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Vaccinodromes : une communication par à-coups

Publié le : 5 février 2021 à 07:56
Dernière mise à jour : 9 février 2021 à 17:46
Par Yves Charmont

Dernière mission en date pour la compublique : accompagner les campagnes de vaccination et notamment la mise en place de centres dédiés dans les territoires. Mais la réactivité ne fait pas tout et il faut aussi gérer les frustrations et les expressions de mécontentement des habitants. Les dircoms des territoires et le ministère des Solidarités et de la Santé s'expriment. Revenons à chaud sur les doses de la discorde.

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C’est une des leçons à tirer de cette année de pandémie : la communication de crise doit savoir affronter une situation qui s’étire en une série de vagues avec une visibilité médiocre. L’épisode que nous vivons résume assez clairement les effets de marée de la communication en période de crise covid-19 (1). Un pas en avant, un pas en arrière : le mouvement imprimé par les informations participe largement à la lassitude générale de l’opinion ou des opinions.

On entend dans les médias nationaux (fin janvier 2021) des citoyens expliquer leur acceptation résignée d’un prochain reconfinement en consentant « un dernier effort pour s’en débarrasser une fois pour toutes ». Signe d’une adhésion de moins en moins forte et preuve que la manière dont il faut collectivement gérer la propagation du virus n’est pas tout à fait comprise. Dans ce contexte d’épuisement, l’arrivée providentielle d’une série de vaccins a été vécue justement comme la porte de sortie. Au-delà des polémiques variées sur le sujet vaccinal, le défi semble plus consensuel qu’estimé et le revirement des sondages sur le sujet en a témoigné. En décembre, moins d’un Français sur deux voulait se faire vacciner, notre pays étant bon dernier sur le tableau présenté par Ipsos. Un mois plus tard, la tendance était inversée selon l’enquête Odoxa pour France Info et Le Figaro. Dans ce contexte, les territoires ont rapidement fait le nécessaire pour être au rendez-vous de la plus grande campagne de vaccination collective que nous ayons connue, puisqu’elle concernera au final « tous les Français qui le souhaitent » (intervention du président de la République ce mardi qui confirme l’aspect global de cette opération).

Après accord des autorités sanitaires, de nombreuses villes ont soit aménagé de toutes pièces un équipement pour le transformer en vaccinodrome (nouveau mot qui exprime toute l’ambition de massification que l’on accole à ces centres), soit converti d’anciens centres de dépistage, comme pour le premier vaccinodrome de France, Chez Mauricette à Poissy.

Avec sa thématique de super-héros, une cible senior et un univers graphique viral, la communication mise en œuvre par la ville montre à l’envi le sentiment collectif de soulagement et la volonté de convaincre le plus grand nombre de personnes, parmi les populations à risque, de faire la démarche de se faire vacciner.
C’est un véritable changement de pied, même si les spécialistes santé préviennent de l’importance toujours aussi grande de pratiquer des tests.

Une aiguille dans une botte de foin médiatique

Dès que l’on aborde les questions relatives à l’accompagnement en compublique des centres de vaccination dans les territoires, avec les dircoms, les retours sont denses et relativement convergents.
Mais, en premier lieu, toutes les villes ne sont pas concernées. Rodez n’a pas eu besoin de créer et gérer un centre dédié, c’est l’hôpital de la ville qui est le centre de vaccination. « La seule participation de la collectivité a été de mobiliser quatorze agents (notamment des piscines et musées, fermés) pour renforcer l’équipe d’accueil téléphonique de l’hôpital », précise Valérie Campo, directrice de la communication de Rodez Agglomération. « Dans les faits, seul le service informatique (mutualisé ville/agglo) a été mobilisé pour des questions techniques », ajoute Marie Cailleaud, responsable de communication de Tulle Agglo. L’enjeu de l’ouverture d’un centre de vaccination peut même changer de nature et, à l’aube des élections départementales, devenir un enjeu et un sujet de tensions entre villes et départements.
Certaines collectivités ont, malgré le fait qu’elles n’aient pas à gérer en direct un centre de vaccination, mis en place, comme le département de Seine-Maritime, un accompagnement des publics prioritaires dans leurs démarches. Pour Vincent Lalire, son directeur de la com interne : « Lorsqu’on est une personne âgée ou en situation de handicap, la procédure à suivre pour se faire vacciner contre la covid-19 peut paraître parfois compliquée, donc, à l’aide d’une cellule téléphonique départementale dédiée, notre collectivité accompagne ces publics prioritaires. » Même chose à Brest : « Pour l’instant, l’ouverture d’un centre complémentaire ouvert par la ville pour se faire vacciner a été reporté à la demande de l’État et de l’hôpital, le centre hospitalier étant dimensionné pour vacciner le plus grand nombre possible de personnes au regard des doses disponibles. Nous sommes prêts à nous mobiliser dès que l’État le souhaitera. Notre action, sans communication, a consisté d’abord à aider les publics vulnérables à s’inscrire sur des créneaux de vaccination », déclare Vincent Nuyts, directeur de la communication et du marketing territorial.

