
IA partout, échanges nulle part
Je suis de celles et de ceux qui n'ont plus 20 ans mais qui accueillent les nouveautés numériques et sociétales avec curiosité, voire gourmandise. Je me souviens encore de mon premier iPhone, de la réaction moqueuse de ma fille, 11 ans en 2009 : « Tu vas savoir t'en servir ? » et de mes fous rires sur Twitter à ses débuts. Mais j'avoue que depuis quelques mois la communicante interne que je suis s'interroge avec l'arrivée en fanfare de l'IA et sa constante intrusion dans ma vie de bureau et parfois même dans ma vie perso.
Par Cécile Ferrer Staroz, responsable de la mission communication interne du département des Pyrénées-Orientales, membre du Comité de pilotage de Cap'Com.

Un gentil collègue m'a récemment envoyé un plan de com concocté avec IA pour « gagner du temps ». Lui et son pote ChatGPT m'ont donc monté une usine à gaz pour six mois, inadaptée aux moyens internes, humains et financiers, et donc au contexte. Ou comment prendre un marteau-piqueur pour planter une fleur, tout cela avec la meilleure volonté du monde. Dans notre beau métier de « communicant », échanger avant ensemble sur la commande permet aussi de gagner du temps. Je dis ça, je dis rien.
Un autre a demandé à Claude de résumer à la voix le rapport d'activité des services en 5 minutes, alors qu'en rassembler les éléments et le mettre en page m'avait pris trois mois avec la graphiste. Certes le résultat est bluffant et je parie que cette initiative trouvera un plus large public qu'une lecture sur le site internet. Mais j'aurais préféré plutôt un coup de main ou d'IA en amont pour gérer ensemble les infos et la suite.
Le blues m'habite
Quant à la voisine qui venait parfois boire un café le dimanche pour un débrief à la Sex and the City (1998), désormais elle se fait conseiller par Maia, son IA psychothérapeute. J'en ai parlé à mon chat, il trouve ça dommage et un peu triste.
Si on ajoute uniformisation et appauvrissement des textes, visuels de plus en plus improbables (emportés par le délire de l'artiste IA), biais de genre choquants... et une consommation énergétique exponentielle avec des serveurs dédiés qui poussent partout, alors que depuis des années on communique sur les « 10 meilleures astuces pour éteindre la lumière en sortant du bureau » , le blues m'habite.
Obsolète ou réaliste ?
Je me sens dépassée, comme sans doute mes ancêtres lors de la révolution industrielle au XIXe siècle ou mes parents à l'arrivée d'internet ? Oui, sans doute. Je me sens surtout dépassée dans mes convictions de communicante, qui prône l'échange en direct et la parole comme essentielle pour faire société, et voit nos smartphones faire office de meilleurs amis ou de référents, et opposer vie virtuelle à vie réelle, immédiateté à réflexion, communication à… quel nom lui donner ?
Garder le lien
Nos publics, usagers et collègues ne sont pas virtuels, ils vivent des situations réelles, difficiles dans nos services et dans leur vie. Si l'IA passe du statut d'outil à conseiller à plein temps, n'allons-nous pas perdre, au nom d'un rêve vendu par les géants de la tech, « le gain de temps pour tous », ce qui fait aussi le sel de la communication publique : les échanges sur les projets, les réactions en direct, ce réel purement humain qui nous lie à notre public et nous pousse à mieux le comprendre ?
Un risque et un pari
J'espère que la communication publique, qui peine déjà à se faire entendre dans le brouhaha des médias et dont un troisième nouveau-ancien Premier ministre à peine installé souhaitait raboter le budget, arrivera à garder ce lien en gardant les yeux ouverts sur l'utilisation de Claude et de ses copains.
Pour conclure, pas de « science sans conscience n'est que ruine de l'âme » de Rabelais, mais une citation de Dominique Wolton qui illustre mon propos principal : « La communication est toujours un risque et un pari, qui dépend en outre d’un récepteur qui, bien évidemment, perturbe les conditions d’échange. Et avec le récepteur intervient également le rôle du contexte. Bref, la communication n’est jamais directe ni assurée de réussir. Sa force ? Aborder, au-delà du récepteur, la question de la rencontre avec l’autre. »
Illustration principale créée avec l'IA.