proposition : Informer avant de communiquer. La fort abstraite idée du SPIIL est, elle aussi, dictée par le tri entre le bon et le mauvais, l’information qui ne serait qu’objectivité et la communication qui n’est que propagande : « Demander aux collectivités de publier les données brutes relatives aux décisions locales (ordre du jour des conseils municipaux, délibérations, compte-rendu complet des séances, arrêtés…) dans le cadre de relevé des actes mis en ligne dans les sept jours suivant la décision, afin de permettre un véritable travail d’information. Recommander la retransmission filmée ou audio des conseils municipaux. » Dans la même veine s’ajoute un autre vœu qu’on ne peut qu’approuver : « Permettre l’accès aux données publiques et documents administratifs. »

L’espoir d’une compréhension mutuelle véritable

On comprend le jugement d’ensemble : l’information, ce sont les médias. Eux seuls. Tout le reste est suspect, menaçant pour la liberté de l’information. Chère lectrice, cher lecteur, je vous laisse développer le contre-argumentaire, à votre façon. Je rappelle seulement que « la communication publique est un service public ». J’ajoute : pas seulement, mais avant tout.

Mais tout n’est pas perdu. Restons ouverts et optimistes. Le SPIIL va, peut-être, nuancer son propos en sortant des idées reçues et s’extrayant de la caricature. L’espoir d’une compréhension véritable de notre mission d’intérêt général, de nos métiers et de nos compétences dans le traitement… de l’information semble envisageable : le SPIIL a recruté un professionnel « pour soutenir les efforts de communication du syndicat ». Un collègue, avec qui nous pourrons donc échanger, en mutuelle bonne intelligence.

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