Le savoir-faire des collectivités

Pour ce qui concerne les vaccinodromes ouverts, on en dénombre plus de 800 en France et leur mise en place a montré le savoir-faire des territoires : « Le centre a été monté en un temps record de cinq jours ouvrés et ce grâce à la réactivité, au professionnalisme et à la mobilisation de tous les participants issus de nombreux services de la ville, et du CCAS », précise Christel Valeille, directrice adjointe de la communication à la ville de Clermont-Ferrand, avant d’ajouter : « Ce sont plus de 700 personnes qui auront été vaccinées dès la première semaine. » Les directions de la communication, très vite impliquées, ont réagi pour offrir l’accompagnement nécessaire sur plusieurs fronts, y compris sur celui de la com interne comme au Mans où la mise en place de deux centres de vaccination grâce à la coopération entre services à fait l’objet d’une valorisation dans les actualités internes.

« Nous avons collaboré avec nos collègues de la direction de la santé en particulier pour les relations presse et la signalétique sur le terrain, puis nous avons lancé une campagne d'affichage sur la vaccination », explique Élisabeth Corino, dircom de la ville de Chalon-sur-Saône. Et elle continue : « Nous n’avons pas rencontré de difficulté particulière, mis à part celle de ne pas toujours savoir quoi répondre au public avide de réponses sur la question. »

Une dynamique contrariée

Et c’est justement là le vrai sujet qui intéresse les dircoms. Comme en ont témoigné les échanges lors du dernier Comité de pilotage de Cap’Com : les difficultés logistiques ont retardé voire empêché la campagne de com et de vaccination. Pour Marc Farré, dircom de Dijon : « Nous sommes en observation et pas en dynamique de communication. Ce sujet est traité en cellule de crise et nous restons très prudents. » Ce point a été repris de diverses manières sur un scénario largement partagé, avec une première communication volontariste suivie d’un coup de frein, compte tenu du nombre de doses disponibles. Puis les rendez-vous sont bloqués et/ou l’accès Doctolib est coupé. Certains créent des listes d’attente pour les habitants. Une situation bien résumée par Thierry Blandino, dircom de Bayonne : « Nous avons mis en place un vaccinodrome – avec les équipes habituellement chargées de l’événementiel – et avons dû tout stopper et donner les éléments de langage aux agents d’accueil leur permettant de faire face le mieux possible au mécontentement des citoyens. »

Comment garder de la transparence ?

Ces échanges, comme d’autres, ont également fait apparaître de nouveaux sujets de préoccupation, que nous relatons ici volontairement sans indication géographique.
Certaines collectivités ont dû former les personnes chargées de l’accueil : « Nos créneaux de vaccination ont été saturés après 48 heures, les agents ont dû faire face au mécontentement et nous avons fait évoluer les éléments de langage qui leur étaient destinés (mise en place d’un numéro de téléphone spécifique différent du numéro national). »

Le besoin exprimé est souvent basé sur la volonté de pouvoir communiquer de façon transparente : « Lorsqu’on est en communication de crise, on doit faire preuve de transparence. Or, nous avons du mal à l’être parce que l’on attend que l’État ou l’Agence régionale de santé communiquent de leur côté. Du coup, toute la semaine, je me suis interrogé sur ce que devait être la parole de notre collectivité. Les citoyens se retournent pourtant vers nous ! » Et les villes se sentent en difficulté : « Nous sommes en défaut de communication et l’État n’a toujours pas communiqué. Dans tous les cas c’est le maire qui sera tenu pour responsable », « On attend les réponses du ministère », « On s’est organisés pour vacciner 200 personnes par jour, puis la préfecture nous a annoncé que ce serait 400 par semaine. On n’a pas de visibilité pour la suite ».

Ville de Clermont-Ferrand / HAREL Romain - © Direction de la Communication Ville de Clermont-Ferrand.

Sans être en désarroi, beaucoup de communicants notent que la communication sur le plan de vaccination est surtout le fait de déclarations ministérielles et d’échos dans la presse. La communication publique des territoires se trouve confrontée à une suite de stop and go qui semble délicate à gérer. Et l’interrogation générale pourrait être formulée ainsi : « Comment sortir de cette situation ? »

Avancer pas à pas, protéger l’institution

Dans les collectivités locales, dans l’attente des doses, faire de la compublique demande une prudence de Sioux. À Brest : « Nous relaierons une éventuelle communication de l’État quand elle sera nécessaire. Pour l’instant, nous continuons à axer nos messages sur le respect des gestes barrières et l’incitation à rester vigilant », répond Vincent Nuyts. Sans entrer dans la référence constante à la communication de crise, la communication des territoires navigue à vue, et n’annonce que les informations sûres – afin de ne pas avoir à reculer – et prend ses distances avec les éléments qui ne sont pas de son ressort pour protéger les élus et les collectivités des mécontentements, quelquefois attisés par des annulations de rendez-vous.
Les regards se tournent donc vers la communication publique nationale et c’est ce que Cap’Com a fait, en interrogeant le ministère des Solidarités et de la Santé sur ces trois sujets communs : le discours à tenir en cas de saturation des centres de vaccination, la future grande campagne de communication sur les vaccinations et l’information des territoires sur les quantités de vaccins disponibles. Les réponses sont à lire dans l’encadré ci-dessous.


(1) D’ailleurs la référence à la découverte de ce coronavirus en 2019 est de moins en moins pertinente ; beaucoup, en 2021, ne parlent plus que de « la covid », preuve que la temporalité de cette crise change.

Photo principale d'illustration de l'article : centre vaccination Maison des sports. Crédits : ville de Clermont-Ferrand / HAREL Romain © Direction de la communication ville de Clermont-Ferrand.

Le ministère des Solidarités et de la Santé répond aux questions du réseau

Cap'Com : Quels seraient les messages à transmettre dans le cas où les dispositifs d’inscription pour la vaccination sont saturés ou en pause ?

Ministère des Solidarités et de la Santé : Tout d’abord, il convient de rappeler que 2,5 millions d’injections sont prévues au mois de février :

  • 1,4 million de secondes injections ;
  • 1,1 million de premières injections, dont :
    • 600 000 correspondant à des rendez-vous d’ores et déjà pris, entre le 1er et le 14 février (sur les 2 millions de rendez-vous pris à compter du 18 janvier, au moment de l’ouverture de la vaccination aux personnes âgées de plus de 75 ans),
    • 500 000 correspondant à de nouveaux rendez-vous, entre le 15 et le 28 février, qui seront ouverts d’ici la fin de la semaine.

Pour le mois de mars :

  • conformément à ce qu’a annoncé jeudi dernier le Premier ministre, 1,2 M de rendez-vous supplémentaires de primo-injections vont être ouverts sur le mois de mars dès cette semaine ;
  • à cela pourrait s’ajouter 500 000 rendez-vous supplémentaires sur le mois de mars que nous ouvririons progressivement, une fois les dates définitives de livraison confirmées pour le vaccin Moderna.

L’ensemble de ces rendez-vous seront honorés malgré la baisse des approvisionnements des laboratoires.

  • la France est confrontée, comme ses partenaires européens, à une baisse d’approvisionnement en vaccins : une réduction des livraisons de vaccins Pfizer (- 200 000 doses) intervenue à la fin du mois de janvier, et une réduction des vaccins Moderna prévue pour le mois de février (- 25 % des doses) ;
  • malgré cela, il a été décidé de ne pas décaler la seconde dose, comme certains de nos partenaires européens l’ont fait ; la seconde dose sera donc systématiquement administrée au bout de 28 jours, et les stocks ont été constitués pour assurer cette seconde injection ;
  • la baisse de ces approvisionnements a donc naturellement un impact sur le nombre d’injections pouvant être programmées : aussi, environ 5 % des rendez-vous pour une première injection devront être décalés de quelques jours ;
  • aucun rendez-vous ne sera annulé.

La vaccination des personnes âgées se poursuivra au mois de mars.

Cap'Com : Le gouvernement a-t-il prévu une campagne de communication publique sur les aspects pratiques de la campagne de vaccination ?

Ministère des Solidarités et de la Santé : Oui. Des outils sont déjà disponibles et commencent à se déployer (identité visuelle de la campagne de vaccination, affiches, quatre pages pédagogiques, badges, vademecum pour les professionnels de santé) et une campagne de communication nationale est prévue.

Cap'Com : De quelle manière les territoires seront-ils informés des capacités en termes de doses de vaccin ? À quel moment ou à quel rythme ?

Ministère des Solidarités et de la Santé : Nous nous engageons à la plus grande transparence territoire par territoire pour donner le plus de visibilité possible au déploiement de la campagne de vaccination. Les données de data.gouv disponibles permettent de connaître, par date de rendez-vous, le nombre de rendez-vous pris à la maille nationale, régionale et départementale, en distinguant s'il s’agit d’une première ou d’une deuxième injection.

Les territoires, via les ARS et les préfets, sont informés chaque semaine par le Ministère des Solidarité et de la Santé des doses qui leurs sont allouées de manière prévisionnelle sur six semaines. En outre, les équipes de la Task Force vaccins sont en lien quotidien avec les ARS afin de les informer de tout changement éventuel.

Téléchargement : identité visuelle de la campagne de vaccination (charte)
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